Hollyhock - Manège

"- Allô ? Ouais pour le shooting... Oui je suis déjà aux écuries... Ok bah 14h30 c'est parfait... Ca roule, à toute !"

Son téléphone calé entre l'épaule et l'oreille, Erika se débattait avec tout le matériel qu'elle avait tant bien que mal réussi à faire tenir sur ses deux bras. L'excitation lui avait fait perdre le sens de la mesure, mais aujourd'hui était un jour bien spécial; elle allait enfin essayer les talents de Minuet sur le plat ! On ne lui avait dit que du bien de la ponette, appliquée et gracieuse comme pas deux.

Alors pour l'occasion, Erika avait sorti la totale, soit un ensemble flambant neuf vert émeraude d'une marque bien prisée sur les réseaux sociaux. Bandes de travail, tapis satiné, bonnet, et même le haut de la cavalière, tout s'assortissait parfaitement et faisait ressortir les tons chauds de la belle Minuet. Bien évidemment, la jeune fille avait fait appel à une amie pour jouer les photographes en herbe, car je vous le demande, quel est l'intérêt d'avoir la classe s'il n'y a personne pour le voir ?

Après un pansage express pour faire briller la robe baie de mille feux, Erika sella avec une précaution toute particulière. Ses cuirs avaient été graissés, ses vêtements repassés, et ses bottes lustrées. Ses followers allaient perdre la tête face à tant de perfection, elle en était certaine.

Lorsqu'elles furent toutes les deux prêtes, Erika se dirigea vers le manège, qu'elle avait repéré pour ses grands miroirs et ses gradins absolument fabuleux. On se croirait dans une prestigieuse écurie de spectacle, et la lumière y était superbe. Ses photos allaient être ca-non !

Avec une joie non dissimulée, la brunette se mit à cheval, épousseta le peu de sable qui s'était coincé sous ses bottes - il ne faudrait pas salir ses étriers qui lui avaient coûté un bras -, puis d'une légère pression de mollets, invita Minuet à marcher. La ponette qui jusque là n'avait pas démontré un quelconque intérêt, se mit à marcher d'un pas régulier, les oreilles en avant et le port de tête haut.

Erika ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil aux miroirs : elles étaient superbes, sans surprise. Après quelques minutes à s'habituer aux sensations sur le dos de sa nouvelle monture, Erika remonta sur ses rênes et mit sa ponette au trot. Minuet ne se fit pas prier pour venir s'arrondir et améliorer son port de dos. Sans trop se durcir dans sa main pour le moment, la jeune cavalière la laissa trotter à son rythme pour la mettre dans le bain et galopa rapidement aux deux mains histoire de vérifier le bon fonctionnement de la baie. Celle-ci bascula aisément dans un galop régulier. Erika de son côté, ne cessait de s'admirer elle et sa magnifique monture dans les miroirs, plus que satisfaite de la fière allure qu'elles avaient ensemble.

C'est ce moment précis que choisit son amie pour pénétrer dans le manège, appareil photo au poing.

"- Hey !" l'apostropha Erika. "Merci d'être venue, tiens tu peux te mettre au milieu du manège pour commencer et si tu veux monter dans les gradins pour avoir d'autres angles après ça peut être sympa aussi... Ouais on fait comme ça, ok ça marche je fais comme si t'étais pas là !"

Evidemment qu'elle faisait tout comme si elle était là. La jeune fille se tenait droite et fière, un beau sourire sur les lèvres pour bien montrer qu'elle vivait sa meilleure vie. Aucune doute possible, sa vie était un rêve instagrammable.

Elle termina rapidement sa détente, déjà convaincue du potentiel fou de sa monture en dressage. Sous la selle, Minuet était souple, attentive et très appliquée. Elle répondait avec une précision remarquable à la moindre demande, sans jamais se défaire de son attitude de reine. Elle est formidable.

Prenant un trot de travail, la jeune fille demanda un petit assouplissement simple, une tête au mur. Gardant le stick alerte au cas où la ponette tenterait de se dérober, elle n'eut pas à l'utiliser car sa demande fut parfaitement comprise et reçue. Elle recommença à l'autre main et fut agréablement surprise de constater que Minuet n'avait pas l'air d'éprouver plus de mal à une main qu'à l'autre. Erika demanda ensuite une cession jusqu'en X puis revint sur la piste. Bien que la ponette se tint droit et la cavalière aussi, celle-ci recula un peu trop la jambe isolé au goût de sa monture car elle le lui fit comprendre en fouettant l'air de sa queue et en cassant le rythme.

- "Désolée ma belle c'était pas voulu," lui fit-elle avec un sourire peiné.

Elle recommença l'exercice en veillant à garder sa jambe extérieure à sa place et cette fois, la figure fut exécutée comme voulu, avec une ponette toujours attentive et calme. Erika demanda alors une épaule en dedans au pas, pour plier un peu la belle DRP puis au trot, en gardant une main légère puisqu'elle n'avait pas besoin d'en faire plus pour se faire obéir. Pendant ce temps, les clics acharnés de l'appareil photo résonnaient dans le manège, sans que cela ne vint perturber Minuet le moins du monde.

Mue par les encouragements de son amie, Erika voulut s'essayer à des figures plus complexes. Elle se sentait déjà pousser des ailes !

Elle entreprit donc un appuyer au galop, une figure qu'elle maîtrisait plutôt bien et qu'elle était fière de montrer à l'objectif. Doublant dans la longueur, elle maintint l'allure constante puis, comme à son habitude, plia la ponette comme pour une épaule en dedans avant de demander l'appuyer de sa jambe externe. Mais alors que d'habitude elle obtenait tout de suite un bel appuyer, Minuet, au lieu de ployer comme désiré, coula vers l'intérieur en s'échappant par son épaule. Surprise, Erika arrêta le mouvement et redemanda, en revenant sur un doubler. L'issue en fut la même et soudain le cavalière comprit : son pli était beaucoup trop fort pour l'encolure courte de sa monture, et soit celle-ci ne comprenait même pas sa demande, soit elle refusait de s'exécuter par manque de précision. Désolée pour son erreur, la jeune fille redemanda une troisième fois, avec un pli adapté à la ponette, qui se rassembla et fit un bel appuyer en travaillant bien sur deux pistes. Satisfaite, Erika la félicita puis refit le même exercice à main gauche, tout aussi bien réussi. Il suffisait de trouver les boutons, et Minuet savait tout faire.

Erika commençait à s'amuser sur le dos de la championne et s'arrêta face à la caméra histoire de souffler avant le bouquet final. Elle avait déjà plusieurs idées de figures en tête, qui rendraient merveilleusement bien en photo... C'est alors qu'elle vit du coin de l'oeil une forme blanche passer à côté de son visage et s'écraser sur sa manche émeraude. Par réflexe, elle tourna la tête pour constater qu'il s'agissait d'une... crotte d'oiseau ?! Sur son superbe haut ?!

La jeune fille poussa un cri de stupeur, mélangé à un dégoût profond et teinté d'horreur, les yeux toujours rivés sur l'immonde déjection collée à son avant bras. Surprise, Minuet fit un écart sur le côté, qui déséquilibra sa cavalière.  Celle-ci tomba au ralenti, les fesses dans le sable et la main encore sur les rênes, sonnée par l'enchainement des évènements. Déboussolée, il lui fallut quelques secondes pour reprendre ses esprits puis soudain, une alarme sonna dans sa tête. Les photos !!

"- Tu as pris quelque chose ?" lâcha t-elle paniquée en direction de son amie "Efface ça tout de suite !"

Minuet semblait déjà avoir retrouvé son calme, et suivit docilement Erika qui accourut en direction des gradins, où la photographe en herbe s'affairait à effacer toutes traces de cet incident compromettant. Après lui avoir fait jurer d'emporter ce secret dans sa tombe, Erika prit congé de son amie et se rua pour rentrer sa ponette au box, avant que quiconque ne puisse la surprendre avec cette tâche sur le bras.

"- Je suis désolée ma belle", lâcha t-elle essoufflée une fois dans le box, "mais je suis sure que tu me comprends."

Elle dessella, passa un coup de brosse sur la baie, puis prit le temps de quelques gratouilles sur la nuque, avant de filer se cacher dans la sellerie. Elle avait sûrement laissé trainer un haut de rechange quelque part, et il était hors de question que qui que ce soit la voit dans un état pareil : les gens risquaient de se rendre compte que sa vie n'était pas si parfaite que ça, et ça c'était intolérable !