➳ cнεvαυх dε кιαяα

         La fille a tenu à panser et seller elle-même la jument. À croire que la propreté d'une monture peut l'aider à plaire... quoi que, même si j'accorde plus d'importance à ce qu'il y a sous la selle plutôt qu'à l'apparence d'un cheval, je dois avouer que l'alezane a fière allure. Une fois sortie de son box, je découvre que celle que j'avais désigné un peu au hasard possède en réalité une très belle morphologie. De plus, le moniteur chargé de notre séance m'a affirmé qu'elle est polyvalente mais surtout douée en obstacle. Moi qui voulais simplement l'essayer sans réel but, peut-être qu'au final la dénommée Aphrodite commençait à me plaire.

Me voilà donc, juchée à un mètre soixante au dessus du sol, en train de régler mes étriers. Le moniteur, en compagnie de Lou, est à l'extérieur de la carrière et se contente de nous observer, pour mon plus grand soulagement -je n'aurai pas apprécié s'il m'avait donné des ordres dès le début. Une fois assurée que la sangle est bien serrée, je presse doucement mes mollets contre les flancs de la jument. Selon le moniteur, garder les aides légères avec elle sera amplement suffisant; elle n'a pas la bouche dure mais n'est pas incroyablement sensible non plus. En bref, elle n'a pas l'air difficile, et cette impression se confirme tout au long de notre détente. J'effectue pour débuter quelques transitions simples incluant le pas, le trot et l'arrêt, et lui demande quelques figures basiques telles que voltes et doublés. Je découvre avec soulagement que je n'ai pas trop perdu la main, et que je me débrouille plutôt bien. Aphrodite se révèle également très coopérative; elle obéit à chacune de mes demandes, presque machinalement. D'ordinaire, je ne dis pas non à des chevaux avec un peu de feu sous la selle, mais reprendre l'équitation avec une monture docile est plutôt agréable.
Au bout d'un moment, je jette un coup d'oeil vers le moniteur.
« Vous semblez avoir un bon niveau, » déclare simplement le type.
Sans blague ! Je ne prends pas la peine de répondre et continue l'échauffement. Au bout d'un moment, lorsque je me sens plus à l'aise et en confiance, je place mes aides pour un départ au galop. Je mets quelques secondes à trouver mon équilibre et être en rythme avec l'allure de ma monture, mais le départ se passe plutôt bien. Me sentant hésitante, Aphrodite ralentit un peu et je dois la rassurer en pressant mes mollets contre ses flancs afin qu'elle se remette dans une allure correcte.
Après quelques simples tours de carrière au galop, je tente quelques figures, notamment des cercles, avant de faire ralentir la jument et de prendre les rênes à la couture afin qu'elle puisse entendre son encolure.
Lorsque je tourne la tête vers les deux personnes à l'extérieur, l'homme sourit tandis que Lou brandit les deux pouces en l'air. Je me contente de faire venir ma monture au pas jusqu'au duo. Comme le type, muet comme une carpe, semble attendre que je prenne la parole, je lâche:
« Elle est agréable. Mais j'aimerai bien la tester sur les barres pour m'assurer qu'elle me convienne.
- Bien sûr. »
Jouer la comédie m'amuse au plus haut point. Le moniteur a l'air sur de lui, certainement persuadé que je suis tombé sous le charme de l'alezane. Ce qui n'est pas faux, en soit; et ce malgré moi. Aphrodite semble vraiment être une monture pétrie de qualités, comment ne pas l'apprécier ?
L'homme tire quelques chandeliers puis installe deux obstacles; je hausse un sourcil face au ridicule croisillon qu'il m'indique et je suis tenté de sauter directement le second obstacle, un vertical plus imposant. Mais je sais qu'en équitation mieux vaut suivre les conseils des pros, alors je me résigne. Je reprends même le croisillon à deux fois, voulant corriger ma position, qui n'était pas excellente selon moi. Je retrouve cependant rapidement mes habitudes et le troisième passage sur la petite croix est bien plus aisé. Il faut dire que ma monture me facilite la tâche: il me suffit simplement de la diriger et de l'accompagner un peu pour qu'elle saute sans hésitation.
Le passage du vertical est lui aussi bien réussi, si bien que je le retente à l'autre main. Je reviens vers le moniteur au pas, tout sourire.
« Vous avez largement le niveau pour concourir avec elle, ça saute aux yeux.
- Elle me plaît bien, » je réponds simplement.
Qui t'as dit que je voulais faire de la compétition, gros malin ? Mais je garde ma réflexion pour moi et je me contente d'un grand sourire hypocrite. L'homme semble n'y voir que du feu car, trop heureux de pouvoir caser l'alezane, il me parle déjà affaires. Le prix semble dérisoire, largement acceptable si je monte régulièrement. Ce qui risque bien d'arriver étant donné que j'habite à deux pas. Je mets pied à terre et suis le moniteur jusqu'au bureau tandis que la jeune fille, réapparue comme par magie, s'empresse de me prendre les rênes d'Aphrodite des mains et de la ramener à son box.

La question ne franchit les lèvres de Lou qu'au moment précis ou j'apporte ma signature sur le bout de papier.
« Alors c'est vrai ? Honnêtement, je t'ai pas cru sur le coup. »
Je lève les yeux au ciel; tout simplement parce que j'ai changé d'avis entre-temps. Les quelques sensations que m'a procuré la jument durant cette séance ont suffit à me donner envie de me remettre à l'équitation. Et avec Aphrodite, cela promettait d'être plutôt agréable.

         Après un dernier coup de brosse sur sa robe alezane, la jument est propre. Je passe doucement un doigt sur la liste blanche qui orne son front avant de me détourner pour attraper le matériel. Je pose le tapis puis la selle sur son dos, glisse le mors dans sa bouche puis, après avoir réglé la sangle une dernière fois, je pousse du coude la lourde porte en bois et entraîne Aphrodite à l'extérieur.
Dehors, le temps est doux. Très agréable après ces deux mois de canicule, ou on ne pouvait monter à cheval sans ressembler à une fontaine en descendant. Je tripote les rênes du bout des doigts tout en menant ma jument à travers les allées des écuries, qui ne me sont pas encore très familières. Je finis pourtant par me repérer et débouche près de la carrière... qui est déjà occupée par une cavalière. N'ayant pas le courage de vérifier si d'autres infrastructures sont libres, j'interpelle la fille et lui demande si je dérange.
« Pas du tout ! Tu t'appelles comment ? »
Je répond brièvement en donnant simplement mon prénom, me concentrant sur ma jument pour l'arrêter et me hisser sur son dos, après quoi je jette un coup d'œil à la fille,qui a l'air d'être de mon âge et qui s'est remise à parler. J'espère qu'elle ne va pas m'embêter, je ne suis pas d'humeur à bavarder.
« Moi, c'est Clotilde. Tu es nouvelle, non ? Je ne t'ai jamais vu par ici, par contre je reconnais Aphrodite. »
C'est pas vrai. Je m'éloigne rapidement jusqu'à atteindre l'autre bout de la carrière, feignant de ne pas l'entendre lorsqu'elle me pose je ne sais quelle autre question. Je m'enferme, m'efforce de faire une bulle autour de moi pour pouvoir me concentrer uniquement sur Aphrodite.
Je commence par la détendre aux trois allures. Je m'applique, prend du temps, voulant découvrir peu à peu ce dont la belle était capable. J'inclue dans mon échauffement des figures de toutes sortes, voltes, diagonales et cercles. La jolie alezane est souple et c'est un vrai plaisir de la sentir s'incurver si facilement. Lorsque je tente quelques transitions, elle est réactive et n'attend pas pour changer d'allure, attentive à mes demandes. J'obtiens de tout aussi beaux résultats lorsque je passe à des transitions plus complexes, telles que le trot-arrêt puis l'arrêt-trôt. Je finis par caresser son encolure, un sourire aux lèvres.
Je tente ensuite un petit exercice de dressage, la cession à la jambe, d'abord au pas. Je positionne la jument parallèlement à la piste et m'aide de mes jambes pour lui faire rejoindre cette dernière. Ses pas sont timides, elle semble moins à l'aise. Je me note de travailler prochainement cela avec elle.

Le temps est vite passé. L'autre fille a quitté la carrière sans même que je m'en aperçoive, j'en profite donc. Je met pied à terre et noue les rênes d'Aphrodite autour d'un des piquets de la barrière, doutant cependant qu'elle aille bien loin, et j'installe deux obstacles en traînant des chandeliers sur la piste, mesurant la distance en comptant mes pas puis posant les barres. Rien de bien compliqué, il s'agit une petite puissance: le premier croisillon ne mesure pas plus que soixante centimètres, et le vertical derrière frôle les quatre-vingt. Aphrodite a du en voir bien plus dans sa vie.

Je récupère ma monture, me mets en selle puis je raccourci mes rênes tout en raffermissant ma prise. D'une pression de talons, j'ordonne le trot à la jument et lui demande d'abord de faire un tour de piste avant de placer mes aides pour un départ au galop. Je l'encourage en serrant les jambes et m'applique sur la direction. Aphrodite suit mes conseils à la lettre et franchit facilement le premier, puis le deuxième obstacle. Ses mouvements sont fluides et sa franchise me fait sourire. On sentait bien qu'elle a l'habitude, elle sautait comme une automate.

Je n'ai donc aucune difficulté à refaire la puissance, à l'autre main cette fois. Après quoi j'attrape les rênes à la couture et laisse l'alezane étendre son encolure et souffler. Lorsque, après avoir mis pied à terre, je reconduis la belle dans son box, je suis de si bonne humeur que je souris même à Clotilde en la croisant dans l'allée.