Retour en arrière

Retour en arrière.

Quelques jours étaient passés depuis j’étais rentrée au domaine. J’avais passé tout mon temps avec Lost et Andiamo qui étaient bienveillants et protecteurs avec moi. Il était temps pour moi d’affronter le regard de Valiant. J’avais la boule au ventre, m’approchant du paddock à reculons. C’est Grump It qui me reconnut en premier, venant donc à ma rencontre en trot, suivi par le beau gris. Je caressai le chanfrein du bai, prenant garde qu’il ne me fasse pas mal à mon poignet encore douloureux. Valiant s’approcha plus doucement, en quémandant tout de même des caresses. Je m’avançais vers lui, et le pris dans mes bras.

« Je suis tellement désolée mon garçon… »

Les larmes coulèrent le long de mes joues. J’étais si peinée et je m’en voulais énormément, mais Valiant ne paraissant pas m’en vouloir. Il était toujours le même, avec ce brin de malice dans les yeux. Les filles s’étaient bien occupées de lui, et il avait été régulièrement longé pour ne pas perdre en musculature. Je n’arrêtais pas de me dire que c’était bien pour lui, mais aussi pour son futur cavalier, qui pourrait reprendre très vite la compétition. Pourtant, je n’arrivais pas à poster les annonces. Elles étaient déjà rédigées, avec les plus belles photos que j’avais d’eux, mais il m’était impossible de cliquer sur le bouton « publier ». Je les aimais beaucoup trop, je ne pouvais imaginer ma vie sans eux.

Je caressais longuement l’étalon avant de lui mettre le licol, et je l’amenai dans l’écurie pour lui faire un bon pansage, se retrouver seule avec lui. Je pris tout mon temps, prenant chaque brosse une à une que je passais délicatement sur son corps, même si ce n’était pas facile pour une droitière d’utiliser seulement ma main gauche. Je ne m’en sortais pas trop mal, et l’étalon paraissait apprécier ce moment de calme et de retrouvailles. Je curai ses pieds en les tenant entre mes jambes puis vint le moment que je redoutais. Je pris ma brosse à crins et commençai par démêler sa queue, puis son toupet. J’hésitai un moment.

Toutes les filles m’avaient dit qu’il refusait catégoriquement qu’elles touchent sa crinière, juste à l’endroit où je l’avais tenu pendant notre chute, allant même jusqu’à se cabrer ou essayer de mordre. Je commençai par son garrot, et je remontai doucement en passant la brosse avec délicatesse. Je passai alors à l’endroit qui posait problème, mais le gris n’eut aucune réaction violente, au contraire, il tourna doucement la tête pour poser son nez contre mon bras, avec tout l’amour du monde. Une petite larme coula à nouveau le long de ma joue, je caressais mon petit Valiant, posant mon front contre le sien.

« Merci mon beau, merci d’être toi. »

Nous restâmes un long moment ainsi puis je repris ma brosse pour terminer sa crinière. Je décidai de l’amener un peu marcher en main, cela lui ferait probablement du bien de sortir un peu, mais ayant encore un peu de mal à marcher, je préférai lui mettre un petit filet afin d’avoir plus de contrôle au cas où. Je pris les rênes dans ma main gauche et sorti de l’écurie. Nous prîmes un des chemins en s’éloignant du domaine. L’étalon marchait pour l’instant tranquillement à côté de moi, les oreilles bien dressées, attentif à son environnement. Après quelques minutes, j’entendis le bruit des fers d’un cheval se rapprochait, alors je serrai un peu plus ma main sur les rênes, espérant que Valiant ne chauffe pas trop à l’approche de celui-ci.

Retour en arrière.

Je tenais fermement Valiant, j’avais peur qu’il s’emballe, et je n’avais pas assez de force pour le retenir. Cette sortie était une mauvaise idée, d’autant que le cavalier n’était autre que Tedrick, l’ancien propriétaire de mon gris. Je baissai la tête, honteuse, et je n’avais qu’une envie, faire demi-tour. C’est là qu’il commença à parler. Je sursautai, puis me trouva encore plus nulle, et je rougis jusqu’à devenir écarlate. Tu veux qu’on parle de quoi Tedrick ? De ma ridicule chute pour éviter un pauvre chien que ses maitres ne tenaient pas en laisse ? Des semaines de souffrances physiques et morales ? Du fait que je vais devoir vendre les êtres que j’aime le plus au monde car mon pauvre petit corps n’est plus capable de tenir le coup sur le dos d’un cheval ? Non, je n’ai pas envie de parler, encore moins de tout ça. Je me retenais de pleurer, la gorge serrée. Je respirais un grand coup, tout en caressant Valiant qui était resté sage malgré la présence de l’autre étalon.

« Euh… comme tu veux… »

Je n’avais pas la force de me battre, alors je préférais simplement me raviser, faire comme si tout allait bien.

Retour en arrière.

Tedrick mit pied à terre, amenant son étalon brouter dans la clairière un peu plus loin. Il s’assit finalement par terre, me faisant comprendre que je devais le rejoindre. Je ne savais pas si je devais être agacée qu’il ne me laisse pas tranquille ou heureuse qu’il m’accord un peu d’attention. Je déserrai la muserole de Valiant pour qu’il puisse brouter plus facilement et je les rejoignis. Mon gris n’attendit pas une seconde de plus pour profiter de la bonne herbe bien verte, et je m’assis, non sans mal, laissant échapper une grimace.

« Bein, ça va… »

Tout en tenant les rênes, le passer ma main par-dessus mon atèle, comme pour la cacher. Je savais pourtant très bien qu’il l’avait vu, alors je baissai la tête.

« Pour être franche, je me sens mal. J’ai honte et je m’en veux pour Valiant, il aurait pu super bien clôturer la saison si… »

Je repris mon souffle, la gorge serrée, une nouvelle fois.

« Je ne sais pas vraiment où j’en suis, ce que je dois faire ou non, tout est encore très flou… »

Retour en arrière.

Tedrick se montra plutôt gentil avec moi, même si je le sentais un peu nerveux, ce qui était loin de me rassurer. Je ne me sentais pas à l’aise, mais en même temps, je ne me sentais pas à l’aise dans mon propre corps que je trouvais à présent nul, faible et fragile. Le jeune homme ne cessait de regarder Valiant, et je n’arrivais pas à savoir ce qu’il avait en tête à ce moment. Heureux de voir l’étalon qu’il avait élevé en forme, ou inquiet quant à sa carrière sportive. Je ne savais pas si je devais lui dire que je ne pouvais le garder, j’avais peur qu’il m’en veuille, me voit comme quelqu’un qui ne saura jamais prendre soin d’un si bon étalon. Sa petite blague me parut pas si innocente que ça, c’est vrai que ma chute avait entrainé sa victoire. Je ne savais pas vraiment comment réagir, préférant ne rien dire. Mais intérieurement, cela sonna comme un coup de poignard, qui m’enfonçait, me disait une nouvelle fois que je n’étais pas à la hauteur des capacités de Valiant.

C’est alors qu’il me posa la question que je voulais le plus éviter. Ce dont je me souvenais. Me remémorer ces moments difficiles et douloureux. Je pris un moment avant de répondre, ne sachant pas comment aborder le sujet.

« Je… je me souviens que Valiant était parfait tout au long du parcours, il n’a pas hésité une seule fois, il ne faisait qu’attendre mes indications, prêt à sauter des montagnes. Il était si parfait. Une foulée avant le dernier oxer, j’ai vu ce chien, qui était juste à la réception de l’obstacle, et Valiant aussi l’a vu. Le temps qu’on réagisse, c’était déjà trop tard, il était dans la phase d’appel de son saut mais on a eu la même réaction, on a tout arrêté au même moment… On est tombé tous les deux, mon corps a été propulsé contre les barres et les chandeliers de droite. Dans la chute, j’ai attrapé la crinière de Valiant, je voulais le rassurer, lui montrer que j’étais là, et peut-être pour me rassurer aussi… Après, tout devient plus flou, je me souviens que j’avais affreusement mal partout. J’ai vu des gens accourir vers nous, enfin plutôt leurs jambes, et j’ai juste eu le temps de reconnaitre Aveline. Je savais qu’elle s’occuperait de Valiant, et après trou noir, plus rien, jusqu’à ce que je me réveille à l’hôpital… »

Je n’avais pas prêté attention, concentré sur mes paroles, et mes souvenirs si douloureux, mais les larmes coulaient à flot le long de mes joues. J’avais envie de m’écrouler, de tout laisser tomber, tout abandonner.

« Je suis désolée… »

Je me recroquevillais sur moi-même, prenant mes jambes dans mes bras et en cachant mon visage.

Retour en arrière.

J’étais bouleversée par le récit de Tedrick. Je m’en voulais de lui avoir remémoré ces souvenirs, je m’en voulais car j’aurai pu blesser son cheval, ou pire encore. Je ne savais comment réagir, j’étais plus que perdue, j’avais envie de me lever et de courir loi, très loin, ne jamais m’arrêter, de disparaitre… Mais je n’en avais pas la force. Je n’avais plus la force de rien.

« Et maintenant ? Je… Je ne pourrais plus jamais remonter à cheval… J’aime mes chevaux plus que tout au monde, mais je… ça serait trop égoïste de les garder, ils doivent continuer leur carrière, de grandes choses les attendent, choses que je ne peux plus leur offrir… Pourtant je n’y arrive pas… C’est trop dur de me séparer d’eux… Ils sont tout pour moi… Et, merci d’avoir été là pour Valiant, il est bien plus important que moi… »

Je ne pouvais retenir mes larmes, c’était trop douloureux, pourtant, ça l’était tout autant de m’effondrer ainsi. J’avais honte, tellement honte d’être dans un tel état devant lui, mais c’était la première fois que je parlais de tout ça, moi qui d’habitude gardait toujours tout pour moi. Il fallait qu’un jour tout ce que j’avais emmagasiné ressorte, et ça tombait sur le pauvre Tedrick qui n’avait rien demandé.

Retour en arrière.

Je ne savais comment réagir face à la réponse du jeune homme. Il paraissait si sûr de lui. Je regardais mon beau Valiant et je séchais mes larmes, et prenais de grandes respirations pour essayer de me calmer. Il devait me trouver ridicule à sangloter comme une enfant, il fallait que je sois plus présentable.

« Mais je… Je ne sais pas… Tu as sûrement raison… Amy ne devait pas reprendre l’équitation avant quelques semaines, pourtant elle ne s’est posée aucune question et est remontée en selle tout de suite… »

Je me redressais un peu, me penchant légèrement vers la tête du gris que je caressais.

« Je ne suis plus sûre de rien, sauf d’une chose : j’aime mes chevaux, et je ne veux pas, ne peux pas me séparer d’eux. Ils sont les seuls avec qui je me sens bien depuis mon retour de l’hôpital. »

Je ne savais pas dans quel état d’esprit je me trouvais, je me sentais toujours aussi faible, nulle, incapable, pourtant quelque chose était différent, était-ce une lueur d’espoir qui grandissant en moi ?

Retour en arrière.

Tedrick se leva alors je fis de même, m’aidant de Valiant. Me relever après être resté un moment assise était difficile et toujours un peu douloureux. Il me regarda alors dans les yeux, et son message me fit chaud au cœur. C’était une des premières fois qu’on m’encourageait ainsi, avec autant de sincérité.

« Merci Tedrick. »

Il remonta ensuite sur le dos de son cheval, et s’éloigna en me faisant signe de la main. Je le saluai également en souriant, et je restai planté là un moment. Pourquoi devrais-je arrêter de faire ce que j’aime le plus. Ça reste mon métier après tout. J’aime travailler avec mes chevaux, et je n’ai pas envie d’arrêter. Je ne me sens pas capable de monter maintenant, mais peut-être que dans quelques semaines ça ira mieux. Grâce au jeune homme, j’avais retrouvé l’énergie de me battre.

« Aller viens Valiant, il est temps de rentrer. »

Je l’incitai à me suivre, et nous quittâmes la petite clairière pour reprendre le chemin du retour, qui se fit à nouveau dans le calme, ma main droite posée doucement sur l’encolure de l’étalon.