Elément en carrière

La carrière du Haras de Pado était immense. Grande a faire peur même. Et justement, alors que j'amenais mon pie aux yeux bleus par là-bas, je le sentais qui montait en tension. Il observait l'univers défilant autour de lui, scrutant chaque coin du terrain de travail. Au moins son pas était actif, et il restait tout à fait contrôlable. Si je restais sur de moi et gardait confiance, tout se passerait pour le mieux. Par chance, quelqu'un avait déjà divisé le rectangle en deux avant nous. Avec le nombre de cavaliers fréquentant le lieu, ça devait être fréquent. Quoi qu'il en soit, je ne comptais pas utiliser plus du quart de ce terrain, normalement, sauf improvisation peut-être, mais encore... Je n'avais jamais été fan des immensités, je préférais les petits coins cosy, ou carrément l'extérieur. Sur mes pensées, je ressanglais Elément, qui avait bien gonflé son ventre au box, et ajustais mes rênes pour monter en douceur, sans lui faire mal au dos. Comme il partait sans que je ne lui demande rien, je dus me concentrer pour le remettre à l'arrêt tout en réglant mes étriers. Monsieur était donc si pressé ? Il fallait donc bien le détendre.

A travers tout son corps, je ressens le stress, la tension qui ne diminue pas, complètement sur ses gardes, tout en essayant de m'écouter quand même. Il est de bonne volonté, c'est déjà pas mal. Il faut que je le concentre sur ce qu'il fait. Longuement, je le fais marcher partout, dans une allure constante, un peu raide et rapide mais facilement contrôlable. Ca ne sert a rien de le fermer dans quelque chose de trop cadrer tout de suite, je l'incite d'abord à se détendre. Je cherche plutôt a le masser dans son mors, et à le plier sur des cercles. Il semblait à chaque fois tout surpris par mes initiatives, comme si il n'avait jamais fait de voltes ou de demi-voltes, alors que je savais très bien que oui. Le temps passait, et la tête du pie était à peine plus basse qu'au début. Pour détendre l'atmosphère, c'était pas encore gagner. Mais je ne pouvais me permettre de rester au pas pendant une heure, il fallait bien évoluer un peu et passer à autre chose. Je décidais donc de presser mes mollets pour le mettre au trot.

Moi qui m'attendait à un départ fulgurant, ou brusque, la transition se passa activement, tout en douceur. Ouf, bonne nouvelle ! Je lui fais conserver l'allure un moment, attentive à son souffle, pour évaluer un peu sa capacité de travail. Il est déjà moins raide que tout à l'heure et s'incurve bien sur les cercles, aux deux mains. Comme tout se passe bien et que la séance est déjà bien entamé, je décide de poursuivre avec l'échauffement au galop... Il n'est pas sur la main mais sa tête n'est plus en l'air, il m'écoute, ne tire pas sur les rênes, et de mon côté, tout va bien... Je fais au plus simple : au trot sur la piste, je le mets au galop dans un tournant. Il est toujours actif, bien réveillé mais pas très rapide. Ca me va, tant qu'il ne s'endort pas je m'adapte à son allure. Je commence a sourire, toute heureuse de retrouver cette sensation... Je sens alors le vent qui me caresse le visage, et j'entends les feuilles de l'arbre du fond de la carrière qui bruissent agréablement... Et je sens soudain une vive agitation sous moi.

- Hoolaaa Elément qu'est-ce que tu fais ?!!

Il n'en faut pas plus pour perturber le pie, qui subitement, en pleine ligne droite, accélère sur quelques mètres et me fait un bond en saut de mouton bien plus haut que la barrière. Complètement désarçonné, je m'accroche avec force dans ses crins, les jambes pendantes hors des étriers. Je décolle et ré atterris dans ma selle avec la grâce d'un pachiderme obèse, sans comprendre ce qui m'arrive. Je me sens glissé à gauche, mais comme je tire sur la crinière, je retrouve mon équilibre in extremis et par miracle, me rend compte que je ne suis pas encore tombé... Mais ça ne saurait tarder. Elément est comme un fou et a déjà eu le temps d'arriver à l'autre bout de la carrière, pourtant immense. D'un coup je ne le trouve plus lent du tout, et j'aimerais bien trouver les freins... Monsieur s'est complètement emballé et je l'encombre pour fuir, alors il lance un coup de cul brutal qui finit de me mettre à terre. Alors que je vole littéralement par dessus son encolure, il détale où il peut, c'est à dire... en tournant en rond. Mais quelle idée d’emmener un cheval peureux dehors, dès la première séance ! Le beau temps et le soleil, ça ne plait décidément pas à tout le monde, et surtout pas à Elément, qui estime que le vent est un vil traitre qui l'a pris par surprise pour le manger...

Je me relève en tenant mon dos qui me tire. Au moins, rien de cassé, mais pour une reprise, c'est plutôt violent... Très vite je pense a récupérer mon cheval avant qu'il ne se fasse mal. Par bonheur les rênes ne sont pas encore passer par dessus ses oreilles, et la selle n'a presque pas tourné. Ce qui me fait peur en fait, c'est plutôt sa folie : rien ne semble l'arrêter, il cherche toujours une issue, et frôle dangereusement les barrières et les chandeliers laissés ça et là par les cavaliers... Je siffle en le regardant, et tend ma main en l'appelant. Et surtout, je parle, je parle, je parle... Limite, je chante. Il faut l'appaiser à tout prix. Je ne vais pas le choper en route comme ça, tant qu'il s'obstine a foncer partout sans me voir. Donc, je lui signale que je suis là, que je suis calme et que moi, je n'ai pas peur. Alors pas de raison qu'il s'affole si je suis là. Enfin ça, c'est mon raisonnement humain mais lui, il me connait à peine alors, il en a pour ainsi dire pas grand chose a foutre. Mais tout de même, il finit par s'épuiser, et se rendre compte que je suis son seul guide. Il est peureux certe, mais heureusement qu'il aime les humains, sinon je serais pas rendu. D'un coup, il reprend le trot, et s'arrête net en à peine quelques mètres. Il souffle fort, regarde partout et notamment moi. J'en profite : je m'approche de lui d'un pas assuré, sans me cacher et sans gestes inutiles. A quelques mètres de lui, il se dérobe au trot sur le côté, puis s'arrête à nouveau et me fait face. J'ai tout juste le temps de choper les rênes. Il tente de fuir en tirant mais je lui parle en le caressant.

- Et là, tout doux grand, tout doux c'est moi... Y'a pas de méchant t'en fais pas.

Il semble enfin se calmer. Faut dire qu'après une course pareil, on ne peut guère avoir toute sa tête et être opérationnel. Il est tout retourné, et n'accepte pas bien mes caresses, mais il semble préféré ma présence à l'arrêt que sa course solitaire à travers la carrière. J'ai vraiment les boules au fond de mon ventre. Mais faut que je remonte, et qu'il ne perçoive pas ma peur. Je revérifie tout son harnachement, et je me hisse sur son dos. J'ai l'impression de mourir en m'asseyant, déjà parce qu'Elément me parait beaucoup plus grand qu'avant, et en plus parce que je sens mon dos brûler de douleur. Aller, juste quelques pas... Je fais ça vite et on en parle plus... Je remet mon cheval nerveux sur la piste, au pas. J'ai l'impression d'être devenu nul. J'essaye de lui faire prendre le trot puis le galop, et finalement c'est sans faire exprès que je passe directement du pas au galop. De toute façon il est tellement épuisé qu'il se traine, tout penaud, sur la piste. Je lui fais faire un cercle et l'arrête, descend et desangle la selle. Oui, c'était vraiment juste histoire de pas terminer mal, mais on a eu notre dose pour aujourd'hui, lui comme moi. De toute façon je n'arrive a rien en selle, je tremble trop et ne ressens même plus mes aides. Je le félicite tout de même, et nous reprenons à pied le chemin des écuries...

Le soleil a décidé de prolonger un peu ses vacances, et pointe toujours son nez en ce début d'automne. Bien que j'appréhende un peu les divers peurs qu'Elément pourrait avoir, il faut que nous en profitions. La dernière séance sur le plat en manège que nous avions faites s'était bien passé. Rien n'avait interféré entre ma monture et moi-même, et nous avions pu faire de belles choses ensembles. Monter dehors c'était multiplier ce risque d'interférences, mais il fallait le faire. Cette fois, je saurais comment rassurer la bête si ça se passait mal, en tout cas je l'espérais. Je commençais détendre au pas tranquillement, j'insistais beaucoup sur l'allongement car il me fait un cheval réveillé et tonique. Je demandais régulièrement des arrêts et des démarrages au pas, puis directement de l'arrêt au trot. Je continuais ainsi jusqu'à obtenir une réponse immédiate de sa part. Cette fois je ne me concentrais pas sur la mise sur la main, en fait, j'étais tellement concentré sur sa réactivité que j'avais un peu "oublié" cette étape là. Bon ce n'était pas très grave, tant qu'il était souple, à l'écoute et que je ne lui tirais pas la bouche. En saut, c'était mon défaut principal, de trop me raccrocher sur les rênes. Il faudrait que j'y fasse bien attention.

Je détendais au galop, en prenant soin de faire quelques cercles pour "vérifier" l'incurvation, et j'en profitais pour m'entrainer à la position en équilibre. Décidément tout ce qui concernait le saut à cheval, je n'étais pas très douée ! Toute penchée vers l'avant, j'avais presque peur de tomber toute seule. En tout cas pour le moment, Elément était encore attentif. Ses oreilles faisaient un peu paraboles en essayant de capter des bruits inexistants, mais au moins il faisait quand même attention à ce que je lui demander, plein de bonne volonté sans doute. Une fois bien travaillé aux deux mains, je repassais au pas et caresser, prenant un tant de repos avant l’exercice. J'avais installer une série de clavettis (5), et une toute petite croix large, le long du mur pour commencer. Je ne voulais pas me soucier ni de la direction, ni de la difficulté, il s'agissait simplement de revoir les bases de la position du saut et de faire des abords - réception corrects, sans faire mal à son dos et à l'allure voulu.

Je m'élance donc à main gauche, au petit trot contrôlé sur les barres au sol. Elément n'en touche aucune, et moi je reste en équilibre tout ce temps. Je le garde au trot pour aller sur l'obstacle, pendant tout le tournant. En fait, j'avais peur qu'il accélère mais il est un peu mou, alors le saut est inconfortable malgré la petite hauteur. Je n'arrive pas a le lancer au galop lors de la réception, donc je reste au trot et j'enchaîne tout de suite un second tour. Je repasse les barre et juste après, pendant le tournant, je l'allonge, en faisant attention de ne pas passer à l'allure au dessus. Ce deuxième saut est beaucoup mieux je réceptionne au petit galop, sur le bon pied. C'est bien je caresse. Je marche activement dans la carrière avant de refaire la même chose deux fois à main droite, et je change d’exercice. Au lieu d'un croisillon, j'installe un vertical, toujours de petite hauteur, et j'ajoute deux barres en "V", pour former un couloir dans lequel je devrais passer* (comme ça : couloir en "V"). Plus loin, en A et toujours contre la barrière de la carrière, je met un autre droit, où j'ajoute deux plots sous la barre, pour m'aider simplement a viser le milieu de l'obstacle.

Et c'est repartit pour un tour, j'ai aussi enlevé les barres au sol donc je m'élance au galop dans le tournant pour aborder mon 1er vertical à main gauche (donc le V) et... Houp là !! Voilà qu'Elément, jusqu'ici bien aux ordres, me fait un écart au dernier moment, juste avant le saut. Je crois que le couloir de barres le stress un peu. Alors c'est pas grave, je repars sur un cercle, m'assois le temps de bien me concentrer sur la direction et fait une rêne d’appui prononcé, pour qu'Elément ne s'échappe plus sur la gauche. Tout fou, il réception dans un galop effrené et nous fonçons sur l'obstacle suivant... Et HOUP encore ! Il refuse net en dérobant violemment sur le côté et m'arrache les rênes des mains. Malheureusement il part dans un grand trot bien tape-cul pour sa cavalière, alors je reprends vite tout ça et passe au pas pour me soulager de toutes ces secousses et émotions ! Ainsi donc voilà une nouvelle peur : les plots ! C'est fou, j'imagine des plots ailés assoiffés de sang de cheval... Non sérieusement, ils sont bien tordus ces chevaux !! Bon, c'est pas grave, on va refaire tout ça depuis le début. Je relance au galop sur un cercle, et je cadence, jusqu'à ce que je le sente bien.

A la vu du couloir en V, il accélère brusquement, espérant échapper à l'exercice, mais d'une voix "tout en longueur", je rassure, tout en maitrisant sur mes rênes. Tout cela est un peu brusque mais ça passe. Dès la réception je m'assois, contrôle, fait un cercle pour le calmer, et comme tout à l'heure j'attends qu'il soit vraiment "posé" pour continuer. Il commence a dérober, mais je fais une rêne d'ouverture pour mettre son nez à droite. Nous arrivons a passer mais il n'a pas aimé ça du tout, du coup dès que le saut se terminé, il force pour couper le tournant et revenir au milieu, encore dans un horrible trot très rapide. Je prends un trot enlevé et caresse très très fort pour lui montrer que c'est pas grave et que je suis contente qu'il soit passer. Je refais ça plusieurs fois toujours à la même main, et à chaque fois c'est le même cinéma... Mais l'important, c'est qu'à chaque fois ça passe, et qu'à chaque fois je félicite. Je pense qu'il est raisonnable d'ailleurs d'en rester là, avant que je tombe ou qu'Elément pète un câble. Ou ne se lasse, au choix. Il a déjà bien travailler, d'ailleurs c'est la première fois que je le vois transpirant à la fin de nos séances. Je descends et repars aux écuries lui donner une friandise et un pansage bien mérité.