Un renouveau11 novembre 2016
Ça a changé. Tout a changé. Depuis le jour où je suis tombée. Depuis le jour où je me suis réveillée dans du coton, dans une chambre aseptisée, le corps douloureux après de longues heures de sommeil artificiel.
J'imaginais que les chevaux ce serait définitivement terminé pour moi. Mais mes parents me connaissent bien et savent à quel point je les aime. J'ai arrêté pendant un an et demi. Jusqu'à ce qu'ils me fassent la surprise. Vous vous imaginez que j'allais recevoir un cheval qui vaut une fortune? Ou un teigeux indomptable que je réussirai à amadouer en deux regards? Non, non, c'est plus réaliste comme histoire.
Ils m'ont amené une semaine en vacances, dans le Sud. Au troisième jour à se dorer la pilule au soleil, ils m'ont proposé d'aller promener. Ainsi accompagnée de maman et papa, on parcoura quelques kilomètres en voiture. Et on s'est arrêté dans une écurie de campagne, dans la campagne. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant mes parents tout souriants et attentifs à mon égard. J'avais le coeur serré, je ne comprenais pas pourquoi nous étions là... Jusqu'à ce qu'un énorme frison noir sorte des écuries attelé à une jolie voiture de balade. Le meneur s'arrêta à notre hauteur et mes parents montèrent derrière. Vous vous imaginez bien que j'ai eu droit à la place d'honneur à côté du meneur. Et c'était donc la première fois de ma vie que j'ai pu mener un cheval en attelage. C'était de la bête promenade, mais je vous jure que les sensations sont fantastiques, vous ne vous imaginez même pas... Surtout quand on tient les guides.
L'automne était là, pleinement. J'avais passé mes deux derniers cours d'attelages à me geler les mains et les orteils malgré mes gants et le temps ne cessait de se rafraîchir. Autant vous le dire, ce n'était pas spécialement le jour le plus beau de la semaine, mais c'était congé. Je ne travaillais donc pas et... pour la première fois, j'avais de nouveau envie de planifier des choses. J'ai tapé sur internet l'écurie la plus proche dans le coin en début de semaine, par curiosité. C'était étrange, l'endroit semblait absolument fantastique et je ne l'avais jamais remarqué. Vous me direz, ça ne fait que 11 mois que je vis là mais tout de même, je commençais à connaître le coin.
Un endroit aussi idyllique méritait au moins une visite, alors je suis venue. Et je me suis même renseignée sur ce qu'ils proposaient ici. Je n'étais pas prête à remonter à cheval mais je faisais bien comprendre que ce qui m'attirait maintenant, c'était l'attelage. Et visiblement, ils avaient plusieurs chevaux à me proposer qui devraient convenir. Je ne voulais pas acheter mais ils tenaient à me les montrer, tel d'excellents vendeurs. On montre les produits les plus fabuleux pour vous donner l'eau à la bouche et vous n'avez qu'une envie : c'est de les acheter.
Malheureusement, ils ne disposaient pas réellement de chevaux de sport pour la discipline, comme je le rêvais depuis que j'avais commencé l'attelage. Il y avait un ou deux poneys, et deux-trois chevaux de traits. Ayant pris mes cours d'attelage avec des chevaux de trait la majorité du temps, je n'avais rien contre eux. Ni même les poneys. Mais je suis tombée nez à nez avec cet énorme bête. Daïquiri. C'était un nom de guerrier ça. Et la masse qu'il avait... Mon dieu... Pourtant... Il avait un regard étonnement doux et les naseaux bien chauds. Je me suis donc décidée. Je viendrais l'atteler de temps en temps quand mon emploi du temps et mon compte en banque me le permettrait.
Et c'est donc ainsi que je rentrais aujourd'hui dans les écuries avec la ferme intention de m'occuper de ce cheval taillé comme un body-builder (même s'il était plutôt bedonnant). En le sortant de son box à l'aide d'un licol éthologique (meilleure résistance) je sentais l'étalon s'échauffer dans le couloir, tout heureux de sortir et de se montrer. Heureusement pour moi, il restait tout à fait gérable et j'arrivais à la salle de pansage avec soulagement. Je le décrottais longuement avec une étrille en fer pour retirer toute sa saleté. Puis il n'est bien sûr pas rasé, comme je suppose qu'il n'est pas sorti énormément. Du coup bonjour les longs poils bien ennuyeux à brosser, pleins de boue.
Les écuries disposaient heureusement d'une voiture d'attelage et d'un harnais. Bien sûr, elle était très rudimentaire. Il n'y avait là de la place que pour une personne, même pas de porte fouet et elle n'avait même pas de freins. Je me demandais bien quelle sottise j'allais encore faire, c'était vraiment pas le top comme matos. Mais tant pis, je commençais à mettre le harnais sur Daïquiri qui se laissait faire en me regardant d'un air intrigué. Je galérais un peu pour lui mettre le collier parce que monsieur levait à chaque fois la tête mais sinon l'habillage se passait sans encombre. Et c'est là qu'intervient ma mère, venue spécialement pour moi. Je n'avais pas encore avoué à mon père que j'avais regardé après une écurie près de chez moi. C'est celui qui avait fondé le plus d'espoir lorsque mes parents avaient prévu ma toute première balade en attelage et c'était lui aussi qui a eu l'idée. Histoire que je garde un pied dans le monde des chevaux. Je ne voulais pas qu'il soit déçu si jamais j'arrêtais ou que l'essai ne soit pas fructueux.
Bon, mon cheval était prêt. Je l'amenais à la voiture d'attelage et ma mère tint l'étalon par la bride pendant que j'accrochais l'attelage derrière lui. Il piaffa un peu sur place puis se calma. J'eus à peine le temps de monter sur la voiture que le cheval partait déjà, heureux de sortir. Je reprenais vivement les guides pour l'obliger à s'arrêter. Il était d'autant plus dangereux en attelage de perdre le contrôle sur son cheval, puisque l'attelage suivait, ça pouvait faire d'énormes dégâts. Ma mère me rejoignit sur la voiture et nous étions partis.
Au retour, le cheval de trait était trempé malgré vingt longues minutes de pas pour qu'il récupère. Je n'avais pas voulu faire long mais le temps de faire une promenade un peu potable, il fallait déjà aller un peu plus loin... Je le dételais pendant que ma mère le tenait de nouveau puis je le rentrais à la salle de pansage où je retirais tout le harnais sans attendre. Je lui enfilais une couverture de séchage un peu trouée, le haras n'avait que ça à disposition pour un si gros gabarit comme lui. Je lui flattais l'encolure amicalement et le ramena au box où l'attendait sa ration du soir. Il se jeta dessus comme la misère sur le monde et j'ai peiné à lui retirer le licol comme il avait son gros museau dans la mangeoire.
«
Gros bouffon va. »
Mais c'est que je le gênais en plus! Il tapait du pied et me donna une fois un petit coup de tête. Je réussis à lui retirer le licol et sortis du box. Dehors il faisait déjà noir et le vent était encore plus frais et vigoureux. J'étais bien heureuse de rentrer chez moi car bientôt j'allais perdre mes doigts de pieds mais j'étais contente. Et c'était le principal. Je ne regrettais pas d'être venue.