Old Fashioned - trakehner (é)

INTRODUCTION

Charlie était silencieuse dans la voiture. Assise du côté passager, elle observait les champs qui défilaient en continu, paysage typique de cette région de l'Irlande. Pourtant, elle parlait habituellement. Mais même si elle ne l'avouait pas, elle avait sacrément du mal à se remettre de la soirée de la veille. La rouquine avait frôlé de peu la gueule de bois, et s'en sortait avec un gros mal de crâne que même l'aspirine avait décidé de ne pas affronter, et un esprit embué. Sean avait eu du mal à la tirer hors du lit, mais sa promesse d'une "énorme surprise" avait finalement fait mettre un pied hors de la couette à la jeune femme, qui avait vaillamment accompli toutes les petites tâches du matin avant de sortir pour être revigorée - ou frigorifiée - par le vent glacial de l'hiver. Ils roulaient depuis une quinzaine de minutes désormais et Sean, qui conduisait, fredonnait un air que Charlie ne reconnaissait pas. Ce mutisme réciproque était agréable, et le jeune couple n'avait pas besoin de parler constamment pour s'apprécier. La rouquine jeta un regard en coin à son copain, qui persistait à garder le secret, ne dévoilant rien de plus sur la fameuse surprise. Sean était concentré sur la route, et après l'avoir observé quelques secondes - qu'est-ce qu'elle l'aimait ! -, Charlie redirigea son regard vers la fenêtre. Elle sirota une gorgée de son café, et se rendit compte que ce n'était pas une si bonne idée vu son état, alors elle se contenta de le garder entre ses mains pour les réchauffer. Quelle soirée, ce réveillon ! Ils étaient allés au bar, elle, Sean et quelques amis, et avaient bu plus que de raison, avant de se retrouver au bord de la plage. Charlie avait sortie sa guitare, et la dernière chanson qu'elle se souvenait d'avoir joué et chanté d'une voix déjà bien tremblante était Snap. Puis, on lui avait tendu une bière - la combientième ? Elle ne s'en souvenait pas. - et le reste de la nuit était encore flou dans l'esprit de l'irlandaise pour le moment.
Tandis qu'elle ressassait ses excès, elle se rendit compte que Sean s'était engagé dans un petit chemin de terre et, bientôt, ils atteignirent une sorte de ferme. Un regard vers les champs où se baladaient quelques chevaux indiqua très rapidement à Charlie qu'il ne s'agissait pas d'une ferme, mais d'un haras. Elle fronça les sourcils et se retourna vers Sean.
«Et voilà ! On y est !, lâcha ce dernier avec un air fier.
-C'est un haras., constata Charlie, et elle fut étonnée de voir que sa voix était encore audible.
Sans lui répondre, Sean descendit du véhicule, et vint lui ouvrir la porte, avant de l'inciter à descendre. Charlie hésita une seconde, puis se décida à le suivre. Elle leva les yeux au ciel en voyant le sourire de son copain, qui avait toujours cette expression sur le visage lorsqu'il s'apprêtait à lui offrir quelque chose qui lui ferait extrêmement plaisir. Elle décida de jouer le jeu et, prenant la main qu'il lui tendait, s'engagea à ses côtés vers ce qui était probablement le bâtiment des écuries. Tandis qu'ils commençaient à errer au milieu de rangées de boxes où s'alignaient des chevaux de toutes tailles, robes, et races, Sean reprit la parole.
-Alors, tu m'as parlé plusieurs fois des années où tu montais à cheval, quand tu étais ado, et il y a peu de temps, je t'ai vu regarder tes vieilles photos., commença-t-il. Donc je me suis dit: et si je lui permettait de revivre ce genre de choses ? Et quoi de mieux pour un nouveau départ, ou plutôt une nouvelle activité, que la nouvelle année ?
Charlie s'arrêta net et le fixa d'un air incrédule, ne sachant si elle devait trouver son attention adorable ou s'énerver en devinant ce qu'il avait probablement fait.
-Tu n'as pas ... ?, hésita-t-elle.
-Non, non ! On est clairement pas assez riches pour ça, je ne t'ai pas acheté de cheval., la coupa aussitôt son copain avec un petit rire. Mais ...
Il s'arrêta devant un box et se tourna vers Charlie, avant de montrer l'occupant de la stalle du doigt.
-Je te présente ta nouvelle demi-pension., conclut-il.
La jeune femme n'en croyait pas ses oreilles et, quand elle se rapprocha pour apercevoir le cheval, elle n'en crut pas ses yeux non plus. Elle ouvrit la bouche, ne sut quoi dire, la referma, puis l'ouvrit de nouveau.
-Il est sublime !, finit-elle par souffler.
Sean passa son bras autour de ses épaules et la serra contre lui, admirant aussi l'animal.
-Il s'appelle Old Fashioned et c'est un trakehner de six ans., dit-il.
Old Fashioned - dont Charlie songea qu'il faudrait absolument lui trouver un surnom plus agréable à l'oreille - était un bel étalon alezan. Sa robe brillait, signe que quelqu'un venait de le brosser pour qu'il soit présentable. Le trakehner possédait une liste bien régulière et une seule balzane au membre postérieur gauche. Charlie ne se lassait pas d'admirer sa demi-pension. Elle ne réalisait pas encore qu'elle allait de nouveau monter à cheval et redécouvrir cet univers. Envoûtée par l'alezan, elle tendit la main vers lui et attendit patiemment. Old Fashioned l'observait d'un regard profond, l'étudiant longuement. Il finit par tendre la tête pour renifler la main de la rouquine, qui retint son souffle. L'air chaud qui sortit des naseaux de l'alezan vint chatouiller la paume de sa main, et elle afficha un sourire. Mais, après cette première tentative de contact, l'étalon recula la tête et reprit sa posture initiale, analysant la jeune femme avec tranquillité.
-Il est plutôt prudent, d'après ce qu'on m'a dit de lui, mais très gentil quand il fait confiance à quelqu'un. Il faudra l'amadouer un peu., confia Sean.
Il déposa un baiser sur la tête de Charlie, et elle se tourna vers lui pour l'embrasser plus franchement.
-Merci beaucoup., murmura-t-elle quand leurs lèvres se séparèrent.
Émue, elle n'avait pas les mots, et rageait de ne savoir dire à quel point elle lui était reconnaissante pour ce cadeau et juste pour sa présence au quotidien. Sean la connaissait cependant, et il sourit en lisant tout cela dans le regard de Charlie.
-De rien. Bonne année et à nos nouveaux projets !», lança-t-il en faisant semblant de lever un verre.
Ils restèrent enlacés un petit moment devant le box du trakehner, qui ne les lâchait pas des yeux. Puis, quand le cheval commença à se lasser de cette observation et retourna à ses occupations, le jeune couple décida de le laisser tranquille et de reprendre la route. Charlie se sentait bien réveillée désormais, et la soirée bien arrosée lui semblait bien loin. Sur le chemin du retour, tandis qu'elle observait les champs de l'autre côté de la chaussée, elle s'imaginait galopant sur le dos d'Old Fashioned à travers ces grands espaces.

JOUR 1.1

C'était seule que Charlie s'était rendue au haras cette fois. Elle avait fini les cours à midi, et était partie directement en sortant de l'université. Son week-end ayant été chargé, elle n'avait pas vraiment eu le temps de faire connaissance avec sa nouvelle demi-pension, mais elle comptait bien honorer le cadeau de Sean, et avait donc acheté du nouveau matériel d'équitation, qu'elle portait dans l'optique de monter le trakehner. Elle entra dans l'écurie avec sa tenue flambant neuve et se dirigea vers le box d'Old Fashioned. Quand elle arriva devant la porte, l'alezan mâchouillait son foin d'un air tranquille. Il tourna les oreilles, puis la tête dans la direction de Charlie et l'observa calmement. La jeune femme ouvrit la porte et entra dans la stalle de l'étalon. Le trakehner s'immobilisa, attendant la suite. Quand Charlie approcha sa main, il la fixa d'un air sceptique, mais ne recula pas. La rouquine fit alors un pas supplémentaire et put enfin toucher l'alezan. Elle lui caressa doucement le chanfrein, tandis qu'il la surveillait attentivement du coin de l’œil. Après une minute, il sembla décider qu'elle ne présentait aucun risque et se remit à manger, lui accordant sa confiance.
«Tu vois qu'on peut s'entendre ?, lança Charlie.
Elle était soulagée. En le rencontrant, elle avait pensé que l'étalon était un grand craintif et qu'elle ne pourrait pas l'approcher avant un moment, mais maintenant qu'elle le caressait, elle se rendait compte qu'il était juste prudent et pas très avenant. Mais c'était un bon départ, et la jeune femme savait qu'il fallait du temps pour nouer un lien avec certains chevaux. En tout cas, elle avait hâte de voir Old s'ouvrir petit à petit à elle. Tandis que l'alezan continuait à s'alimenter, elle alla chercher une étrille pour le dépoussiérer un peu avant de le monter. Elle le brossa dans son box, et découvrit une nouvelle caractéristique de l'étalon quand elle passa l'étrille sur certaines zones sensibles qui le faisaient taper du pied ou se retourner en protestant. Le trakehner était un grand chatouilleux. Charlie prit note de cet aspect pour s'en souvenir lors de son pansage post-séance. Quand elle eut terminé, Old s'était enfin détourné de son filet de foin. La jeune femme en profita pour lui mettre un licol et l'emmener hors de son box. L'alezan lui emboîta le pas avec docilité, et il se laissa attacher dans le couloir et attendit patiemment que Charlie aille chercher son équipement.
La rouquine revint avec tapis, selle, filet et guêtres. Elle avait aussi amené un bonnet, ne connaissant pas encore la sensibilité et la capacité de concentration de sa demi-pension. Elle commença donc par poser le tapis sur le dos de l'étalon, avant d'y superposer la selle. Quand elle en resserra la sangle, Old renâcla et tapa du pied. Charlie continua son opération avec plus de délicatesse, et l'étalon cessa de protester. Elle lui posa les guêtres et le bonnet sans aucun souci, avant de terminer par le filet, l'échangeant avec le licol. Old Fashioned était désormais prêt à être monter, et Charlie impatiente de le découvrir sous la selle. Sans attendre, davantage, elle prit les rênes et commença à se diriger vers la sortie de l'écurie, menant le trakehner.
-Allez viens, on va faire un petit tour dans la carrière.», l'encouragea-t-elle.

RÉSUMÉ 2

Une petite pochette dans les mains, Charlie se rendait aux écuries. Elle se sentait un peu bête de se promener avec cela, surtout pour les montrer à un cheval, mais après tout, il avait fait partie de cette expérience. Arrivant devant le box d'Old Fashioned, elle salua l'alezan d'une voix joyeuse, mais sans le caresser. Le trakehner vint la voir à la porte et ils se contentèrent de s'observer, même si il démangeait à la rouquine de caresser son cheval. Finalement, pour s'occuper les mains autrement, elle entreprit d'ouvrir la pochette, délicatement de peur d'abîmer son contenu. Quand elle sortit finalement les photos de leur emballage, elle fut émue par la beauté des clichés. Elle avait vu les photos brutes lorsqu'elle avait fait sa sélection, mais avait préféré garder la surprise du résultat final. Et tandis qu'elle passait en revue les photos une par une, les faisant glisser dans ses mains avec prudence comme si elles n'avaient pas de prix, elle ne cessait d'admirer le talent de la photographe. Chaque cliché dégageait une douceur incroyable, et traduisait un lien encore en construction mais déjà profond entre la cavalière et son cheval. Charlie les montra à Old Fashioned, et l'alezan leur jeta un regard intrigué mais désintéressé.
«Pas mal, hein ? Je trouve qu'on a assuré comme modèles., lança Charlie.
Les oreilles de l'étalon pivotèrent sur son crâne. Il se secoua et, après avoir rangé soigneusement les photos dans son sac, Charlie lui tendit une friandise. Tandis qu'il la mangeait, elle jeta un regard rapide au panneau d'affichage de l'écurie, qui se trouvait tout près du box de l'alezan. Une affiche haute en couleurs attira immédiatement son attention, puisqu'elle n'était pas là la semaine d'avant. Elle la lu rapidement. Le haras organisait un concours de saut avec l'arrivée du printemps. Il s'agissait d'un petit concours local, et sous l'affiche avait été placardée une fiche d'inscription pour les cavaliers du haras. Une dizaine de duos y figuraient déjà. Charlie fixait l'affiche, pensive. Elle avait toujours rêvé de faire de la compétition, mais n'en avait jamais eu l'occasion pour des raison diverses et variées. Depuis sa rencontre avec Old Fashioned, elle l'avait monté régulièrement et avait repris le saut. Mais elle ne s'était pas projetée plus loin que cela, pensant qu'elle n'aurait pas le temps de s'investir dans les concours, malgré son envie de le faire. Mais cette opportunité était un véritable cadeau. Le concours avait lieu à domicile et elle n'aurait pas besoin d'organiser le moindre transport. C'était une occasion en or pour la rouquine. Elle retourna auprès d'Old Fashioned et observa l'alezan. Il lui rendit son regard, empli de son calme et de sa sagesse habituels.
-Qu'est-ce que tu en penses ?, lui demanda Charlie.
Bien que son cheval ne puisse évidemment par répondre, Charlie décela une certaine détermination dans son regard. Soudain, elle eut une certitude: ils devaient tenter le coup. Elle devait se lancer dans ce projet, ce rêve de toujours. Et si cela devait s'arrêter juste après ce concours, elle aurait au moins essayé et vécu une expérience incroyable avec son cheval. Charlie sourit, et fouilla son sac. Elle finit par trouver son stylo et retourna face au tableau d'affichage. Là, elle inscrit son nom, puis celui d'Old Fashioned à côté. Voilà, c'était fait. Ils étaient engagés dans le concours de saut du haras. Revenant aux côté de l'alezan, elle se sentit soudainement plus motivée que jamais, et heureuse de ce choix.
-On va assurer, tu vas voir !», confia-t-elle au trakehner.
Sur ces mots, elle passa encore quelques minutes à ses côtés, avant de finalement rentrer chez elle. A sa prochaine visite, ils s'entraîneraient pour le concours. Ils avaient deux semaines pour être au top de leurs capacités.