box de Providence

Depuis quelques semaines, des fly au sujet d’une vente de chevaux assez particulière étaient affichés partout dans le Haras de Pado et en ville. Cette immense vente internationale se trouverait à deux heures de route environ, dans un haras très prisé qui ouvrait très rarement ses portes à l’extérieur. De nombreux chevaux, appartenant au haras en question où à des particuliers provenant de plusieurs états et pays différents, se retrouveraient exposés à la vente. Cet événement était une première, et on ne parlait plus que de ça. Les chevaux proposés, pour ceux dont c’était possible, seraient exposés montés par des cavaliers afin que chacun puisse admirer leur potentiel. J’avais décidé d’y faire un tour avec Roxane et Louise, entre filles. Nous étions très excitées à l’idée de cette vente et chacune de nous avait hâte. Cela commencerait à 6h du matin pour se terminer aux alentours de 19h.

Le jour J était enfin arrivé. Vers 5h du matin, nous prîmes la voiture avec le van afin de nous rendre dans ce haras. Le van, au cas où, parce qu’aucune de nous n’était dupe. C’était pratiquement sûr que nous ramènerions au moins un cheval. Peut être même plusieurs ! Le trajet fut animé, discussions et éclats de rire alimentant notre hâte. Vers 7h30, nous arrivâmes, un peu en retard à cause des bouchons. Le haras bourdonnait déjà d’activité au moment où nous abandonnâmes la voiture dans un champ transformé en parking pour l’occasion. Des gens allaient et venaient dans tous les sens, accompagnés ou non par des chevaux. C’était à peine moins grand que le Haras de Pado mais, prévenant, les propriétaires avaient installés des panneaux afin de nous orienter. Roxane, pourtant de nature réservée, bondissait d’impatience à côté de moi, son enthousiasme étant contagieux. Plus exubérante, j’avais moi aussi envie de sauter partout. Etre entourée d’autant de chevaux… Le rêve !

Nous commençâmes par la carrière d’obstacles. Les chevaux présentés avaient déjà commencé le travail. De nombreux obstacles étaient montés mais pour l’instant, personne ne sautait, tous s’échauffaient. Vers 8h, le présentateur commença à présenter le premier cheval. Un bai de 5 ans, qui déroula un parcours presque nickel à 1m. Les hauteurs montèrent et les chevaux se succédaient. Les gens observaient, des gradins montés pour l’occasion. Si la majorité étaient magnifiques, aucun ne me provoqua de coup de coeur. Un moment plus tard, il était 10h à ma montre, les chevaux, toujours sellés, attendaient d’être essayés par différentes acheteurs potentiels. Louise commentait tel ou tel cheval, ses yeux d’expertes repérant des choses qui nous échappaient à Roxane et à moi. Ses connaissances nous seraient très utiles un de ces quatre ! J’appréciais ce côté logique et détaché chez Louise, dont le passé témoignait une grande expérience mêlée à une douleur certaine. Depuis Claw, elle avait largement repris confiance et acceptait désormais de monter d’autres chevaux, même des inconnus. Lorsque les gradins se vidèrent, tous les chevaux ayant été présentés, nous allâmes faire un tour dans la carrière afin d’observer de plus près les chevaux et les essais par des cavaliers provenant de partout. Mais ce qui devait arriver arriva et Louise fut bientôt reconnue par plusieurs personnes. Approchée de partout, on lui demandait conseil sur tel ou tel cheval, exigeant qu’elle partage son expérience ou exprime son avis. Avec une patience que je ne lui connaissais pas, elle répondait à tout le monde, encourageant chacun à se fier à son propre jugement plutôt qu’au sien. Un vendeur lui proposa son cheval, mais elle expliqua qu’elle avait déjà un cheval et n’en avait pas besoin d’un autre. Les questions basiques lui furent posées par rapport à son retour en compétition et à ce cheval dont personne n’avait entendu parler. Alors, elle prit une grande inspiration et avoua s’être inscrite à une compétition de CSO à 1m40 afin de se remettre dans le bain.

« Je suis contente que tu te décides à reprendre la compétition, Louise. Tu mérites de réussir et de passer à autre chose, et Claw et toi allez faire des miracles. Il te suivra au bout du monde ! » fis-je à mon amie.

Son regard perçant se posa sur moi et un sourire apparut sur ses lèvres. Et elle me sortit un truc auquel je ne m’attendais pas du tout.

« Il est temps pour toi de trouver la relève de Djouboy, qui approche à grand pas de la retraite définitive. Allons te trouver un cheval qui bousculera tes habitudes ! Je pense qu’un cheval polyvalent mais concentré sur une discipline qui exige du contrôle, de la discipline et de la patience ne pourra que te permettre de progresser et d’améliorer tes propres talents ! Cependant, tu apprécies le changement donc je pense à un cheval en partie formé mais encore vert dans le travail, à faire à ta main… Tu sais quoi ? C’est Roxane et moi qui allons choisir ta future monture ! »

Je regardais Louise comme si des cornes lui avaient poussé sur la tête. Un cheval choisi par d’autres ? Je fonctionnais pratiquement toujours au coup de coeur, comme ma meilleure amie. Je songeai qu’elle me soutiendrait mais quand je me tournai vers elle, Roxane ajouta qu’effectivement, elle me verrait bien avec un cheval au doux caractère, déjà en partie formé, qui me ferait du bien. Cela m’obligerait à me diversifier. Je montais tellement de poulains ou de chevaux difficiles que j’avais l’habitude de me montrer ferme et douce, mais je devais toujours gérer les choses pour pallier au manque d’expérience ou au sale caractère de mes montures habituelles.

«  Tu te concentres toujours sur le cheval, pour lui apprendre les bases. Les débourrages, les apprentissages, le travail des bases… Tu es parfaite là dedans. Mais du coup, tu ne t’es jamais concentrée sur une discipline en particulier afin de progresser bien plus loin. Ou tout simplement de voir une évolution avec un cheval que tu vas garder, comme Louise avec Claw, ou Phénix et moi. Même Maxime a choisi Ceridwen pour monture habituelle afin de progresser. Djouboy est un cheval compliqué avec qui tu dois souvent te battre, donc difficile de pousser vos capacités au maximum. Et Cartoon est un poney un peu malicieux adorable au bon potentiel mais qui n’entraînera pas une progression extraordinaire puisqu’il possède déjà trop d’expérience et de polyvalence. Là, Louise et moi allons te trouver un cheval qui possède un très bon potentiel dans une seule discipline, même si il est un minimum polyvalent, mais qui débute, afin que tu le formes et que tu te formes en même temps. Qui sait, peut être que vous ferez des miracles, d’ici quelques années ! » m’exposa Roxane.

Bien que mon instinct me crie de me rebeller, j’avais une confiance aveugle en Roxane et même si je connaissais moins bien Louise, c’était une fille que j’appréciais beaucoup et dont j’avais déjà vu l’instinct en oeuvre.

« D’accord. Je vous fais confiance. » répondis-je.

Les filles se regardèrent.

« Dressage ? fit Louise.
- Beaucoup d’évolution, toujours essayer de trouver la perfection… Patience, décontraction, détermination parce que toujours quelque chose à améliorer… Le dressage, c’est parfait pour Cat’ ! » répondit Roxane.

Nous nous dirigeâmes vers la carrière ou plusieurs chevaux exécutaient des mouvements simples ou complexes, avec leurs cavaliers. Le présentateur exprima que d’ici une demi-heure, les chevaux pourraient être essayés. Il refit un rapide tour des différentes montures proposées. Je les observais tous et mon regard fut attiré par un superbe noiraud aux reflets presque bleutés. Les filles se concertaient mais je ne les écoutais pas, subjuguée par l’étalon.

« Je suis d’accord, elle doit l’essayer ! » répondit Louise à une phrase de Roxane que je n’avais pas entendue.

Je pensais que c’était à propos de l’étalon noir que je regardais alors que les filles observaient une grande ponette palomino. Presque une petite jument. Je fus un peu désappointée, voir même déçue, de voir qu’elles choisissaient plutôt une ponette que je n’aurais, en temps normal, sans doute même pas regardée. Un regard trop doux, un caractère qui semblait trop bon…

« Euh… Ce n’est pas vraiment mon genre de cheval. »

Les essayages étant ouverts, les filles ne tinrent pas compte de ma protestation et me conduisirent vers la jument, sans me laisser le choix. Elles prirent quelques renseignements alors que j’observais la jument et son doux regard curieux. Ses fines oreilles, en mouvement presque constant, semblaient analyser chaque bruit. Les filles et le propriétaire arrivèrent et le cavalier mis pied à terre, avant que Roxane ne me lance un « en selle ! ». On me tendit une bombe puis je montais sur le dos de la jument, avec toujours ce sentiment de déception que j’essayais de dissimuler de mon mieux aux filles.

Je réglai mes étriers assez longs pour du dressage puis je vérifiai la sangle. La jument étant montée en mors simple, j’ajustai mes rênes et mis doucement des jambes. La palomino prit d’elle-même un bon pas actif, particulièrement confortable. Je fermai les yeux quelques secondes, puis je décidai de faire contre mauvaise fortune bon coeur et de profiter de l’expérience. Après tout, c’était justement parce qu’elle ne ressemblait pas à mes montures habituelles que les filles l’avaient choisies. Je commençai l’essai par la faire marcher tranquillement au pas, m’habituant à ses allures, puis je commençai à travailler rapidement sur l’incurvation. Fiable, la jument obéissait parfaitement à la moindre demande de ma part. Elle se poussait, s’enroulait, s’incurvait, changeait le pli… Sans insistance de ma part, avec juste une très légère commande. Ca me changeait considérablement des jeunes ou chevaux difficiles que je montais et avec qui il fallait insister pour la moindre demande. Au début, j’exagérais mes demandes par habitude mais au bout de plusieurs essais, je finis par trouver un bon compromis avec la jument… dont j’ignorais au final jusqu’au nom ! Mes demandes deviendraient plus légères au fur et à mesure mais chassez le naturel et il revient au galop. Pour aujourd’hui, je faisais des efforts pour être légère et douce mais je devais me concentrer. La palomino, elle, se montrait tellement agréable… Elle acceptait mes demandes plus fortes que celles qu’elle devait sans doute recevoir d’habitude sans broncher, elle faisait de son mieux sans insistance de ma part, réfléchissait… Lorsque je passais au travail au trot, je fus littéralement transportée dans un autre monde. En vrai fauteuil, elle avait un trot souple et délié. Les exercices que je lui demandais étaient maîtrisés à la perfection ou presque. Jamais je n’avais fait d’aussi belles épaules en dedans ou des déplacements latéraux aussi propres. Le galop se montra à la hauteur de ses deux autres allures. Je terminai l’essai quelques étirements puis je la fis marcher rênes longues, avant de revenir vers les filles, dont le sourire était contagieux.

« On la prend ! » fit Roxane au propriétaire, qui acquiesça et demanda à ce qu’on apporte les papiers.

Louise me précisa qu’elle était parfaite pour moi. En habituée, elle m’expliqua que la jument m’obligerait à me faire plus douce et plus fine et précise dans mes demandes, et en même temps, qu’elle me permettrait d’aller bien plus loin dans le dressage. Elle m’expliqua qu’il s’agissait d’une jument de 5 ans, Providence, de race allemande et toisant 1m46, uniquement montée en dressage et quelques balades à son actif. Elle avait vu les barres une ou deux fois pour du saut mais c’est tout. Par contre, elle maîtrisait les barres au sol. Elle avait un travail poussé en dressage de basse école et commençait la haute école mais elle avait encore énormément à apprendre. Louise ne m’informa pas du prix lorsque j’en m’en enquis, m’expliquant que c’était un cadeau de sa part et de celle de Roxane. Cette dernière avait déjà payé la jument et Louise lui avait donné le chèque correspondant à la moitié de la somme requise. Je voulus protester mais Louise me fit taire d’un regard, comme elle en avait l’habitude.

Je mis pied à terre et le premier cavalier dessella la jument. Je troquai le filet contre un licol et une longe « gracieusement offert » puis nous partîmes en direction du camion. En réfléchissant, je remarquais que ma déception avait entièrement disparu. J’étais plutôt contente de la jument qui me suivait. Providence. Elle marchait parfaitement à la longe, son épaule à mon niveau. Elle s’adaptait à mon rythme, ne me dépassait pas d’un iota, ne me poussait pas, respectait ma bulle…

« Je crois qu’avec toi, je vais apprendre le sens du mot profiter… » fis-je en flattant l’encolure de la belle palomino.

Arrivées au van, nous lui fîmes un rapide pansage puis nous lui enfilâmes des protections de transport. Providence monta sans faire d’histoire et nous refermâmes le pont, avant de quitter le haras. Deux heures plus tard, arrivés au Domaine, je fis descendre ma nouvelle acquisition et la conduisit dans un box, déjà prêt. Louise était allée ranger le van et Roxane remercia Maxime pour le box. Il observa la jument puis les deux s’en allèrent. Je retirai les protections de la jument puis son licol et lui donnai une pomme, gracieusement posée sur le porte selle devant son box. Elle la mangea avec plaisir, son doux regard fixé sur moi. Je refermai la porte puis l’observai manger sa ration.

« Finalement, toi et moi nous allons bien nous entendre. » fis-je doucement.

Codage par Libella sur Graphiorum