Quelques hennissements accueillirent mon arrivée au Domaine des Valkyries. Vu l’heure, je me doutais que je n’étais pas directement concernée… Je me dirigeai vers la graineterie et rempli un seau avec des granulés, avant de commencer à distribuer les rations. Il ne me restait plus que Malteser et Djouboy, ainsi que Véga, la Mustang de Catriona qui squattait toujours le rond de longe. Je me dirigeai vers l’appaloosa quand une voix interpella Roxane, l’une des propriétaires.
« Vous êtes la propriétaire de ce domaine ? »
Je la vis se retourner, perplexe, avant de gratifier l’homme en costume - qui se met en costume pour venir dans une écurie ? - d’un « l’une des trois, oui. Et vous êtes ? » bien senti. Il se présenta comme étant un notaire… Je décrochai et continuai à nourrir les chevaux.
« Ecoutez, si vous avez quelque chose à dire, dites-le mais s’il vous plaît, abrégez, j’ai du travail. »
Un hennissement de protestation se fit entendre, venant de dehors. J’allai nourrir la mustang au rond de longe. En me retournant, je remarquai un van dans la cour, inconnu. Un homme était en train d’abaisser le pont. Il disparut à l’intérieur du van et les sabots d’un cheval se firent entendre. Emergea une belle créature alezane au poil bouclé, que j’identifiai comme une Curly. En temps normal, je n’étais pas fan de cette race, mais l’alezane avait ce petit quelque chose qui me plaisait particulièrement. Je réfléchis une minute. Ni Catriona, ni Roxane ni Alex ne m’avaient parlé d’un nouveau cheval qui devrait arriver sous peu.
« Allez-vous m’écouter maintenant ? »
Roxane et l’homme étaient non loin derrière moi. Elle se tourna vers l’homme, une main sur une hanche, l’autre tenant un seau.
« Voici Ombrage. C’est une Curly âgée de 9 ans. Un spécimen très rare, il n’en existe qu’un peu plus de 4000 dans le monde. Elle est née dans l’état du Nevada, aux Etats Unis. Elle a été acquise par un club, y est restée 2 ans, puis elle a été rachetée par l’oncle d’un certain Maxime, soigneur au Domaine des Valkyries dans une vente aux enchères. Son testament indique qu’il devient légalement le propriétaire de cette jument à sa mort. Il y était très attaché. Elle arrive du Nevada, par avion. »
Je regardai l’homme comme si une corne lui avait poussé entre les deux yeux. Pardon ? Je savais que mon oncle était mort, c’était arrivé il y a environ deux mois. Mais j’ignorais qu’il possédait des chevaux - ou en tout cas une jument - et encore plus que j’étais son héritier. Je le connaissais à peine, la dernière fois que je l’avais vu, je devais avoir… environ 8 ans. Je restai là, ignorant quoi faire. Je n’avais pas les moyens de payer une pension pour un cheval.
Je m’approchai de la jument et l’homme qui la tenait s’écarta un peu, me laissant examiner l’alezane. Ombrage. Je lui tendis doucement ma main, qu’elle huma sans hésiter. Elle semblait habituée au contact, elle ne manifesta aucune crainte et se laissa toucher. J’effleurai sa robe bouclée - c’était la première fois que je touchais un Curly - puis je revins sur sa tête. Son front était large, signe d’intelligence, ses yeux curieux me fixaient. J’examinai ses dents, qui corroborèrent les dires du notaire dont je n’avais pas écouté le nom. Je soulevai son antérieur droit, qu’elle me donna pratiquement d’elle-même. Pas de fers, une corne dure, en très bon état.
« Et bien, ici, ça va te changer de ton Nevada natal ! » lui dis-je en la regardant dans les yeux.
Un raclement de gorge m’interrompit.
« J’ai besoin d’une signature. »
Je signai son papier et l’homme me tendit la longe, que je regardai, médusé.
« Je viens de préparer son box. » fit une voix derrière moi.
Roxane était apparue derrière moi, je n’avais même pas fait attention qu’elle n’était plus là.
« C’est gentil mais je n’ai pas les moyens de payer une pension ou d’avoir un cheval, je vais probablement devoir la vendre. »
Je regardai la jument et lui grattai le front, pensif. Avoir mon propre cheval était un rêve, mais il était bien trop tôt pour que je puisse songer à l’accomplir. Mais c’était sans compter sur la générosité de Roxane, ainsi que celles de Catriona et Alex. Elle me gratifia d’un regard perçant.
« Personne ne t’a demandé une pension. Tu travailles ici et franchement, sans toi, je ne sais pas comment on se débrouillerait. Cat’ et Alex sont d’accord. Nous savons qu’avoir ton propre cheval est ton rêve. Maintenant, tu l’as, elle est à toi. Son box est prêt. Et tu n’as pas vraiment le choix ! »
Elle me fit un clin d’oeil et disparut dans l’écurie. Je ne savais même pas quoi dire. Merci me semblait tellement futile et loin de la réalité ! Mais en même temps… j’étais vraiment heureux d’avoir Ombrage, et soulagé de pouvoir la garder. Je flattai son encolure, avant de la conduire. Je conduisis la jument à la douche et l’attachais à l’anneau. Roxane me déposa du matériel de pansage neuf - chaque cheval avait le sien - à côté de moi.
« Tu trouveras du matériel pour Ombrage dans la sellerie, premier porte selle à droite de la porte. Tout ce qu’il y a autour est à toi. Ce n’est pas forcément très neuf concernant la selle et le filet ainsi que la plupart du matériel, mais tout ce qui est pansage, protections, licols et tapis de selle l’est. Et là non plus, tu n’as pas le choix. De notre part à tous les trois. »
Elle partit continuer son travail. Décidément ! Un sms arriva sur mon téléphone, de la part de Catriona, qui m’avait donné une partie du matériel. Je la remerciai. Puis je m’intéressai à mon rêve devenu réalité. Je commençai par retirer les protections de transport des antérieurs d’Ombrage, puis celles des postérieurs. J’en profitai pour parler à ma nouvelle jument. Elle m’écoutait avec attention. Je lui passai l’étrille avec des mouvements circulaires. La jument était propre, mais le pansage nous permettrait de faire connaissance. Après l’étrille, je passai le bouchon, puis la brosse douce. Elle était sensible au niveau de la tête et sur les membres. Pour le reste, elle ne manifesta aucun signe particulier exprimant qu’elle n’aimait pas ça. Je lui curai les pieds, parés très nettement puis je les lui graissai. Je démêlai sa crinière et sa queue avant d’égaliser un peu la première et de couper la seconde au niveau des boulets. Je terminai le pansage par le nettoyage des yeux, des naseaux et des commissures des lèvres à l’éponge, puis j’emmenai la jument brouter un peu.
Nous restâmes dehors un petit moment, puis je la conduisis dans son nouveau box. Je lui retirai le licol et elle plongea la tête dans sa mangeoire - Roxane était visiblement passée la remplir ! - sans plus s’intéresser à moi. Je fermai la porte du box et m’appuyai dessus, observant la jument sans arriver à en croire ma chance. J’avais des amis formidables, il faudrait peut être que je pense à m’en souvenir. Ombrage était un très beau cadeau de Noël en avance. Je décidai d’aller continuer mon travail. Autant mériter ce qu’ils avaient choisi de m’offrir et leur générosité.