Pandora Hills - Domicile

Lumi

Lumi ouvrit les yeux, gênée par les rayons du soleil qui traversaient ses paupières. Elle frissonna et remonta les couvertures jusqu'à son menton. Même si cet hiver était moins terrible que celui de l'année dernière -notamment à cause de l'absence de neige- les températures n'en étaient pas moins glaciales. Se retournant dans le grand lit pour éloigner ses yeux encore ensommeillés de la fenêtre dont les rideaux ne parvenaient à retenir la lumière du jour, elle remarqua qu'il était inoccupé de l'autre côté. Elle s'accorda cependant quelques minutes pour se réveiller totalement, avant de se lever. Elle s'avança jusqu'à la fenêtre et tira les rideaux, laissant le soleil envahir les lieux de toute sa puissance. Regardant à travers la vitre, elle aperçut Silven qui, déjà en pleine forme, trottait dans la prairie qui s'étendait à perte de vue. Soledane s'abreuvait non loin de lui, ignorant totalement la fougue du jeune étalon. Contrairement à celle du paint qui gisait dans la boue près de la clôture, la couverture de la jument était impeccable, indiquant qu'elle avait probablement dormi tandis que son colocataire s'évertuait à se débarrasser de l'objet.
S'arrachant à la contemplation de ses chevaux, Lumi sortit de la chambre. A peine avait-elle ouvert la porte qu'une boule de poils blonde se jeta dans ses pieds. La jeune femme se baissa pour attraper le chiot et le serra dans ses bras, subissant immédiatement une attaque de léchouilles.
«Du calme Rose ..., souffla-t-elle entre deux esquives de bisous.
Elle reposa l'animal par terre, et la petite golden retriever s'assit sans la lâcher du regard, sa queue balayant le sol avec énergie. Malgré le fait qu'elle soit arrivée il y a seulement une semaine, la chienne de deux mois était déjà à l'aise avec sa nouvelle maison et très attachée à sa nouvelle famille, même si les chevaux lui faisaient toujours un peu peur.
Lumi traversa le grand salon pour se rendre à la cuisine, le chiot lui marchant sur les talons. Elle ouvrit l'un des placards pour prendre sa tasse et se rendit compte qu'elle était manquante. La jeune femme fit demi-tour, attrapa une couverture polaire posée sur le canapé d'angle et se dirigea vers la porte d'entrée de la maison. Dès qu'elle abaissa la poignée, Rose se faufila à l'extérieur en courant. Sa propriétaire la suivit. Une fois dehors, elle enroula la couverture autour de ses épaules et de son cou pour ne pas attraper froid. Puis, tandis que le chiot trottinait gaiement vers la prairie, elle s'approcha de la silhouette accoudée sur la barrière délimitant le porche. Elle se plaça à ses côtés et prit la tasse de café qu'on lui tendait. Owen se pencha vers elle et déposa un baiser sur son front, avant de passer un bras autour de ses épaules tandis qu'elle buvait une gorgée de la boisson chaude. Ils restèrent ainsi un moment, observant Rose qui faisait des appels de jeu à Soledane de l'autre côté de la clôture, puis fuyait immédiatement en courant lorsque la jument -qui l'ignorait pourtant royalement- faisait le moindre mouvement.
-Tu veux que j'aille au rendez-vous à ta place ce matin ?, demanda soudain Owen.
Lumi secoua la tête et termina sa tasse.
-Non merci, je vais aller me préparer et prendre la route., répondit-elle. En plus je sais que tu voulais terminer les travaux du manège.
Il lui sourit. C'était le dernier jour de gros travaux. Ce soir, ils pourraient enfin souffler et fêter ça devant un film ou une série avec un bon repas avant de probablement s'endormir plus tôt que prévu à cause de la fatigue de ces deux derniers mois. Mais après ça, la véritable aventure pourrait commencer.
-En parlant de ça, je vais m'y mettre. Plus tôt je me lance dessus, plus tôt je pourrai me reposer.», lança le brun.
Puis, serrant Lumi dans ses bras une dernière fois, il descendit les quelques marches du porche et se dirigea vers le grand bâtiment se trouvant à côté de la maison. Apercevant du mouvement, la golden retriever se figea quelques secondes pour observer son maître qui s'éloigner, puis elle bondit à sa suite, délaissant les chevaux. La jeune femme prit le chemin inverse. Rentrant de nouveau dans la maison, elle alla s'habiller et se rafraîchir le visage avant d'enfiler son manteau. Puis elle se dirigea à l'extérieur pour la seconde fois de la journée, attrapant son trousseau de clé au passage. Elle grimpa dans son véhicule, auquel Owen avait déjà veillé à accrocher le van la veille. Tournant la clé sur le contact, elle s'engagea dans la grande allée de gravier qui menait à la route, près de deux kilomètres plus loin. Tout en conduisant, elle songea à tout ce qui s'était produit l'année dernière. Cela faisait déjà plus d'un an qu'Owen l'avait embrassée pour la première fois. Puis tout s'était enchaîné à une vitesse folle. Ils s'étaient mis ensemble, Lumi s'était entraînée dur avec Soledane et toutes deux concourraient désormais à haut niveau. Owen avait développé ses compétences d'entraîneur et durant l'été, tous deux avaient fait quelque chose de fou. Ils avaient quitté leurs emplois respectifs pour se lancer dans un grand projet. Ils avaient acheté une maison avec un immense terrain, puis avaient travaillé dur pour construire tout ce dont ils auraient besoin avec l'aide d'amis et de membres de la famille ayant fait le déplacement. Et depuis une semaine ils en étaient aux finitions. C'était le dernier jour de travaux et aussi le jour où un nouveau membre de la famille allait les rejoindre, voyageant dans le van que Lumi conduisait actuellement et marquant ainsi pour de bon le commencement de leur nouvelle vie. La jeune femme arrivait à peine à croire que sa vie ait pu changer autant en une année.
Apercevant enfin le portail qui marquait le commencement de la route, elle freina avant de s'engager. Puis, avant de quitter le terrain, elle jeta un regard au panneau flambant neuf qui trônait devant la barrière. Sous le logo qu'elle avait créé on pouvait lire quatre mots en lettres majuscules: DOMAINE DE PANDORA HILLS.  

Lumi

Lumi s'occupait des préparatifs de dernière minute. Elle réajusta une serviette, ajouta une fourchette à la place où elle était manquante, et changea la pile du bonhomme de neige lumineux pour la troisième fois de la semaine. Elle songea qu'il allait probablement partir à la poubelle dès que les fêtes seraient passées. La jeune femme regarda la grande table avec satisfaction. Tout était prêt, les huit couverts étaient mis et il ne manquait plus que les invités. Lumi se dirigea vers le couloir et s'arrêta devant le miroir. Ignorant les magnifiques cernes qu'elle n'avait pu totalement cacher sous son fond de teint, elle se recoiffa rapidement et lissa un petit pli qui s'était formé sur sa robe. Alors qu'elle allait retourner dans la salle à manger, elle aperçut la lumière des phares d'une voiture à travers le vitrail de la porte et se dirigea donc vers l'entrée pour ouvrir.
Malgré l'obscurité qui régnait déjà en ce début de soirée, on distinguait de gros flocons qui venaient s'écraser sur le porche. Bientôt, deux figures familières s'avancèrent avec prudence sur les marches pour ne pas glisser sur la neige. Un grand sourire illumina le visage de Lumi en les voyant, et elle les laissa entrer au chaud avant de les enlacer tour à tour.
«Maman, Papa, je suis contente de vous revoir !, souffla-t-elle tandis qu'ils lui rendaient son étreinte.
-Nous aussi ! On a tellement hâte de rencontrer toute ta famille !, s'exclama sa mère.
Rose accourut dans le couloir, attirée par cette nouvelle voix. La chienne gratifia le couple de soixantenaire de nombreux coups de langue, sa queue battant l'air avec joie. Lumi laissa ses parents inonder la golden retriever de caresses tandis qu'elle accrochait leurs manteaux dans l'entrée, puis elle les invita à avancer pour leur faire visiter la maison. Elle commença par la cuisine, où Owen s'affairait aux fourneaux, préparant une "spécialité familiale" dont il n'avait rien voulu révéler à sa compagne. Lorsque le trio entra, il se retourna et vint serrer la main du couple aîné.
-Papa, maman, je vous présente donc Owen. Owen, voici mes parents., exposa la jeune femme.
-Ravi de faire votre connaissance !, s'exclama Owen.
Lumi les laissa discuter quelques minutes, rangeant le reste de la vaisselle utilisée lors de la préparation du repas pendant ce temps. Alors qu'elle terminait, des pleurs aigus résonnèrent dans la maison. La jeune femme marmonna une excuse avant de s'éclipser, se dirigeant vers l'origine du bruit. Elle monta à l'étage et se dirigea vers l'une des nombreuses chambres. Elle ouvrit la porte avec douceur, libérant la pleine puissance des cris, et se dirigea vers le berceau de bois situé au milieu de la pièce. Allumant la veilleuse, la jeune femme se pencha sur le berceau et saisit le nourrisson qui y gesticulait en pleurant.
-Chhhh ... Ça va ma puce, je suis là., murmura-t-elle.
Elle commença à bercer lentement le bébé sur son épaule et ferma la porte de la chambre. Lumi s'installa confortablement dans une chaise à bascule qui se trouvait dans le coin de la pièce, puis elle allaita sa fille tandis qu'elle entendait Owen terminer la visite de la maison tout en riant avec ses parents. Plusieurs minutes plus tard, le bruit d'une seconde voiture lui indiqua que le reste des invités venait d'arriver au domaine. La jeune femme termina ce qu'elle était en train de faire, puis elle se rendit de nouveau présentable et se dirigea vers la commode de la chambre. Elle en sortit une couverture polaire blanche sur laquelle galopaient des chevaux de toutes les couleurs, et enveloppa le petit être qu'elle tenait dedans avec délicatesse. Enfin, elle sortit de la chambre et descendit les marches calmement.
Lorsqu'elle arriva dans la salle à manger où s'étaient installés leurs invités, tous les visages se retournèrent vers elle, impatients de rencontrer le nouveau membre de la famille.
Owen présenta rapidement sa propre famille, composée de ses parents et de ses deux sœurs -l'une âgée de 27 ans et l'autre de 24- et Lumi leur rendit leur bonjour avec politesse, ravie de pouvoir enfin mettre un visage sur leurs noms. Puis elle passa au sujet de tous les sourires qu'elle voyait face à elle.  
-La petite Ellie avait visiblement envie de dire bonjour elle aussi., dit-elle en regardant sa fille avec fierté.
Tour à tour, les membres des deux côtés de la famille vinrent voir le bébé de plus près, caressant ses petites mains toutes douces et noyant la fille et la mère de compliments et de félicitations. Puis la jeune femme s'installa finalement à table avec les autres, serrant sa fille contre elle. Owen alla chercher un petit berceau sur roulettes qu'il amena près de la table afin qu'elle puisse y déposer Ellie lorsqu'ils commenceraient à manger.
La discussion était animée de rires. C'était la première fois que les familles d'Owen et Lumi se rencontraient et chacun y allait de ses histoires et anecdotes dans une ambiance chaleureuse soulignée par les flammes de la cheminée et les lumières dansantes du sapin, tandis qu'ils savouraient un apéritif festif. Rose faisait le tour de la table pour essayer d'attirer l'attention afin d'obtenir un morceau de saucisson, mais ne parvenant pas à obtenir la moindre miette, elle alla se coucher aux pieds d'Owen en lâchant un long soupir. Contre la poitrine de Lumi, Ellie somnolait, les yeux et les poings fermés.
Le père d'Owen se racla la gorge et se leva, son verre à la main.
-A ce Noël merveilleux, et au nouveau membre de la famille Steward-Hills !», s'exclama-t-il.
Le reste de la table leva son verre à sa suite, répétant de cœur les paroles du vieil homme. Et tandis qu'elle buvait une gorgée de jus de fruit et reposait son verre sur la table, observant le visage de sa fille désormais endormie et la tablée qui passait un bon moment en famille et qu'Owen lui déposa un baiser sur la joue de sa compagne et sur le front d'Ellie, Lumi songea qu'elle ne pouvait être plus heureuse qu'en ce moment précis.

Par une froide journée d'hiver

Lorsque Lumi descendit les escaliers avec Ellie dans les bras, elle sentit la douce odeur du chocolat chaud flotter depuis le salon. La jeune femme sourit et, réajustant la couverture polaire dans laquelle était enveloppé le bébé, elle se dirigea vers la pièce en question, où elle se trouvait avant que sa fille ne se mette à pleurer à l'étage. Owen déposait un plateau appétissant sur la table basse. Sur l'objet en bois sombre, Lumi aperçut deux tasses du breuvage dont elle avait reçu les effluves, ainsi que d'énormes cookies faits maison, pas trop cuits, comme les aimait la jeune mère. L'homme se retourna à l'arrivée des deux femmes de sa vie et embrassa sa compagne, avant de déposer un baiser sur le front d'Ellie.
«Qu'est-ce que je ferais sans toi ?, blagua Lumi, un grand sourire rayonnant sur son visage.
Owen haussa les épaules en riant, tout en allant s'asseoir dans le canapé avec sa famille.
-Probablement plus d'équitation, moins de changements de couches aussi., répondit-il en prenant un air faussement sérieux.
Lumi pouffa et prit place aux côtés du brun. Ce dernier passa un bras autour de ses épaules et la jeune femme posa sa tête contre celle de son compagnon. Ils restèrent ainsi une minute, avant qu'un estomac ne proteste d'un gargouillement tonitruant. Owen se tourna vers Lumi, son regard moqueur braqué sur elle. La jeune femme lui donna un coup de poing amical dans les côtes et le brun fit semblant de s'offusquer.
-Je prépare un chocolat chaud et des cookies et c'est tout le remerciement que j'ai ?, protesta-t-il. Je pense que je vais devoir tout garder pour moi en représailles.
Avant qu'il n'esquisse le moindre geste en direction du plateau, Lumi se jeta sur un cookie et s'en empara d'une main agile, avant de mordre immédiatement dedans. Dans ses bras, Ellie balbutia quelque chose d'incompréhensible suite au mouvement brusque de sa mère et la jeune femme la berça doucement pour se faire pardonner. Puis, elle reporta de nouveau son attention sur Owen.
-Tu ne pourras pas prendre celui-ci !, lança-t-elle, la bouche pleine.
Le brun secoua la tête et soupira, avant d'allumer la télévision. Il pianota quelques secondes sur la télécommande avant de se décider et de lancer une série fantastique qu'ils avaient commencé il y a peu et dont Lumi ne se souvenait jamais du nom. Tout en s'installant, il rapprocha la table basse afin que le plateau soit accessible sans se plier en deux et prit un grand plaid qu'il étendit sur les trois personnes occupant le canapé. Lumi cala Ellie entre Owen et elle afin d'avoir les mains libres, et après avoir gigoté un moment, la petite commença à s'assoupir, visiblement à l'aise dans ce petit cocon. Le couple commença à boire le chocolat à petites gorgées, tout en prenant un cookie de temps en temps, les yeux rivés sur la télé.
A peine dix minutes après le début de l'épisode, Rose quitta son panier et trottina d'un pas joyeux vers le canapé. Le regard suppliant, la golden retriever fixa ses maîtres qui l'autorisèrent à les rejoindre. La chienne ne se fit pas prier et sauta aux côtés de Lumi. Elle fit quelques tours sur elle-même et finit par se rouler en boule, posant sa tête sur les genoux de la jeune femme, observant Ellie par la même occasion. Le couple avait une confiance totale en la jeune chienne avec leur enfant. Ils avaient présenté Ellie à l'animal, qui l'avait reniflée dans un calme incroyable, la queue battante, avant de retourner jouer de son côté. La présence de ce nouvel être dans le foyer ne semblait pas du tout perturber Rose, qui se contentait juste parfois de l'observer longuement sans oser s'approcher sans l'accord de Lumi ou Owen, qui préféraient attendre que la petite soit un peu plus âgée avant de les laisser vraiment en contact. Cela n'avait pas empêcher Ellie de toucher la tête de la golden à plusieurs reprises tandis qu'elle était dans les bras de ses parents, ce qui faisait indéniablement rire le bébé et semblait aussi ravir Rose. Toutes deux auraient probablement un lien fort plus tard.
Observant sa petite famille bien installée devant la télé, sous le plaid et un feu de cheminée brûlant non loin, Lumi ne put s'empêcher de sourire de nouveau. Owen lui lança un regard interrogateur.
-La vie que l'on a actuellement., commença la jeune femme.Je ne l'échangerais pour rien au monde. Jamais je n'aurais pensé en arriver à ce point-là, mais je ne regrette aucun de mes choix, bien au contraire. Je ne pourrais être plus heureuse qu'en ce moment précis.
Sur ses mots, elle se pencha vers son compagnon pour l'embrasser de nouveau, fermant les yeux. Lorsqu'elle se recula, Owen souriait lui aussi.
-Moi aussi. Je vous aime tellement toutes les deux., dit-il en baissant le regard sur Ellie. Je suis l'homme le plus heureux du monde et j'ai hâte de voir ce que l'avenir va nous apporter.»
Le couple se rapprocha et Lumi cala sa tête dans le cou de son compagnon. Ellie et Rose dormaient désormais, et les deux adultes restèrent ainsi pendant tout l'après-midi, bien au chaud devant leur série, tandis que les chevaux étaient à l'abri dans l'écurie et que, dehors, la neige tombait à gros flocons sur le domaine.

Le monde qui nous entoure

C'était pleine d'impatience que Lumi s'était réveillée ce matin. Lorsqu'elle avait ouvert les rideaux de la chambre, un grand soleil avait fait irruption dans la pièce, aveuglant la jeune femme. Aussitôt, elle était sortie de la chambre sans même refaire le lit et s'était rendue dans celle de sa fille. Ouvrant doucement la porte, elle avait passé la tête par l’entrebâillement. Ellie dormait encore à poings fermés. Souriant, sa mère avait refermé et était descendue à pas discrets pour ne pas réveiller le bébé. Lumi avait caressé Rose, qui avait accouru depuis le salon pour l'attendre en bas des escaliers, la queue fouettant l'air et la langue pendante d'excitation. Puis, la chienne sur les talons, elle s'était dirigée vers la cuisine où elle avait entrepris de se préparer un petit-déjeuner. Un grand verre de lait de la ferme voisine et un petit pain au chocolat qu'Owen avait l'habitude de ramener de la boulangerie avaient suffi à lui remplir l'estomac. Peu après avoir mangé, alors qu'elle observait depuis la fenêtre les chevaux qui se trouvaient au pré ce jour-là, des pleurs s'étaient fait entendre à l'étage et la jeune maman était allée chercher son enfant. S'occuper et préparer Ellie lui avait pris une bonne heure, entre l'allaitement et l'habillement. Elle avait enveloppé la petite dans deux couches de vêtements bien chauds. Puis, la prenant dans ses bras, elle était redescendue à nouveau pour enfiler elle-même un manteau, avant de sortir de la maison.
Ellie mit quelques minutes avant de s'habituer à la luminosité, se cachant d'abord le visage contre la poitrine de la jeune femme. Puis, elle observa finalement les environs en plissant les yeux. Lumi sourit. Ce n'était bien sûr pas la première fois que sa fille voyait l'extérieur en bientôt cinq mois de vie, mais ce serait la première fois qu'elle rencontrerait les chevaux du domaine. Seuls quelques nuages solitaires se mouvaient lentement dans le ciel bleu et une faible brise soufflait. Les températures étaient douces, même si on ne pouvait pas encore parler de chaleur en cette mi-avril. C'était le moment idéal pour faire découvrir le domaine à Ellie. Lumi se mit donc en marche, quittant l'abri du porche pour descendre dans la cour. Rose les suivait en trottinant joyeusement, la queue haute.
Avant de pénétrer dans les écuries, Lumi décida de commencer par les prairies. Elle longea la maison pour se rendre à la barrière de bois marquant la limite du premier pré, et s'y accouda, asseyant Ellie sur le bord et la tenant fermement pour qu'elle ne glisse pas. Quatre équidés se trouvaient en petit groupe non loin, broutant paisiblement. Enfin, trois seulement manifestaient cette tranquillité. Tandis qu'Emeraude, Soledane et son poulain flânaient sous le soleil, la jeune Edemah Ruh galopait et bondissait sans avoir l'air de se fatiguer. La pouliche de huit mois avait visiblement beaucoup d'énergie à revendre. Lumi siffla longuement pour attirer l'attention du groupe. Levant aussitôt la tête, Soledane commença à s'approcher au petit galop, Higher than Hope collé à son flanc et tentant de suivre la cadence sur ses jambes encore frêles.
«Doucement., lança Lumi lorsque la jument arriva à la barrière.
Soledane ralentit aussitôt et parcourut le dernier mètre qui la séparait de sa propriétaire au pas. Lumi se hissa sur celle-ci et, calant sa fille contre elle à l'aide d'une main, se servit de l'autre pour caresser le chanfrein de la baie. Cette dernière fut bien vite intriguée par la petite chose qui s'agitait dans les bras de la jeune femme, et elle tendit le nez vers Ellie. La jument renifla longuement l'enfant, sous la surveillance de Lumi. La petite observait le cheval avec de grands yeux et elle toucha avec une curiosité non dissimulée le nez qui s'agitait devant elle. Soledane ne recula pas tandis qu'Ellie faisait son examen. Lumi l'arrêta cependant de justesse avant qu'elle ne mette sa main dans la narine de la baie.
-Tu as vu ? C'est Soledane., expliqua-t-elle à Ellie.
Le bébé lâcha un petit rire lorsque la jument lui chatouilla le menton de ses lèvres et Lumi ne put s'empêcher de sourire bêtement devant cette scène. Elle repoussa sans brutalité la baie pour éviter de récupérer une Ellie pleine de bave et d'herbe mâchée et la jument obéit, se reculant. A ses côtés, son poulain observait la petite avec attention, mais il ne manifesta pas l'envie de s'approcher plus que ça et Lumi respecta son choix.
-Et lui, c'est Higher than Hope. C'est le bébé de Soledane., murmura-t-elle à l'oreille de sa fille tout en désignant le bai.
Elle savait bien évidemment que la petite était encore beaucoup trop jeune pour comprendre ce qu'elle lui racontait, mais elle aimait parler à sa fille et avait attendu le moment où elle lui montrerait les chevaux depuis sa naissance.
Emeraude rejoint bientôt ses deux camarades de prairie et Lumi répéta le même schéma. Elle caressa la pie et donna son nom à Ellie, qui put la toucher rapidement aussi. Edemah Ruh était visiblement restée dans son petit monde et continuait à ruer au milieu de la prairie, n'ayant probablement même pas remarqué que ses colocataires du jour s'étaient éloignés.
Lumi descendit donc de la barrière, sa fille dans les bras, et elle laissa les juments et les poulains vaquer à leurs occupations. Elle avança jusqu'au second pré, où un seul cheval bénéficiait de tout l'espace. Presque indiscernable à cette distance, Silven galopait à toute allure à travers la prairie. Le paint s'arrêta en remarquant l'arrivée de sa propriétaire, sembla l'observer pendant quelques secondes, puis il décida de repartir dans l'autre sens à toute vitesse. Lumi ne l'appela pas. Si il n'était pas méchant, l'étalon restait un peu brusque pour un bébé de cinq mois, alors elle préférait ne pas les faire se rencontrer de trop près pour le moment. Elle prit tout de même soin de le présenter oralement à Ellie, qui le suivait des yeux. La troisième prairie étant inoccupée ce jour-là, la jeune femme fit demi-tour et retourna à la cour, où elle s'avança cette fois jusqu'aux écuries.
La porte était grande ouverte pour laisser l'air du printemps aérer les stalles. Lorsqu'elles entrèrent dans le couloir, Rose prit les devants et alla se rouler avec grand plaisir dans la paille stockée près de l'entrée. Laissant la golden retriever s'amuser, Lumi commença à longer les boxes. Les deux premiers étant vides -leurs occupants se trouvant au pré- elle passa directement au troisième. A l'intérieur, Naughty Boy était occupé à manger son foin. Il releva cependant la tête et s'approcha de la porte à la vue de Lumi. Tout comme Soledane, il renifla Ellie et celle-ci put le caresser à sa manière. Cependant, l'étalon ne s'attarda pas trop et retourna à son repas après deux minutes. La jeune femme reprit donc sa tournée et, passant rapidement devant le box vide d'Emeraude, s'arrêta devant celui de Break of Dawn. Ne connaissant que trop bien le comportement de la jeune jument, sa propriétaire ne s'approcha pas de la porte cette fois, malgré les babillements d'Ellie qui semblait prendre goût à ce défilé de chevaux. La baie tendait la tête vers la petite, agitant les lèvres. Elle renâcla, manifestant sa frustration de ne pouvoir mâchouiller ne serait-ce que le manteau du bébé.
-Ça c'est Break of Dawn. Elle n'est pas méchante, mais elle aime bien embêter le monde donc je ne peux pas te laisser la toucher pour l'instant., expliqua Lumi.
Ne voulant pas insister, elle se remit en marche sans plus attendre. Le prochain box était celui d'Orléans. Le géant les attendait déjà lorsqu'elles parvinrent à son niveau. Tout en douceur, il s'approcha lui aussi d'Ellie. Cependant, cette dernière commença à s'agiter et à pleurer lorsqu'elle vit l'énorme tête de l'alezan arriver à son niveau. Visiblement, l'étalon était trop impressionnant pour elle. Lumi arrêta Orléans de sa main libre et le caressa.
-Désolé mon beau, ça sera pour plus tard., lança-t-elle à l'étalon.
Tout en réconfortant sa fille après cette petite frayeur, Lumi passa devant Loverboy sans s'arrêter. L'étalon beaucoup trop timide avait déjà les oreilles en arrière en voyant le bébé bruyant dans les bras de sa propriétaire, mieux valait ne pas le stresser davantage. Il ne restait plus que Vatican. Le gris, plus petit, sembla apaiser Ellie lorsqu'elle avança sa minuscule main pour la poser sur le chanfrein de l'étalon.
-Et voilà Vatican. Maintenant, tu as rencontré presque tout le monde ici.», dit Lumi avec un grand sourire.
Elle laissa sa fille caresser le cheval pendant quelques minutes. Puis, elle reprit le chemin de la maison, ravie de cette matinée qui s'était déroulée presque sans accroc. Plus elle y pensait, plus la jeune femme avait hâte de voir Ellie grandir dans cet univers.

Réunion sous le soleil

La journée était parfaite. Le soleil d'été brillait haut dans un ciel sans nuage et une légère brise apportait un peu d'air frais sous cette chaleur presque étouffante. Les propriétaires du domaine s'était éveillés tôt ce matin, afin de pouvoir profiter de la fraîcheur de l'aube pour s'occuper des chevaux. Puis, les jeunes parents avaient pris soin de leur fille, avant de s'affairer dans le jardin. Une grande table et six chaises avaient été sorties et disposées sur la pelouse tondue, ainsi qu'un grand parasol pour compléter l'ombre offerte par le pin sous lequel ils s'installeraient. Puis, aux environs de onze heures, Lumi avait commencé à préparer l'apéritif tandis qu'Owen préparait le grand barbecue. Vers midi, alors que Lumi terminait de disposer le saucisson, le fromage et les biscuits salés sur la table, deux voitures arrivèrent presque au même moment à l'opposé de la maison, se garant dans la cour. C'est Owen qui alla salua leurs parents respectifs et les amena dans le jardin. Aussitôt arrivés et après avoir dit bonjour à la compagne du brun, les grands-parents se pressèrent autour d'Ellie, qui était en train de s'amuser avec son doudou favori sur une couverture de pique-nique à l'ombre.
«Qu'est-ce qu'elle a grandi déjà !, s'exclama la mère de Lumi.
-Et elle est magnifique dans cette petite robe., ajouta celle d'Owen.
Lumi acquiesça avec un sourire. Sa fille portait une robe légère de couleur blanche, parsemée de dessins de fleurs rouges. Pour la protéger davantage du soleil, elle avait également un petit chapeau assorti. Âgée de bientôt huit mois déjà, Ellie observait tout ce petit monde de ses grands yeux marrons. Juste à côté de la couverture, Rose tentait par tous les moyens d'attirer l'attention sur elle en déposant sa balle de tennis sur les pieds des invités. Sa queue battit l'air joyeusement lorsque le père d'Owen finit par se détourner de sa petite-fille pour la caresser et lui lancer le jouet. La golden retriever partit à sa suite à toute allure tandis que tout le monde s'installait à table, Lumi prenant la chaise la plus proche de la couverture où jouait sa fille pour la surveiller.
La conversation s'anima, tournant principalement autour des nouvelles des uns et des autres, tandis que les mains piochaient régulièrement dans les bols de biscuits et autres choses à grignoter. Owen servit des grands verres de citronnade qui rafraîchirent tout le monde, puis il quitta la table pour aller quelques pas plus loin pour commencer à allumer le barbecue. Lumi continua de tenir la conversation avec ses parents et beaux-parents.
-Et comment vont les poulains en ce moment ?, demanda le père d'Owen alors que la discussion tournait autour du domaine.
Lumi se pencha pour ramasser Ellie, qui avait entrepris de ramper sous la table, puis elle posa sa fille sur ses genoux avant de répondre.
-Très bien ! La jeune de deux ans progresse rapidement et pourra être montée sans aucun doute dès le printemps prochain. La pouliche alezane est très douce et docile et je n'ai pas encore beaucoup travaillé avec le petit de Soledane pour l'instant, il est encore jeune et assez timide., répondit la jeune femme.
Charles Steward sourit, visiblement satisfait de cette réponse. Si le vieil homme commençait à avoir mal aux articulations, il était auparavant jockey et avait eu son heure de gloire lorsqu'Owen était encore un bébé pas plus grand qu'Ellie. Les chevaux représentaient une bonne partie de sa vie et il s'avérait de bon conseil sur pas mal de choses les concernant. Sa femme Louise n'était pas aussi enthousiaste quand aux chevaux, mais les appréciait tout de même. Avant de prendre sa retraite elle avait été professeure.
La conversation dériva sur le sujet passionnant qu'était le bridge, un jeu pour lequel les deux couples soixantenaires s'étaient découvert un intérêt commun, et Lumi profita de cet instant pour se lever et débarrasser la table, l'apéritif étant terminé et les plateaux bien vides. Elle reposa donc sa fille sur la couverture et Owen prit le relai, laissant les braises du barbecue prendre tranquillement en chaleur tandis qu'il jouait avec le bambin.
Déposant les récipients dans l'évier et commençant à faire couler l'eau pour faire une rapide première vaisselle, Lumi faillit sursauter lorsque sa mère la rejoignit pour l'aider. Cette dernière lui adressa un sourire faiblard, et sa fille ne put s'empêcher de l'interroger.
-Tout va bien maman ?, s'enquit-elle.
Dorothy Hills acquiesça mais garda cet air distant. Elles s'occupèrent de la vaisselle en silence, et ce n'est qu'en rangeant celle-ci dans les différents placards de la cuisine que la mère de Lumi se décida enfin à parler.
-C'est ma sœur, ta tante. Elle va divorcer., lâcha-t-elle soudainement.
Lumi prit un air faussement surpris avant de serrer sa mère dans ses bras. Elle avait eu très peu d'occasion de voir sa tante, mais elle savait que celle-ci avait déjà divorcé par le passé et s'était remariée il y a une dizaine d'années et avait eu une fille dans la même année. Mais la jeune femme n'avait rencontré sa cousine qu'une seule fois, lorsqu'elle avait à peine deux ans. Son oncle et sa tante habitant plutôt loin, ils ne faisaient pas vraiment partie de sa famille proche. Cependant, elle savait que sa mère devait s'inquiéter pour sa sœur.
-Est-ce que tu veux en parler ?, lui proposa-t-elle.
Dorothy secoua la tête et sourit de nouveau, plus franchement cette fois.
-Non, pas aujourd'hui. On ne va pas gâcher une si belle journée avec les histoires de cœur de tante June !, s'exclama-t-elle. Allez, retournons à table, sinon les hommes vont manger toute la viande.
Toutes deux rirent à cette pensée et sortirent de la cuisine. Lumi songea qu'elle devrait tout de même aborder le divorce de sa tante dans un futur proche. Si sa mère en avait parlé ainsi, c'était que la situation la tracassait d'une façon ou d'une autre. Quand à son père ... Edward n'avait jamais été enclin à partager ses sentiments, même avec sa propre famille. Probablement que son ancien poste de banquier l'avait endurci. Mais Lumi savait qu'il soutiendrait sa femme si elle n'allait pas bien.
Lorsque mère et fille rejoignirent de nouveau la table, Owen apportait justement le premier service. Saucisses, côtelettes et brochettes prirent place au milieu de la table avec les salades diverses que Lumi avait préparées pour accompagner la viande. Tous se mirent de nouveau à table et commencèrent à manger avec appétit. Rose avait délaissé la balle de tennis pour faire le tour de la table en salivant, tentant de quémander aux pieds de tout le monde. La repas se passa dans la bonne humeur, chacun y allant de son compliment sur la qualité de celui-ci, et tout le monde se resservit plusieurs fois. Au final, il ne resta que peu de viande en trop contrairement à ce que craignait Lumi. Cette fois, ce furent Owen, Charles et Edward qui s'occupèrent de la seconde vaisselle tandis que les trois femmes rejoignaient la petite Ellie sur sa couverture, se détendant dans l'herbe. Elles discutèrent de jardinage, Lumi commençant à développer une passion insoupçonnée pour ce passe-temps. Sa mère et sa belle-mère l'inondèrent de conseils sur l'arrosage de telle plante, ou l'entretien de telle fleur. Lorsque les hommes furent de retour, tous se lancèrent dans une partie de bridge que les anciens remportèrent haut la main, avant de passer au dessert. La glace fut dévorée entièrement, très appréciée en cette chaude journée d'été, et tout le monde aida à ranger la table et faire la dernière vaisselle. Les invités restèrent tout l'après-midi à la maison. Vers quatre heures, Ellie s'assoupit et Lumi alla la mettre dans son berceau où elle serait plus à l'aise. Puis elle rejoignit les adultes, le babyphone dans la main, pour un tour des écuries. Charles Steward tenait à saluer chaque cheval du domaine, tandis que Dorothy et Louise s'attardèrent sur les poulains attendrissants. C'est de nouveau à table et autour de nombreuses citronnades que l'après-midi se termina, tandis que l'on discutait à un volume modéré pour ne pas réveiller Ellie dont la fenêtre était ouverte. Vers dix-neuf heures, les invités commencèrent à se lever pour rentrer chez eux.
-C'était très agréable, encore merci pour le repas !, dit Charles.
Les trois autres acquiescèrent, avouant tous qu'ils avaient passé une très bonne journée et qu'il faudrait remettre ça bientôt.
-Vous savez que vous êtes tous les bienvenus ici quand vous les souhaitez., répondit Owen. On a même des chambres d'amis si vous voulez rester un peu plus longtemps un de ces jours.»
Lumi et Owen dirent au revoir à leurs parents et leur souhaitèrent bonne route. Lorsque tout le monde fut reparti, ils allèrent s'installer à deux dans le jardin pour une soirée plus tranquille.

Premier anniversaire

La cheminée était déjà allumée en ce vingt-deux novembre. Une chaleur agréable, réconfortante, régnait dans la maison où s'éveillaient la petite famille. Owen fut le premier debout et se chargea de nourrir Rose, ainsi que de faire un tour de contrôle dans les écuries et de distribuer les rations. Lorsqu'il revint à l'intérieur à peine une heure plus tard, Lumi était sortie du lit à son tour et prenait son café sur le comptoir de la cuisine. Le brun s'approcha de sa compagne et lui déposa un baiser dans le cou. Lumi se tourna vers lui et lui rendit son geste, avant de sourire.
«Bonjour., dit-elle.
Owen sourit à son tour et, s'emparant de la tasse qui l'attendait, il prit place à côté de la jeune femme. Cette dernière but une autre gorgée du breuvage chaud, qui la revigora. La journée s'annonçait agréable. Malgré le froid, le soleil était au rendez-vous, apportant une luminosité bienvenue en cette fin d'automne. Cependant, pas de travail aujourd'hui au domaine. Car c'était un jour spécial pour plusieurs raisons. Et la première venait de se réveiller à en juger par les pleurs qui parvinrent aux oreilles du jeune couple depuis l'étage. Lumi se leva en même temps qu'Owen, mais elle posa sa main sur le bras de son compagnon.
-Bois ton café, je vais m'en occuper., annonça-t-elle.
Puis elle monta les escaliers et se dirigea vers la chambre d'Ellie. Lorsqu'elle entra, les pleurs s'arrêtèrent et le bambin la regarda avec espoir, debout dans son berceau. La petite avait commencé à faire ses premiers pas depuis un bon mois déjà et depuis, elle ne cessait de se mettre debout dès qu'elle en avait l'occasion. Sa mère s'approcha du berceau et, plaçant ses mains sous les bras de l'enfant, elle la souleva et la prit dans les bras. Puis, elle passa sa main sur le front d'Ellie dans un geste plein d'amour.
-Coucou ma puce !, chuchota-t-elle. Tu sais quel jour on est ?
Le bébé dans les bras, la jeune mère reprit l'escalier en sens inverse, retournant vers la cuisine. L'expression d'Owen passa à un attendrissement visible lorsqu'il vit sa petite fille. Il prit le relai et posa l'enfant sur ses genoux. Lumi se pencha vers Ellie, mettant son visage au niveau de celui de la petite. Puis, d'une voix enjouée, elle s'exclama:
-Joyeux anniversaire Ellie !
Owen fit écho à ses paroles et tous deux inondèrent le bambin de baisers, de câlins et de chatouilles, ce qui finit par faire éclater de rire Ellie, et par la même occasion ses parents. Rose se tenait à leurs pieds, la chienne partageant leur bonheur en battant l'air de la queue sans trop comprendre ce qu'il se passait. Lorsque tout le monde parvint à se calmer, Lumi alla chercher un petit pot de compote de pomme et revint s'assoir face à Ellie. Après en avoir retiré l'opercule, elle plongea la cuillère dans le pot et en tendit le contenu à la petite, qui commença à manger avec appétit.
-Un an déjà ..., soupira Owen.
Lumi lui lança un regard avant de se reconcentrer sur sa tâche, tout en acquiesçant de la tête. Son bébé avait déjà un an. Elle n'arrivait pas à y croire. Le temps semblait passer si lentement et si rapidement à la fois. Parfois, elle avait l'impression que c'était hier encore qu'elle tenait Ellie dans ses bras pour la première fois. Mais en voyant à quel point sa fille avait grandi en ces douze mois, elle ne pouvait que se rendre à l'évidence que le temps avait bel et bien filé à toute allure. Et elle savait déjà par instinct que les années suivantes lui paraîtraient encore plus rapides et que d'ici moins de temps qu'il en fallait pour se retourner, elle ferait face à une petite fille au lieu d'un bébé. Elle chassa cependant ses pensées de son esprit pour se concentrer sur le moment présent.
-On va bientôt devoir se mettre à la recherche d'un poney pour elle à cette vitesse., répondit-elle à Owen.
Le brun secoua la tête avec un rire léger, sachant cependant qu'elle n'avait pas totalement tord. Lui-même avait commencé à monter à poney à trois ans, et en vivant sur un domaine équestre, nul doute qu'Ellie commencerait au même âge. Cependant, ils avaient pris la décision d'acheter un poney pour leur fille lorsqu'il serait temps, ne pouvant la laisser immédiatement sur le dos d'un selle français et encore moins sur celui de Silven. Et puis, avoir un équidé de plus petit gabarit pourrait apporter de la diversité au domaine. Par contre, Owen comme Lumi s'étaient mis d'accord sur un point particulier: pas de shetland. Ces chevaux miniatures étaient beaucoup trop démoniaques et ni l'un, ni l'autre ne voulait passer ses journées à courir après un nain qui serait passé sous les clôtures. De plus, Lumi était persuadée que Rose se laisserait entraîner dans les bêtises d'un poney à peine plus grand qu'elle. Ils porteraient donc leur choix sur une race plus docile, même si ils savaient pertinemment qu'avant tout, ils regarderaient le caractère de l'équidé en question et fonctionneraient aussi beaucoup au coup de cœur.
Tandis qu'Ellie continuait à manger sa compote avec toujours la même motivation, Lumi fit une petite pause et se redressa sur son tabouret. Elle posa le pot sur le comptoir, au grand désespoir du bambin qui tendit les mains dans cette direction avec un regard suppliant. La jeune mère l'ignora momentanément. Elle avait quelques chose d'important à dire. Et son compagnon venait de le comprendre, puisqu'il la fixait d'un air interrogatif.
-J'ai une annonce à te faire ..., commença-t-elle.
Puis, elle prit une grande inspiration et un nouveau sourire vint s'afficher sur son visage lorsqu'elle prononça enfin les fameux mots.
-Je suis enceinte., lâcha-t-elle.
Un court silence s'installa, pendant lequel les yeux d'Owen s'écarquillèrent. Puis, son regard passa de son visage à son ventre, pour retourner sur son visage, et il cligna enfin des yeux.
-Vraiment ?, souffla-t-il comme si il avait du mal à y croire.
Lumi acquiesça et Owen commença lui aussi à sourire bêtement, avant de venir enlacer la jeune femme. Ils se serrèrent dans les bras, veillant toutefois à ne pas écraser la pauvre Ellie entre eux deux. Lorsque le brun finit par se rassoir à sa place, il était tellement ému que des larmes menaçaient de couler. Lumi, quand à elle, était soulagée d'avoir enfin révélé ce secret et était prise d'une euphorie soudaine. Owen reprit son souffle et, d'une voix saccadée qui ne s'était pas encore remise de ce qu'il venait d'apprendre, il reprit la parole.
-Wow ... On va avoir un autre bébé ... Je suis ... J'ai tellement hâte. Depuis quand le sais-tu ?, demanda-t-il.
-Depuis quelques jours seulement. Mais je suis enceinte de six semaines déjà., répondit Lumi.
Owen ne put s'empêcher de venir l'embrasser de nouveau. Puis, il se pencha vers Ellie, qui s'agitait sur ses genoux.
-Tu te rends compte Ellie ? Tu vas avoir un petit frère ou une petite sœur !», murmura-t-il.
Pour l'instant, le bambin ne sembla pas y accorder la moindre importance, trop occupée à réclamer le reste de sa compote de pomme. Mais Lumi avait hâte de voir comment sa fille réagirait à ce nouveau membre de la famille. Mais pour cela, elle devrait d'abord traverser plus de sept mois de grossesse et si elle attendait avec impatience le jour de la naissance, elle savait que cette attente serait loin d'être une partie de plaisir. Alors elle savoura l'instant présent, heureuse de cette journée qui commençait plus que bien et qui serait dévouée à la petite Ellie pour son premier anniversaire. C'était tout ce qui importait pour le moment.

Un peu de réconfort

Il était presque vingt-et-une heures lorsque Lumi vit la porte de la chambre s'ouvrir. Un Owen épuisé franchit celle-ci. Arborant des cernes marquées, le visage n'exprimant rien d'autre que la fatigue ces derniers jours, Lumi savait que son compagnon avait besoin de soutien. Elle l'observa tandis qu'il se glissait à ses côtés sous les couvertures. Comme tous les soirs, il posa sa main sur son ventre pour sentir leur enfant à venir. Lumi lui sourit et entreprit de passer sa main dans les cheveux du brun. Cette semaine avait été compliquée pour le couple. Lumi avait subi les inconvénients de la grossesse et été malade pendant plusieurs jours. Ellie avait commencé à avoir des sautes d'humeur qui se terminaient souvent en crises de pleurs difficiles à calmer et qui pompaient toute l'énergie des jeunes parents. Owen passait la moitié de son temps à s'occuper de sa famille, et l'autre moitié à veiller sur Orléans. La blessure de l'étalon l'avait affecté plus que Lumi ne l'aurait imaginé, et elle savait qu'il se sentait coupable de ce qui était arrivé. Cependant, Owen ne pouvait continuer à se morfondre. Il ne tiendrait pas le coup sinon. Elle se tourna sur le côté, non sans difficulté, et le regarda un moment, cherchant ses mots.
«Tu tiens le coup ?, lui demanda-t-elle finalement.
Son compagnon lui rendit son regard et esquissa un sourire qui ne dégageait cependant aucune joie. Puis, il soupira.
-Oui, ça va. J'aurais juste aimé ne pas gâcher une saison complète d'un de nos étalons alors que l'élevage doit se faire un nom., répondit-il.
Lumi secoua la tête.
-Tu ne pouvais pas prévoir cela. C'était un accident, et moins grave que ce qu'on aurait pu imaginer. Dès l'année prochaine Orléans pourra galoper de nouveau et jouer avec son poulain. En plus tu t'occupes bien de lui, alors tout ira pour le mieux., tenta-t-elle de rassurer Owen.
Le brun ne dit rien, mais Lumi vit qu'il comprenait, bien qu'il n'arrive toujours pas à se pardonner. Mais elle savait que ces choses prenaient du temps. Pour ce soir en tout cas, le sujet semblait clos. Un accord silencieux avait été passé entre le jeune couple et ni l'un ni l'autre ne ramènerait Orléans dans la discussion. Néanmoins, il restait une chose qui tracassait Lumi cette fois, et comme si il avait lu dans ses pensées, Owen la questionna à ce sujet.
-Tu réfléchis toujours pour Silven ?, lança-t-il.
Ce fut au tour de la jeune femme de plonger dans le silence. Oui, elle y réfléchissait toujours. Mais plus elle tentait de trouver une solution, plus celle-ci lui échappait.
-Je ne sais pas., soupira-t-elle. Je pense qu'il serait bien mieux avec quelqu'un ayant beaucoup plus de temps à lui consacrer et qui parviendrait à régler ses problèmes. Il manque clairement d'exercice ici. Mais d'un autre côté... je ne m'imagine pas lui dire au revoir. Malgré tout, je tiens à lui et c'est grâce à son achat que tout ce que l'on a accompli aujourd'hui a été possible.
Owen acquiesça, montrant qu'il comprenait son dilemme. L'idée de vendre Silven était venue à Lumi après leur séance de longe catastrophique. Cela faisait presque quatre ans qu'elle avait fait l'acquisition du paint et elle avait l'impression de ne pas avoir progressé. A chaque fois qu'elle pensait faire un petit pas vers l'avant, qu'elle voyait une amélioration, même minime, la suivant le pie lui faisait tout voir et elle avait la sensation de le revoir à ses débuts. Et voir tous ses efforts réduits à néant en une séance avaient amené ce questionnement dans l'esprit de la jeune femme. Silven avait besoin d'une attention particulière, d'énormément de temps et de travail. Et tandis qu'elle essayait de lui prodiguer cela, elle délaissait les autres chevaux. Elle délaissait Break of Dawn dont le débourrage traînait et qui à trois ans désormais ne pouvait toujours pas être montée. Elle voyait son temps libre diminuer drastiquement et devait s'attendre à pire encore après la naissance de son deuxième enfant. Que deviendrait Silven si elle réduisait encore leur fréquence de travail ? Lumi avait peur qu'il continue de se frustrer avec son trop-plein d'énergie et n'atteigne un jour un stade où il sera irrécupérable. Alors pour le bien-être de l'étalon et pour sa santé physique et mentale à elle, peut-être était-il temps pour Lumi de prendre une décision radicale qui les ferait avancer tous les deux, mais plus ensemble. Si elle pensait juste être persévérante avec le paint au départ, elle considérait désormais cela comme de l'acharnement, et jamais rien de bon ne découlait de ce comportement.
-Ça va être dur de lui dire au revoir., finit-elle par annoncer.
Owen la serra dans ses bras, lui apportant autant de réconfort qu'il le pouvait.
-Je sais. Mais rien ne t'oblige à l'envoyer loin d'ici et personne ne t'empêchera de retourner le voir de temps en temps. Tu prends la bonne décision, il ne peut pas continuer à s'ennuyer ici et à taper dans la porte de son box. Ce n'est pas bon pour lui., exposa le brun.
Lumi lui rendit son étreinte et savoura ce contact chaud et apaisant. Elle avait besoin de souffler, de mettre un terme à certaines choses, de faire des choix basés sur des critères plus importants que ses envies. Et offrir à Silven la vie qu'il mérite était quelque chose qu'elle devait au paint. C'était parce qu'elle tenait à lui qu'elle devait le laisser partir.
-Tu as raison.», dit-elle à Owen.
Sur ces simples mots qui pourtant pesaient lourd dans le cœur de Lumi, le couple resta un long moment dans le silence, profitant juste du moment présent et de la présence de l'autre. Lumi finit par s'assoupir dans les bras de son compagnon, épuisée par tant de soucis mais rassurée d'avoir trouvé une solution à l'un d'eux, aussi douloureuse soit-elle. Elle se promit avant de s'endormir de commencer à préparer la vente de Silven dès le lendemain. Puis le sommeil la rattrapa.

Cauchemar

Orléans galopait, rapide comme le vent. Le grand étalon survolait les obstacles, tandis qu'Owen se cramponnait sur son dos. Jamais encore le jeune homme n'avait eu de telles sensations, et il songea qu'il pourrait prendre goût au cross avec l'étalon après cet essai improvisé. L'alezan parcourait des distances incroyables avec sa foulée plus large que la moyenne. Le duo était inarrêtable. Orléans fonçait toujours à toute allure, accélérant grâce à une grande ligne droite. Mais il ne l'a pas vu, et Owen vient de s'en rendre compte. Il est déjà trop tard. Owen tire sur les rênes de toutes ses forces mais Orléans ne peut ralentir à temps. Il essaye mais arrive finalement au bout de ses chances. Le fossé se présente brutalement sous ses membres et les antérieurs de l'étalon atteignent brutalement le fond. Son corps part vers l'avant, éjectant Owen de la selle. Il aperçoit son cheval qui chute avant de rouler au sol et de ne plus rien voir. Quand il se redresse, Orléans s'est remis sur ses jambes mais quelque chose ne va pas. L'étalon ne pose plus l'antérieur gauche. Il se tient immobile, noir de terre, et il souffre. Owen court vers lui, paniqué. Si le membre est cassé, c'est la fin. Orléans ne pourra plus concourir, il ne pourra plus se dépenser comme maintenant, c'est la fin ...
Owen se redressa brutalement, prenant une grande inspiration. Il se trouvait dans son lit. Ses yeux écarquillés commençaient à s'habituer à la pénombre de la chambre tandis qu'il haletait, tentant de reprendre un souffle normal. Il transpirait. Près de lui, il entendait la respiration régulière de Lumi, qu'il n'avait heureusement pas réveillée. Il jeta un regard au réveil. Deux heures du matin. Le brun soupira et se leva lentement. A tâtons, il se dirigea vers la porte et sortit de la pièce. Il traversa le couloir et entrouvrit doucement la porte de la chambre d'Ellie. La petite dormait à poings fermés. Il referma et descendit les escaliers. Lorsqu'il alluma la lumière de la cuisine, le luminosité soudaine l'éblouit et il lui fallu une minute pour parvenir à ouvrir totalement les yeux. Rose, intriguée, avait quitté son panier et se tenait assise aux pieds d'Owen, la queue battante. Son maître lui ouvrit la porte du jardin pour qu'elle aille faire ses besoins, puis il commença à faire bouillir de l'eau pour se préparer un thé. Pendant ce temps, il ne pouvait s'empêcher de repenser à toute cette histoire. A la stupidité de cet accident, à sa stupidité en particulier. Même le plus idiot des cavaliers ne lançait pas son cheval sur un parcours de cross complet sans y avoir été initié au préalable. Mais comme le répétait Lumi, il ne servait à rien de se morfondre. Cependant, les cauchemars continuaient de se produire presque toutes les nuits. Parce qu'Owen avait eu peur, il avait été terrifié même, à l'idée d'avoir foutu en l'air la carrière d'un cheval ou, pire, de l'avoir tué. Et quand il ne revivait pas l'accident en lui-même, il se repassait en boucle la suite des évènements dans la tête.
Il était parvenu à faire marcher difficilement Orléans jusqu'à la route la plus proche. Sasha l'y attendait déjà avec le van et tous deux avaient mis un quart d'heure à y installer l'étalon de manière à ce qu'il bouge le moins possible. Ils avaient pris la route de l'écurie à une vitesse terriblement lente, serrant les dents à chaque bosse sur la route, guettant le moindre bruit sourd indiquant une chute à l'arrière. Lorsqu'ils s'étaient enfin garés dans la cour, le vétérinaire les attendait déjà. Il les assista à son tour pour amener l'alezan jusqu'à l'aire de soins, où il aurait la place pour l'examiner correctement. Mais Owen avait discerné le pessimisme dans son regard lorsqu'il avait vu la démarche du selle français. Il allait lui annoncer qu'Orléans était fichu, il en était persuadé désormais.
Le bouton de la bouilloire claqua, signifiant que l'eau était prête. Owen s'en empara et, attrapant une tasse au passage, y versa le contenu jusqu'en haut. Il y déposa ensuite un sachet de thé censé aider au sommeil mais dont il était peu convaincu par les effets. Il laissa infuser le thé tandis qu'il allait de nouveau ouvrir la porte du jardin pour laisser entrer Rose. La chienne le fixait, consciente de son état d'esprit. Le brun lui tapota la tête avec affection et la golden retriever se colla à sa jambe tandis qu'il s'adossait au comptoir de la cuisine. Pensif, Owen la gratta derrière les oreilles tandis qu'il continuait de songer à cette journée cauchemardesque.
Le vétérinaire avait examiné l'alezan pendant ce qui avait semblé être une éternité à Owen. Orléans avait frémi à plusieurs reprises tandis que le professionnel manipulait son antérieur avec prudence. Au bout d'un long moment, le vieil homme s'était finalement tourné vers le propriétaire du cheval, prêt à faire son diagnostic. Et les mots s'étaient bousculés dans l'esprit du brun tandis qu'il essayait de déterminer à quel point il avait été idiot. Arrachement osseux. Immobilisation totale au box. Sept mois minimum de convalescence. C'était ce qu'il avait retenu. Saison terminée à peine commencée. Mais Orléans allait se remettre avec les soins adéquats. Il pourrait être de nouveau monté et concourir après une remise en forme. Pourtant Owen n'avait pas ressenti le moindre soulagement en entendant ces nouvelles. Seul le négatif l'avait marqué. Et tandis que le vétérinaire avait un sourire compatissant en lui serrant la main, le brun était resté de marbre.
Owen se releva, au grand désespoir de Rose qui aurait pu passer une heure entière à se faire grattouiller. Il prit sa tasse, en retira le sachet qui avait bien infusé et le jeta dans la poubelle. Puis il alla s'installer dans le salon, se laissant tomber sur le fauteuil. La chienne le suivit et se coucha à ses côtés. Elle posa la tête sur ses pattes avec un soupir de bien-être et s'endormit presque aussitôt. Le brun aurait aimé pouvoir faire de même. A la place, il commença à siroter son thé, fixant distraitement l'écran noir de la télé qu'il n'avait pas envie d'allumer. Le lendemain, il ne se souviendrait pas de combien de temps il avait passé ainsi avant de finalement être rattrapé par la fatigue. Il se réveillerait sur le canapé et Lumi l'aurait bordé d'un plaid pour qu'il n'attrape pas froid.