Manège - Touns

Rênes longues, tu laisses marcher la jument, tandis que tu la ressangles. Ses oreilles se plaquent sur son crâne et elle se retourne violemment en claquant des dents. Tu perçois le rire de ton père, de ton côté, tu hausses les sourcils, surpris. Elle n'est pas exactement ce que tu imaginais. Ce sont ses origines qui t'ont attiré, mais si tu avais su qu'il s'agissait en fait d'une ancienne poulinière à remettre en état, tu n'aurais certainement pas fait le déplacement. Tu as de l'ambition, alors prendre le temps de la muscler et de lui refaire un dos, ça ne t'intéresse pas plus que ça. Avec la saison des concours qui a repris, tu t'imaginais déjà sur une prépa 120 le week-end prochain.

Moins de mains, plus de jambes. Le visage renfrogné, tu essayes d'ignorer les conseils de ton père. La colère monte en toi, qu'est-ce qu'il peut t'agacer quand il est comme ça. Sensible à ton état, la jument commence à se braquer. Tu la gardes dans un trot bien trop petit et elle est bien trop encapuchonnée, elle en profite pour faire l'anguille et tu n'arrives pas à la remettre droite. Sa queue fouette l'air avec impatience. Fermant les paupières, tu souffles un coup, essayant de ne pas te laisser déborder par l'agacement. Ta profonde respiration semble calmer la baie, mais c'est surtout parce que tes épaules se sont détendues. Étonnamment elle a gardé des allures aériennes et une bonne souplesse. Dans la longueur du manège, ta jambe vient se plaquer à la sangle de façon discontinu et l'allongement qui en découle te fait littéralement décoller de la selle.

Tu comprends rapidement que la jument répond aux ordres que lorsqu'ils sont demandés avec justesse. Hors, tu as du mal à l'admettre, mais il te reste beaucoup à apprendre, alors la situation est parfois conflictuelle. Par exemple, lors de ton premier départ au galop du pas. Tes éperons viennent la piquer, alors que tes doigts sont fermés. Dans un couinement, Désirée monte en l'air et t'assène des coups de cul d'une étonnante puissance pour son gabarit. "Arrête de t'accrocher à sa bouche Adrien !" L'effet est immédiat, elle retrouve son calme. Tu entends ton père faire une plaisanterie à la propriétaire des lieux, cela te rend amer. Dans un coin, tu redemandes la transition avec plus de précision. En équilibre, tu te cales sur ses foulées, en essayant de te reconnecter un maximum à la jument.  

Dressée, elle l'est, elle n'a d'ailleurs rien oublié. Elle te procure de nouvelles sensations et sans t'en rendre compte, tu affiches un sourire. Parfois, elle te ramène à l'ordre, sans pour autant te désarçonner. Dans ta bulle, tu ignores les commentaires de ton père, ce qui ne fait qu'accentuer ton plaisir. Tu repasses au pas, afin de la faire souffler un peu, ta main effleure son encolure humide. Tes yeux se posent instinctivement sur ta montre. Voilà quarante minutes que vous menez votre danse, tu n'as pas vu le temps filer. "Il faudrait que je saute maintenant, vous pouvez me mettre quelques barres?" Celle qui s'est présentée sous le nom d'Elizabeth à ton arrivée s'exécute, sous les conseils de ton père, qui ne peut rien faire de plus dans son fauteuil roulant. Agacé, tu secoues la tête de gauche à droite et tu reprends le travail.

Commençant petit, tu cherche surtout à tester Désirée sur sa capacité à gérer les options. Démonstrative, ses changements de pieds sont théâtrales, plus d'une fois elle parvient à te déséquilibrer. Elle tourne presque sur place, tu n'as jamais vu ça, rien ne semble pouvoir l'arrêter, sauf peut-être son foutu caractère. Estimant peut-être qu'elle a suffisamment donné pour aujourd'hui, elle part en ruades. Tu penses avoir compris l'animal, tu ne cherches pas à l'arrêter, te disant qu'elle finira par se fatiguer toute seule. Comme avec les jeunes chevaux, cela est une grave erreur. Ses coups de dos sont de plus en plus violents, tu te mets en apnée et elle finit par avoir raison de toi. D'un mouvement d'épaule, elle te fait décoller, l'ayant anticipé tu parviens à retomber sur tes pieds, mais les rênes t'échappent.

Rattraper la baie ne fut pas une mince affaire. Tu t'attendais donc à ce qu'elle proteste lorsque tu te remettrais en selle, mais il n'en fut rien. Tu la mènes donc de nouveau sur un vertical, puis un oxer. Son monté de garrot est impressionnant, elle saute fort et bien au-dessus des barres, montrant là qu'une partir de l'étendue de ses capacités. Te prenant au jeu, tu augmentes la hauteur, essayant tant bien que mal de la suivre. À l'abord d'un obstacle, elle te prend de court, ta fatigue, bien plus que la sienne, se fait ressentir et tu ne l'accompagnes pas bien. Mécontente, elle donne un coup de postérieurs dans les barres, les faisant tomber après son passage. Amusé, tu décides de la laisser là-dessus. Tu laisses courir les rênes, afin qu'elle puisse allonger son encolure. Pleine d'écume, elle ronfle, l'oeil un peu plus vivant qu'à ton arrivée. La séance fut peut-être conflictuelle, mais elle fut bonne pour tous les deux.

En rejoignant ton père, ton visage se ferme de nouveau. Il te demande ce que tu en as pensé et tu n'as pas vraiment envie de partager cela avec lui, donc tu hoches les épaules. Insistant, il essaye de te tirer les vers du nez:

"Moi je l'ai trouvé très qualiteuse.
- Capricieuse tu veux dire?"

Il rigole, puis regarde l'animal d'un air émerveillé. Le genre de regard qu'il ne t'adresse jamais. C'est un amoureux de l'équitation, à un point tel qu'il s'en est brûlé les ails il y a quelques années. Alors, maintenant il veut vivre son rêve à travers toi et ce n'est pas toujours évident d'endosser ce rôle. Désirée porte bien son nom, elle représente ce qu'il a toujours voulu et cette idée te fait peur. C'est donc sans demander ton avis qu'il donne son accord à la propriétaire des lieux, la jument t'es dorénavant confiée.  

Ta dernière chute de Désirée a fait plus de dégâts que tu le pensais, l'ostéopathe a été formelle, tu dois te reposer. Tu t'es fait manipuler la veille, cela a réveillé certaines douleurs et de ce fait, tu n'as pas très bien dormi. Puisque tu t'es levé tôt, il te reste pas mal de temps avant le lycée, alors tu en profites pour aller rendre visite à la jument. Les écuries sont vides, tu iras donc faire une liberté dans le manège. Lorsque tu arrives à son box, la belle est allongée dans son copeau, elle relève les yeux vers toi. Son regard en dit long, elle aurait bien continué sa nuit encore quelques heures. Dans un grognement, elle étend ses antérieurs et se remet debout avec une certaine raideur. Tu glisses une patelle de foin dans son filet, afin de ne pas l'emmener travailler le ventre vide.

La baie ne semble motivée par rien d'autre que d'analyser le manège dans les moindres recoins. Son museau est couvert de toiles d'araignée qu'elle a ôté en reniflant en hauteur. La princesse n'a pas apprécié ce brusque réveil, alors une fois de plus elle te montre qu'elle ne porte pas son prénom pour rien. Tu fais claquer ta langue, ses oreilles bougent un bref instant dans ta direction, mais elle persiste à t'ignorer. Avec une chambrière tu la pousses lorsqu'elle reste arrêtée trop longtemps. Sa queue claque dans les airs, son nez se fronce, tu l'agaces. Lorsque tu demandes un peu trop fort à son goût, elle part en couinant et en donnant un léger coup de cul. Amusé, tu continues de l'embêter, ses yeux lancent des éclairs, mais elle ne te fera pas le plaisir de péter en l'air et de galoper dans tous les sens.

Désirée semble avoir trouvé une nouvelle technique pour ne rien faire, elle s'arrête et se gratte le nez en se le frottant contre ses antérieurs. Tu rigoles et lui dis: "Allez fille, va falloir s'y mettre, tu n'auras pas d'autres sorties aujourd'hui." Tu ne parviens pas à déchiffrer son expression, elle reste plantée devant toi un instant, puis s'éloigne, retournant vers les rebords en bois. Ses dents se referment sur une barre, dans un soupire tu trottines dans sa direction avant qu'elle ne fasse une bêtise. La barre tombe au sol, la jument tourne alors sur ses hanches et part au petit trot dans la direction opposée, en secouant la tête. Visiblement elle s'amuse beaucoup. Ce coup-ci, l'objet qu'elle fait tomber provoque plus de bruit. Dans un sursaut, tu te retournes et vois qu'elle a mis un soubassement à terre. Son petit cinéma continue, tu saisis enfin là où elle veut en venir.

Tu as installé un petit parcours. Désirée est déjà en train de découvrir ton slalom, puisqu'elle s'amuse avec les plots. Elle marche délibérément sur le premier, fait tomber le second avec son nez et prend le troisième dans sa bouche, le jetant le plus loin possible. Niveau discipline, c'est un zéro. Décidé à la faire un peu travailler tout de même, tu viens la menacer avec la chambrière. Prenant le petit trot, elle se dirige vers les barres au sol. Oreilles bien droites, tu t'attends à ce qu'elle y aille sans se poser de question, mais au dernier moment elle fait un écart au galop et passe totalement à côté. Elle repasse vite à l'allure inférieure et revient vers toi, visiblement très fière de sa dernière tactique. Moitié amusé, moitié irrité, tu la renvoies sur les barres au sol, en faisant barrière avec ton corps pour éviter un nouvel écart. Alors, elle s'arrête et fait tout simplement demi-tour.

La liberté ce n'est pas votre fort, la jument est clairement plus imaginative que toi. "Tu me prends vraiment pour un jambon !" Cette fois-ci, elle prend le galop avant d'y aller et fait littéralement un strick. Wow, une séance basée sur le passage de trois pauvres barres au sol, c'est vraiment de l'inédit ! Tant qu'à replacer ces dernières, tu en profites pour les surélever avec des cubes bleus et les espacer davantage pour que ça passe au galop. Queue en panache, la baie souffle comme une vache, elle y retourne en frappant fort le sol. Son garrot monte de façon exagérée, mais cette fois-ci elle franchit les cavalettis sans faire plus d'histoire. Tu la renvoies dessus à l'autre main, elle persiste à croire qu'elle est sur un grand prix, mais ne fait pas plus d'histoire. Conscient que tu n'obtiendras rien de plus positif, tu décides de la laisser là-dessus.

Avec ce soleil de plomb, tu as décidé de profiter de la fraîcheur du manège pour ta séance du jour. Enfin, fraîcheur est un bien grand mot, mais il vient juste d'être arrosé, alors c'est mieux que dehors. Avec des barres, tu as dessiné un coeur au sol, les grands côtés font donc sept mètres de long, alors que les petits en font trois mètres cinquante. Tu vas pouvoir enchaîner les passages, variant entre saut de puce et une ou deux foulées. Tu sais que Désirée est friande de ce genre d'exercice, nul doute qu'elle saura ce prendre au jeu. Si tout se passe bien, elle devrait même, ne pas trop se montrer capricieuse. Il faut vraiment que tu apprennes à être en capacité d'adapter l'amplitude du galop selon les distances, ça vous a porté défaut lors de votre dernier concours. Puis Katarina est formelle, tant que ce n'est pas au point, elle ne t'emmènera pas sur le cross avec ta jument.

Tu termines ta détente aux trois allures. Désirée est particulièrement de bonne composition aujourd'hui, elle répond à tes demandes sans rechigner et reste bien en place, malgré quelques imprécisions de ta part. Talons vers le bas, tu te mets en équilibre, puis prends le galop à main gauche. D'abord, ta partenaire part à faux, mais tu rectifies le tire au bout de deux foulées. Fidèle à elle-même, la belle fait part de son agacement en changeant de pieds. Ses coups de cul t'amuses toujours autant, dans un sourire tu frôles son encolure, tu la repasses ensuite au trot. Tu viens lui présenter les barres au sol à cette allure, en tachant de passer bien droit et au milieu. La baie les regarde un instant, mais ce n'est pas pour autant qu'elle se montre hésitante. Elle sert ses abdos, remonte son dos, prend bien appui sur son mors, elle s'applique, afin que ses pieds ne frôlent même pas le bois. Tu reviens plusieurs fois sur le coeur, afin de lui présenter les divers côtés et aux deux mains.

Désirée est plus que partante pour y aller, tu as du mal à la contenir au galop et votre premier passage a été un désastre. Tu voulais caler deux foulées, mais elle allait beaucoup trop vite et puisque tu ne contrôlais rien du tout, impossible de rattraper le coup et de faire passer cela en une foulée. La jument commence à perdre patience, elle devient irritable, cherche à t'embarquer, alors tu la ramènes sur la piste, afin de reprendre le travail dans le calme. Enfin tu essayes tout du moins, car elle sait appuyer là où ça fait mal. Tu commences toi aussi à monter dans les tours, ton pouls s'accélère, le rouge te monte aux joues, tu fermes tes doigts et la fait reculer. L'Hanovrien ne fonctionne pas comme ça, tu ne la feras pas céder avec la force, surtout quand s'est demandé de façon si maladroite. Dès que tu mets de la main, elle se met raide debout ou recule jusqu'à te plaquer contre le pare-botte.

Les mots de ton père tournent en boucle dans ton cerveau: "Cette jument n'est pas faite pour toi, tu n'as pas le niveau." Mâchoires encore plus crispées que le reste de ton corps, tu plantes violemment tes talons dans ses flancs, en lui hurlant d'avancer. Dans un grondement, Désirée monte en l'air et se jette en avant. Tu tiens tes rênes le plus court possible, elle se débat avec cet outil de torture qu'est le mors, puis tu la présentes de nouveau sur le coeur. Contrainte et forcée, elle franchit les sept mètres en deux foulées. Elle trébuche sur la barre, tu perds l'équilibre vers l'avant, elle en profite pour te flanquer un coup d'épaule, essayant de te dégager de son dos. Tu te redresses dans ta selle, deviens encore plus dur dans tes mains, tu lui fais faire des tours sur elle-même, des larmes de rage coulant sur tes joues.

La jument ne comprend pas ce qui lui arrive, tes ordres sont tellement contradictoires, la fatigue prend le dessus, alors elle arrête de se débattre. La voir capituler te fait redescendre en pression progressivement, tu peux enfin effectuer l'exercice dans les "bonnes" conditions. La colère s'en est allée, tu prends alors pleinement conscience de tes actes, tu regrettes aussitôt, mais tu sais déjà que Désirée te le fera payer, d'une manière ou d'une autre. Katarina te le répètes sans cesse, mais tu ne peux pas continuer à te mettre dans des états pareils en la présence de ton père, surtout qu'aujourd'hui, tu n'as fait que penser à ses paroles contreproductives. La baie réalise parfaitement un saut de puce aux deux mains, elle est pas mal essoufflée, alors tu décides d'en rester là pour aujourd'hui. Tu mets un pied par terre, la dessangles d'un trou, puis tu tentes une caresse au niveau de son chanfrein. Les yeux écarquillés, elle relève la tête et recule. Oh oui, Adrien, il va falloir que tu répares tes conneries.