Devil's Lullaby - selle français (j)

DANS LA TEMPÊTE

Regardant par la fenêtre, Lumi commençait à s'inquiéter. Le vent ne cessait de gagner en intensité tandis que la neige tombait à gros flocons, formant presque un rideau opaque à l'horizon. La tempête se levait et même si les bâtiments du domaine étaient récents, la propriétaire des lieux ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Elle se tourna vers le salon, observant Owen, dans le canapé, Claire sur les genoux et Ellie contre lui. Cette dernière n'avait plus peur, réconfortée par la présence de son père, emmitouflée dans une couverture polaire et dévorant du regard un dessin animé à la télévision. Alors que la jeune mère enregistrait cette scène dans sa mémoire, un bruit de moteur grondant avec peine lui parvint, se rapprochant de la maison. Elle échangea un regard interrogateur avec Owen et lui fit signe qu'elle allait voir. Enfilant son plus gros manteau et des bottes, Lumi sortit dans le froid glacial. Refermant la porte derrière elle, elle vit le pick-up rouge vif qui s'avançait dans l'allée, impossible à manquer dans ce paysage immaculé. Chose encore plus visible, le van qu'il tirait. Lumi fronça les sourcils. Ils n'attendaient pas de cheval, pas avant la mi-avril en tout cas, et ils n'avaient reçu aucun appel concernant un client d'Owen. Resserrant le col de son manteau, elle s'avança vers le véhicule désormais à l'arrêt, luttant contre le vent. Un homme tout aussi dissimulé par ses vêtements épais qu'elle en sortit et la salua d'un signe de la main, avant de lui tendre des papiers de cession. Lumi les survola du regard mais se résigna, ne parvenant à rien avec cette météo et craignant d'abîmer les documents.
«Excusez-moi, mais nous n'attendons pas de nouveau cheval !, cria-t-elle pour que sa voix couvre les bourrasques.
L'homme sembla lâcher un soupir, puis se tourna vers elle. Il s'approcha afin de réduire la distance entre eux et d'être plus audible.
-C'est la pouliche alezane que vous aviez réservée il y a deux ans. Je suis bien à Pandora Hills ?, dit-il.
Lumi se souvenait de la pouliche en question. Mais la raison pour laquelle elle était si étonnée de la voir ici en ce jour était que la désormais jument n'était pas censée arriver avant l'année prochaine. Dans onze mois donc. Plus perplexe que jamais, elle se rendit compte qu'elle avait gardé le silence durant de longues secondes, et reprit d'une voix forte.
-Devil's Lullaby ? Vous avez presque un an d'avance. Elle n'a même pas trois ans et devait arriver débourrée., exposa-t-elle.
Son interlocuteur se gratta la tête à travers son bonnet mais ne semblait pas surpris par la réaction de Lumi, tout à l'opposé de cette dernière.
-Écoutez., commença-t-il. Mon employeur ne peut pas la débourrer pour vous. Il vous remboursera une partie du prix d'achat pour compenser à cet imprévu. Tout ce qu'il veut, c'est que je revienne avec un van vide. Donc soit vous la mettez dans votre écurie avant que cette tempête ne devienne insoutenable, soit je l'amène ... autre part.
Lumi n'en croyait pas ses oreilles. Elle avait entendu parler d'éleveurs peu scrupuleux, mais c'était la première fois qu'elle y était confrontée. Ne pouvant croire à ce qu'elle venait d'entendre, elle se permit d'insister un peu.
-Autre part ? Vous avez pris d'autres acheteurs alors qu'on l'avait réservée ? Et vous me mettez sur le fait sans même un appel et en amenant le cheval directement sur place ?, rétorqua-t-elle avec plus d'agressivité qu'elle ne l'aurait souhaité.
Heureusement, l'homme ne sembla pas y accorder la moindre attention.
-Non, il n'y a que vous. Si la situation ne vous convient pas, j'ai pour ordre de la vendre en abattoir. Je ne suis que le transporteur, j'y peux rien., expliqua-t-il.
Plus la discussion s'éternisait, plus Lumi avait l'impression de rêver. Dormait-elle en ce moment ? Avait-elle vraiment entendu ce que venait de lui dire cet homme ? Comment une telle situation pouvait-elle avoir lieu ? Et pourquoi voudrait-on amener une jument de bonne lignée à l'abattoir ? Une chose était sûre, Lumi ne laisserait pas l'animal entre les mains de son éleveur. Mais elle avait besoin d'une raison valable pour ce comportement très loin d'être professionnel.
-Pourquoi l'abattoir ? Qu'est-ce que vous cachez ?, lança-t-elle, se faisant plus directe pour obtenir des réponses.
-Vous l'avez réservée pouliche, mais maintenant qu'elle est ... comme elle est, personne ne voudra l'acheter si vous vous retirez. Elle n'est pas facile à vivre et son propriétaire n'en pouvait plus d'elle. C'est pour ça qu'il vous l'envoie plus tôt., finit enfin par avouer l'homme.
Tout cela ne présageait rien de bon. Mais Lumi ne pouvait envoyer une jument qu'elle avait tant attendu à l'abattoir. Dans le pire des cas, elle pourrait tenter de la revendre de son côté, mais pour l'instant, la tempête se faisait plus menaçante et il fallait mettre Devil's Lullaby à l'abri avant d'aviser du reste. Saisissant finalement le stylo que lui tendait l'homme, Lumi signa le contrat de vente d'une main rageuse. Puis elle le suivit vers l'arrière du van. La porte s'ouvrit presque à la volée, le vent l'entraînant dans son élan, révélant une grande jument alezane aux yeux écarquillés par la peur. Quand Lumi se saisit de la longe et commença à la détacher, la selle français tapait du pied et renâclait. Malgré tout, l'homme qui l'avait amenée aida Lumi à la sortir de là. Quand l'alezane mit enfin un pied dehors, ils ne furent pas trop de deux personnes pour la retenir lorsqu'elle tenta de fuir immédiatement. Faisant contrepoids, ils luttèrent pour traverser la cour jusqu'aux écuries, la jument se débattant furieusement au bout de la longe. A chaque à-coup, Lumi craignait de voir le mousqueton céder et l'animal partir au grand galop. Mais ils parvinrent à la faire entrer dans le bâtiment et, au prix d'efforts incroyables, à l'enfermer dans un box libre. Lumi claqua brusquement la porte derrière elle en sortant et ferma le loquet en haletant. Elle transpirait dans ses vêtements chauds et la sueur perlait à son front. Tandis qu'elle reprenait son souffle, l'homme s'éloignait lentement.
-Je vais vous laisser, je dois reprendre la route avant que ça ne devienne impraticable. Bonne journée., lança-t-il.
Trop déconcertée par tout ce qui venait de se produire et essoufflée par cette traversée, Lumi n'eut même pas l'énergie de s'énerver. Elle se contenta de lui faire un vague signe de la main tandis qu'il quittait le bâtiment, se promettant néanmoins d'appeler l'éleveur de la jument dès que possible pour avoir une sérieuse discussion avec lui. Une fois seule, la jeune femme observa sa nouvelle acquisition. Devil's Lullaby tapait du sabot contre la porte, les oreilles plaquées sur le crâne, les lèvres retroussées tandis qu'elle hennissait nerveusement. N'ayant pas le courage de gérer la situation d'une autre façon pour le moment, Lumi alla chercher un seau de granulés dans lesquels elle ajouta quelques gouttes d'huile essentielle de fleur de Bach, destinées à détendre les animaux. Elle plaça la ration dans le box de la nouvelle arrivée et fut soulagée de voir l'alezane commencer à s'alimenter.
-Bon, bienvenue chez toi ...», grommela-t-elle.
Pour la première fois de sa courte carrière d'éleveuse, Lumi ne savait pas du tout dans quoi elle venait de s'embarquer. Une chose était sûre cependant: Devil's Lullaby avait fait une très mauvaise première impression.

PORT DU HARNACHEMENT (1/5)

Si Devil's Lullaby maîtrisait maintenant la longe aux trois allures, ce n'était que la première étape de son débourrage. Lumi avait encore beaucoup de travail, mais elle n'avait pas peur de la charge représentée par celui-ci. C'était son défi personnel, et elle comptait bien le réussir haut la main. C'est pour cela qu'après deux semaines passées aux petits soins pour Sex Appeal et son nouveau poulain, elle avait décidé de se pencher de nouveau sur Lullaby. Le printemps avait enfin chassé l'hiver et, bien que les températures soient encore froides, le soleil réchauffait l'atmosphère. Cependant, pas d'extérieur pour cette fois, puisque le duo s'attaquait au port du harnachement. Tandis que Lumi apportait tout ce dont elle aurait besoin près du box de Lullaby, Rose l'observait avec intérêt, couchée sur un tas de paille dans le couloir. Enfin prête, Lumi entra dans le box, chose qu'elle n'aurait jamais osé faire à l'arrivée de la jument. Mais un accord tacite avait été passé entre elles, et Lullaby, à défaut de l'aimer, respectait Lumi. La plupart du temps. Mais heureusement pour l'éleveuse, l'alezane semblait plus tolérante en ce jour, encore plus lorsque sa propriétaire lui glissa une friandise pour la saluer, ne pouvant encore vraiment la caresser. Puis elles commencèrent.
Procédant pièce par pièce, Lumi s'empara du filet. L'objet ressemblant fortement à un licol, Lullaby ne s'y intéressa même pas une seconde, préférant manger son foin comme si Lumi n'était pas là. La jeune femme décida donc de passer l'étape de la désensibilisation, celle-ci n'étant visiblement pas nécessaire. Elle attira la tête de la jument à elle, non sans essuyer un regard mauvais, oreilles en arrière, ponctué d'un renâclement. Ignorant le sale caractère de la jument, elle commença à lui enfiler l'équipement. Tout se passait incroyablement bien, jusqu'à ce que le mors ne se présente face à Lullaby. Alors que Lumi essayait de le pousser délicatement dans la bouche de la jument, cette dernière refusait catégoriquement d'écarter ne serait-ce que le bout des lèvres. Elle restait obstinément immobile, figée comme une statue, tandis que sa propriétaire se débattait et la suppliait de faire un tout petit effort. Après plusieurs essais qui lui coutèrent dix minutes, Lumi recula, vaincue. Elle réfléchit à une autre technique, refusant d'arrêter si près du but et de baisser les bras à la première difficulté. Soudain, elle sortit du box et se rendit dans la pièce où se trouvait toute l'alimentation des chevaux. Dans le placard contenant les suppléments et médicaments, elle trouva un pot de confiture déjà ouvert, dont elle se servait pour donner les traitements des chevaux les plus récalcitrants. Elle revint ensuite auprès de l'alezane avec son arme secrète. Dès que Lumi ouvrit le pot, les oreilles de Lullaby pivotèrent dans sa direction et ses naseaux frémirent à la douce odeur du sucre. Lumi y trempa un doigt et le tendit vers la jument qui, d'un coup de langue rapide, le débarrassa de toute la confiture. Avec un intérêt nouveau, Lullaby fixait désormais l'éleveuse, attendant une autre friandise. Lumi avait trouvé une solution à son problème.
Elle saisit le filet et en particulier le mors puis, sous l’œil attentif de l'alezane, le badigeonna de confiture. Une fois cela fait, elle revint dans le box avec la jument, et reprit où elles s'étaient arrêtées. Elle passa le filet avec la même aisance que la première fois, puis au moment de mettre le mors, Lullaby hésita un court instant. Bientôt sa gourmandise fut plus forte et la jument commença à lécher l'outil, ouvrant la bouche par la même occasion. Lumi saisit sa chance et poussa le mors dans celle-ci. La jument tapa du pied, mécontente, tout en continuant de lécher la confiture bruyamment, ses dents claquant sur le mors. Mais une remontrance de sa propriétaire et un peu de confiture supplémentaire finirent par convaincre Lullaby de se tenir tranquille, et elle finit par accepter le mors sans essayer de le recracher. Avant de crier victoire, Lumi réessaya à plusieurs reprises. Chaque fois, le mors passa sans problème et, miraculeusement, la jument cessa aussi de râler à chaque essai. Heureuse d'avoir enfin réussi à atteindre son objectif, Lumi décida de s'arrêter là pour aujourd'hui. Il ne servait à rien de se précipiter avec Lullaby, il fallait procéder pas à pas, et elle se contenterait donc de cette petite avancée pour le moment. Elle récompensa la jument d'une friandise, puis lui ôta finalement le filet et sortit du box. Tandis qu'elle rangeait la confiture dans le placard, un sentiment de victoire la revigorait.

PORT DU HARNACHEMENT (2/5)

Lumi revint avec la même détermination que la dernière fois. Si elle avait réussi à faire accepter le mors à Devil's Lullaby, le tapis serait un jeu d'enfant, elle en était sûre. Elle décida cependant de ne pas imposer trop de choses à la fois à la jument, et de procéder une pièce d'équipement à la fois avant de les mettre ensemble. Ainsi, elle enfila un simple licol à l'alezane avant de la sortir dans le couloir de l'écurie et de l'attacher devant son box. Une fois Lullaby en place, Lumi s'empara du tapis qui lui était destiné. Elle le posa tout d'abord sur la porte du box et laissa la jument l'examiner sous toutes ses coutures. La selle français prit plusieurs minutes pour jauger l'objet, n'hésitant pas à le toucher du bout des lèvres. Quand le tapis n'eut plus d'intérêt pour elle, l'alezane s'en détourna et sa propriétaire prit cela pour le signe qu'elle pouvait passer à la suite. Elle récupéra donc le tapis et commença à le frotter délicatement sur la jument, commençant par l'épaule et se rapprochant progressivement du dos de celle-ci. Lullaby tapa du pied à plusieurs reprises, exprimant aussi son mécontentement de quelques renâclements. Lumi tenta de l'apaiser, mais sa relation avec la jument n'était pas encore assez forte pour que cela ait un effet suffisant. Si seulement elle se laissait caresser ...
Chassant cette idée de son esprit, l'éleveuse continua sa désensibilisation au tapis, utilisant uniquement sa voix pour rassurer ou tenter de calmer la jument. Après de longues minutes qui lui parurent des heures, les objections de Lullaby se firent moins violentes et plus espacées, jusqu'à devenir de simples manifestations d'agacement d'où l'agressivité avait disparue. Elle laissa le tapis la survoler et lui toucher les flancs et le dos pendant quelques secondes. Lumi sourit. Elles progressaient. Son espoir ravivé par cette avancée, la jeune femme s'engagea enfin sur l'étape ultime. Après l'avoir un peu agité à côté de l'alezane pour s'assurer que son mouvement ne l'effrayait pas, elle posa le tapis sur le dos de la jument.
La réaction de Lullaby fut presque immédiate. Elle rua et envoya le tapis au loin, surprenant Lumi, qui fit un bond en arrière pour ne pas prendre de mauvais coup. Quelques têtes sortirent des boxes voisins, curieux de voir ce qu'il se passait. L'éleveuse laissa la jument se calmer avant de s'approcher de nouveau d'elle. Ramassant le tapis au passage, elle commença à le poser de nouveau sur le dos de l'alezane, tout en lui ordonnant de rester calme d'une voix autoritaire et en la tenant directement par le licol. Lullaby s'agita mais ne rua pas cette fois. Elle se contenta de piétiner sur place et de donner des légers coups de cul, jusqu'à ce que le tapis glisse de son dos pour aller s'écraser une seconde fois dans la poussière. Bien décidée à persévérer, Lumi réitéra l'exercice plusieurs fois. A chaque tentative, la jument dégageait le tapis de son dos, que ce soit en bougeant, sautillant et parfois en l'attrapant directement entre ses dents pour le jeter plus loin. Malheureusement pour elle, sa propriétaire avait décidé qu'elle parviendrait à lui faire accepter le tapis aujourd'hui, et elle n'abandonna donc pas, tenant tête à la jument capricieuse. Cette dernière accepta le défi et continua à se débarrasser de l'équipement comme elle le pouvait, jusqu'à commencer à fatiguer à force de s'agiter ainsi. Elle lançait des regards étranges à Lumi, comme si elle observait ses réactions, à la recherche de la moindre trace de frustration ou d'abandon chez la jeune femme. Mais celle-ci ne laissait rien paraître, et lorsqu'elle posa le tapis pour la centième fois sur le dos de l'alezane et que l'objet resta en place tout comme la jument, elle faillit ne pas se rendre compte de sa victoire. Les oreilles couchées sur le crâne et la moue boudeuse, Lullaby s'était finalement résignée à accepter le tapis. Lumi la félicita et la récompensa d'une friandise, que la jument prit à contrecœur, frustrée d'avoir fini par céder. L'éleveuse s'assura que l'objet était bel et bien accepté en le remettant à plusieurs reprises. Aucune réaction. Sa mission du jour était accomplie. Satisfaite de voir que Lullaby commençait à lui obéir et à se calmer, elle la remit dans son box après une seconde friandise. D'ici quelques jours, elle tenterait de lui mettre la selle, ce qui s'annonçait déjà comme un sacré défi.

PORT DU HARNACHEMENT (3/5)

Lumi ne se laissait aucun répit. Presque tous les jours, elle venait travailler avec Devil's Lullaby pour progresser dans son débourrage. Ainsi elle pouvait progresser avec l'alezane de manière régulière. Et le jour était enfin arrivé de passer à la dernière pièce d'équipement: la selle. Procédant comme la dernière fois, la jeune femme attacha la jument devant son box avec un simple licol et une longe, puis elle lui mit un tapis sur le dos. Lullaby étant déjà habituée à cet objet, elle n'y fit pas attention. Une fois la jument prête et bien calme, sa propriétaire alla chercher leur outil de travail de ce jour. Elle revint avec une selle flambant neuve, destinée à l'alezane. Elle présenta l'accessoire à la jument, la laissant une fois de plus l'examiner sous tous les angles, et faisant aussi bouger les étriers pour habituer Lullaby à leur cliquetis métallique. La jument ne semblait pas perturbée par cette nouveauté, l'observant juste d'un air indifférent. L'éleveuse n'hésita donc pas plus longtemps et, pressée de faire le dernier pas du port du harnachement, elle passa immédiatement à l'étape suivante. Saisissant la selle à deux mains, elle s'approcha du flanc de Lullaby et, d'un geste sûr et rapide, posa l'objet sur le dos de la jument.
L'alezane fit un brusque écart sur le côté, faisant basculer la selle, qui tomba lourdement au sol dans un bruit sourd. Lullaby renâclait, agitée et clairement mécontente. Elle montrait son désaccord avec la rapidité de cette désensibilisation. Lumi ramassa la selle et laissa la selle français se calmer. Après une seconde tentative qui se solda par un échec cuisant, la jeune femme décida de faire une pause. Elle s'adossa au box, observant la jument d'un air pensif. Si elle progressait à vue d’œil, elle n'était peut-être pas encore aussi loin que l'avait pensé sa propriétaire. Après tout, elles se connaissaient à peine et peut-être que la jeune femme mettait beaucoup trop d'espoir et de pression sur le dos de l'alezane. Alors qu'elle avait compris qu'elle devait procéder lentement et à tâtons avec la jument, elle avait décidé d'accélérer le rythme et de prendre plus de risques ces dernières semaines, au point d'essuyer des défaites comme celle qui était actuellement en train de se dérouler. Il fallait qu'elle revienne à son ancien fonctionnement, qu'elle accepte que la jument ne serait pas prête à être montée de si tôt. Qu'elle s'enlève cette date objectif de l'esprit, pour se concentrer uniquement sur le débourrage en lui-même et non la finalité ou la vitesse à laquelle elle s'en approchait.
Sortant de ses pensées et bien décidée à revenir sur ses erreurs pour procéder autrement, Lumi reprit l'exercice en douceur. Elle exagéra même le déroulé des étapes de la mise de la selle, ajoutant parfois des étapes infimes mais qui permettaient à la jument de toujours progresser, petit à petit. Ce fut après un quart d'heure d'essais, de tentatives diverses et variées, de petits soucis mais aussi de succès que, dans un ultime test, Lumi parvint enfin à poser la selle sur le dos de la jument sans qu'elle ne bouge. Retenant presque son souffle, l'éleveuse en resserra les sangles lentement, guettant les réactions de l'alezane. Quand elle passa enfin les boucles dans les trous, Lumi recula et observa sa jument. Lullaby se tenait immobile, équipée de son tapis et de sa selle. Elles avaient réussi. Contenant difficilement sa joie, Lumi retira finalement l'équipement au bout de quelques minutes, avant de rentrer Lullaby dans son box. La prochaine fois, elle s'assurerait de pouvoir mettre tout le harnachement sans problème. Et une fois cette étape maîtrisée, elle pourrait passer très prochainement au grand final en montant sur le dos de Lullaby.

PORT DU HARNACHEMENT (4/5)

Après avoir fait une petite pause dans le débourrage de Devil's Lullaby, pour se remettre un peu en question sur ses techniques et prendre un peu plus de temps, Lumi était prête à continuer sa mission. Elle avait décidé de mettre le harnachement complet à la jument en ce jour. Le printemps était déjà bien plus présent et, même si elle comptait ralentir un peu le rythme, elle espérait bien pouvoir profiter des belles saisons pour monter l'alezane. Un paquet de friandises dans la poche et les pièces d'équipement sur les bras, l'éleveuse se rendit donc au box de Lullaby, où la jument l'attendait. Lumi disposa les accessoires sur un banc dans le couloir, où elle pourrait s'en emparer facilement, puis elle s'approcha de la porte du box. L'alezane l'observait d'un œil méfiant, prête à réagir immédiatement si sa propriétaire tentait de la caresser, chose qu'elle ne supportait pas. Lumi se contenta de lui donner une friandise pour la saluer, attention que préférait la jument. Après quelques minutes, la jeune femme décida de se mettre au travail. Elle alla donc chercher le filet et se glissa dans le box. Voyant l'objet, Lullaby râla un peu, mais sa propriétaire ne se laissa pas impressionner et commença à le lui enfiler. La jument s'opposa quelque peu à cette idée, se débattant et échappant à Lumi deux fois. Pourtant, elle avait été habituée au filet et n'avait pas fait de scène toutes les fois précédentes. Sa propriétaire se rendit donc compte avec désespoir que l'alezane devait être dans un très mauvais jour. Elle continua cependant de persévérer et, au bout d'un moment, parvint à faire glisser le filet sur la tête de la selle français. Une autre bataille s'ensuivit pour lui faire prendre le mors, que Lumi gagna après avoir rabroué un peu la jument capricieuse. Une fois le filet mis en place et bien réglé, Lumi put enfin mener Lullaby hors de son box.
La jeune femme accrocha une longe au filet, dont elle se servit pour attacher la jument devant son box. Là, elle reprit un peu son souffle et son courage, avant d'aller chercher le tapis. L'alezane ne tenta pas de le retirer lorsque Lumi le posa sur son dos, mais elle rendit la tâche difficile en ne cessant de bouger, dansant d'un pied sur l'autre, se décalant, tapant du pied à répétition. L'éleveuse dut faire preuve de patience et d'habileté pour placer le tapis correctement malgré les mouvements de la jument. Au moment-même où l'objet était en place, Lullaby cessa de bouger, parfaitement immobile. C'était presque de la provocation à ce niveau. Se retenant de pester contre la jument, Lumi prit une grande inspiration et passa enfin à la selle. Tandis qu'elle s'emparait de la pièce d'équipement, elle pouvait voir du coin de l’œil la jument qui l'observait, une étincelle de malice dans le regard. Elle préparait quelque chose, Lumi le pressentait. Pourtant, lorsque l'éleveuse posa la selle sur le dos de l'alezane, cette dernière ne broncha pas. Tranquille, elle se tenait bien droite et attendait la suite. Bizarre. Inhabituel de sa part. Avait-elle enfin eu le déclic et décidé de bien se comporter ? Lumi en doutait fortement. Pour elle, cette accalmie ne présageait rien de bon. Et elle eut raison. Alors qu'elle s'apprêtait à resserrer les sangles de la selle, Lullaby prit une grande inspiration et ... resta ainsi. Le ventre gonflé, elle empêchait sa propriétaire d'ajuster la selle correctement. Lumi patienta. Elle devrait bien expirer à un moment ou à un autre. Lullaby expira, puis reprit une inspiration aussitôt, laissant à peine quelques secondes à la jeune femme pour réagir, ce qui ne fut évidemment pas suffisant pour qu'elle parvienne à son objectif.
Et ainsi commença une longue bataille, pendant laquelle l'alezane continuait de gonfler ses poumons et son ventre, tandis que Lumi essayait de la seller. La situation semblait amuser la jument, que Lumi n'avait jamais vue aussi joyeuse dans son expression. Le bras de fer dure au moins quinze minutes, pendant lesquelles l'éleveuse perdait patience et désespérait d'arriver à quoi que ce soit aujourd'hui. Puis, par le plus grand des miracles, le jeu finit par ennuyer Lullaby, qui expira longuement, relâchant la pression. Craignant une récidive, Lumi se jeta presque sur les sangles pour les serrer le plus rapidement possible. Elle les ajusta d'une main experte mais un peu tremblante, soucieuse d'enfin mettre un terme à cette séance interminable. Une fois la dernière boucle passée, Lumi se recula et s'adossa contre la porte du box, épuisée mentalement par cette lutte acharnée. Lullaby l'observait, et Lumi lui rendit son regard. Aucune animosité n'était présente dans les pupilles brunes de la jument, elle se contentait d'analyser la situation. Le moment était comme suspendu dans le temps, tandis que toutes deux se fixaient, communiquaient par le regard. Puis, Lullaby se détourna et renâcla tout en tapant du pied, faisant comprendre à sa propriétaire qu'elle en avait assez de se tenir immobile ainsi. Lumi soupira, puis se redressa. Il était temps de retirer le harnachement de la jument.

JOUR 1.1

Si le rhume de Lumi était enfin passé, son autre mal, lui, demeurait malgré tout ses efforts. La jeune femme savait que seul le temps parviendrait à la soulager de la tristesse infinie qu'avait provoqué sa séparation. En attendant, elle essayait de rester occupée afin d'y penser le moins possible. Si travailler avec Devil's Lullaby l'avait souvent embêtée, elle savait que cette fois, le fait de devoir être très attentive à la jument et concentrée sur ses actions permettrait à son cerveau d'avoir un peu de répit et de se détacher du reste. Si elle ne voulait pas subir le mauvais caractère de l'alezane, elle n'aurait pas le loisir de rêvasser. C'est dans cette optique qu'après avoir nourri les chevaux et nettoyé un peu l'écurie, elle se dirigea vers le box de la selle français, essayant de ne pas regardes les boxes vides des chevaux qu'Owen avait pris avec lui. La jument l'accueillit comme d'habitude, c'est à dire pas du tout. Elle lui tournait le dos et mangeait son foin, et quand Lumi tapota la porte du box pour l'appeler, l'alezane donna un coup de sabot dans celle-ci, qui résonna dans le couloir. Oreilles en arrière, renâclant tout en mâchouillant sa nourriture, elle semblait d'une humeur exécrable. Déterminée à la faire obéir mais pas suicidaire, Lumi réitéra sa demande et l'appela par son nom, tout en restant derrière la porte pour ne pas se prendre de coup. Lullaby daigna tourner la tête et, lorsque Lumi l'appela pour la troisième fois, elle pivota finalement vers la porte, mais pas pour la saluer. Elle tendit le cou et ouvrit la bouche, exhibant toute sa dentition et menaçant de s'en servir. Commençant à connaître les signaux de la jument, Lumi ne se laissa pas impressionner, et profita du fait qu'elle présente sa tête aussi proche pour lui enfiler sa bride d'un mouvement expert. Quand Lullaby tenta de se retirer, il était trop tard. L'éleveuse lui tenait fermement l'encolure tout en fermant les sangles de la bride et le mors était passé en un clin d’œil. Après quelques coups de pied exprimant son mécontentement, Lullaby se résigna et sa propriétaire ouvrit enfin la porte du box. La jument la bouscula franchement au passage tandis qu'elle sortait, et Lumi ne perdit pas de temps pour l'attacher dans le couloir afin d'être plus tranquille pour la suite.
Une fois les deux mains libres, la jeune femme alla chercher son étrille pour passer un rapide coup avant de travailler. Malgré la très courte durée de ce pansage, la jument fit bien remarquer à sa propriétaire qu'elle était agacée, lançant régulièrement un membre en arrière dans l'espoir qu'il touche quelque chose. Mais l'éleveuse était toujours prudente, et elle voyait à chaque fois l'alezane qui se préparait à frapper et l'évitait sans souci. Abandonnant l'idée de vérifier ses sabots avant la séance vu son comportement, elle se contenta de l'étrille. Elle aurait de toute façon tout le loisir de se battre pour obtenir les pieds de la jument à la fin de la matinée. Sentant déjà ses muscles chauffer alors qu'elle n'avait fait que sortir la jument et passé un coup de brosse, Lumi s'octroya une pause d'une minute avant d'aller chercher le harnachement de l'alezane. Minute qu'elle ne laissa pas s'écouler entièrement, sentant les larmes lui venir de manière totalement aléatoire comme elle laisser son esprit divaguer. La jeune femme se redressa brusquement et se remit au travail. Quand elle revint, elle dût retirer les rênes de la bouche de la jument, qui tentait de manière très claire de les sectionner. Elle la gronda, même si elle savait que Lullaby se fichait complétement des réprimandes. Lorsque l'alezane recommença sa bêtise, Lumi sauta sur l'occasion pour poser le tapis et la selle en un seul mouvement. D'un geste rapide, elle resserra la sangle de cette dernière pour assurer une prise, avant d'ajuster le tout. Dès qu'elle avait eu son équipement sur le dos, Lullaby avait cessé de mâchouiller les rênes pour se retourner et tenter de retirer le tapis. Le tenant du bout des dents, elle tirait mais était gênée par la selle qui le retenait et Lumi qui y mettait tout son poids tout en réglant correctement la sangle et les étriers. La selle français s'avoua vaincue et finit par lâcher pour se mettre clairement à bouder. Sa propriétaire profita de cette accalmie pour terminer de la harnacher. Une fois satisfaite, la jeune femme essuya ses mains transpirantes sur son pantalon, enfila ses gants et mis sa bombe. Puis, elle alla détacher Lullaby pour la mener vers le manège, vérifiant au passage qu'elle n'avait pas trop endommagé les rênes. La dernière chose qu'elle voulait était que ceux-ci ne cèdent entre ses mains tandis qu'elle montait la jument. Elle commença à avancer, Lullaby à sa hauteur, une main sur les rênes et l'autre sur la joue de l'alezane pour la repousser chaque fois qu'elle faisait mine de vouloir la mordre. Après quelques mètres, Lullaby sembla se lasser et décida de coopérer, au moins jusqu'à ce qu'on lui monte dessus. Elle suivit Lumi d'un pas las, peu encline à travailler.