L’arrivée d’un nouveau cheval dans la brigade est toujours un événement excitant. Surtout quand ce dernier est d’une beauté saisissante. Sur les photos en tout cas. Pour notre premier contact, j’ai appelé une vieille connaissance qui fait maintenant de la photographie professionnellement. Je veux immortaliser ce moment unique où je poserai les yeux sur l’étalon croisé pour la première fois. Je choisis judicieusement mes vêtements - un pantalon d’équitation charbon avec un polo de couleur bordeau - que j’enfile dès ma sortie de la douche. Je sèche mes longs cheveux bruns et je les laisse onduler naturellement. Une légère touche de mascara et d'eye liner plus tard, et me voilà fin prête. Je descends les marches de mon appartement quatre à quatre et déboule dans le bâtiment principal. Je heurte Kayce au passage, lui offre des excuses en ne me retournant qu’à peine alors que je détale vers le stationnement principal. Il est déjà avisé que mon nouveau partenaire doit arriver aujourd’hui, forcément il comprend mon agitation. Quand j’arrive enfin dans le stationnement du domaine, une voiture compacte remonte l’allée et se gare près de moi. Je souris de toutes mes dents quand je découvre la femme qui en sort. Lainey me rend mon sourire avant d’attraper son matériel dans le coffre de sa bagnole. Nous nous saluons officiellement d’un bisou sur la joue quand elle me rejoint enfin.

Toutes les deux nous discutons du plan de match de la journée. D’abord, nous attendons le transporteur - qui doit arriver dans les dix prochaines minutes d’ailleurs - Lainey prendra plusieurs clichés de moi qui découvre ma nouvelle monture. Ensuite, nous irons dans une magnifique prairie où des arbres ont commencé à bourgeonner et les fleurs ont commencé à éclore. Alors que nous discutons des formalités, un klaxonnement non loin me parvient. Je laisse mon regard dévier jusqu’à l’entrée du domaine, où je vois enfin ce qui nous amène ici, un camion et une remorque à chevaux. Je piétine sur place pendant que la photographe prépare son appareil et fait quelques tests de luminosité. Le véhicule s’arrête devant nous et je me précipite à l’arrière du poids lourd. À ce stade de surexcitation, je ne remarque même plus Lainey si ce n’est que j’entends son appareil se déclencher à plusieurs reprises. Le chauffeur me rejoint alors que j’ai la main sur le verrou et il me sourit chaleureusement en hochant la tête. Il me laisse la place et retourne à sa besogne. Le grincement habituel du loquet en métal qu’on sort de ses gonds me fait frissonner d’impatience. Je descends la rampe d’embarquement avec efficacité et pose enfin la main droite sur la poignée de la porte. Je prends une profonde inspiration et j’ouvre tout en reculant d’un pas.

Sous une séparation en aluminium, je vois quatre membres bien protégés de bandes de transport bordeaux - quel heureux hasard. Du blanc et du roux. Mes yeux émerveillés continuent leur petite inspection jusqu’à voir une croupe alezane musclée pour le jeune âge de l’équidé. Je ne peux plus attendre. Je monte dans la remorque et je me dirige à pas de loup pour le libérer. Je défais la division en aluminium que je repousse du côté opposé. Le croisé peut enfin se permettre de se tourner la tête, bien qu’il soit encore attaché. Ses yeux brillants, mais tendres, rencontrent les miens pour la première fois. Émerveillée, je ne peux pas détacher mon regard de lui. Envol. Salut toi, dis-je d’une voix douce en tendant une main vers son nez blanc. Son marking irrégulier lui donne un charme incontestable. Je pose enfin la main sur lui au bout de quelques secondes, tout d’abord sur son chanfrein, puis sa joue. De ma main libre, je défais la longe de l’anneau qui le retient toujours à la remorque. Un bruit sourd suivi d’un chuchotement d’excuses me fait sursauter et les oreilles du croisé pivotent rapidement. Lainey - que j’avais complètement oubliée - a tenté de monter subtilement dans la remorque mais est presque tombée à la renverse en s’accrochant les pieds dans la rampe d’embarquement. Je décide qu’il est temps pour nous de sortir d’ici.

J’appuie fermement sur le poitrail de l’étalon qui s’engage en marche arrière tranquillement. Je l’encourage à chaque pas qu’il fait dans la bonne direction, et en moins de deux il cligne des yeux quand il est enfin dehors à la lumière du jour. Envol - c’est son nom - relève la tête et hennit fortement pour faire part de sa présence en ces lieux. Quelques-uns des chevaux se trouvant dans les prairies lui répondent, tandis que d’autres, curieux, se taisent mais approchent des barrières. J’entends plusieurs fois l’appareil de Lainey se déclencher, je me retourne donc vers elle pour prendre quelques poses aux côtés de mon nouveau compagnon. Pendant ce temps, le transporteur ferme la remorque et me salue gentiment avant de quitter pour sa prochaine destination. Je m’accroupis ensuite près des antérieurs en gardant la longe fermement dans une main, puis je défais les protections de transport. Lorsque les quatre pattes sont finalement dénudées, je ramasse le tout et dépose tout ça près de l’entrée de mon bâtiment annexe. Je marche enfin vers notre seconde destination pour la séance de photos officielles, suivie de près par l’étalon croisé et la photographe professionnelle. Nous y arrivons cinq minutes plus tard et je suis surprise de voir autant de fleurs sauvages dans la prairie.

L’ambiance autour de notre trio est teintée de douceur et d’éclat. À mes côtés, Envol se laisse tenter par une bouchée d’herbe. Je ne le reprends pas, je le laisse plutôt faire. Lainey me donne quelques indications et nous commençons la session photo par des images plus naturelles. Je déambule donc dans la prairie parfois en marchant devant l’étalon, parfois à ses côtés. Je me retourne aussi et je fais quelques pas de recul pour lui faire face. Si j’avais un doute sur la description dont m’avait faite le vendeur du croisé, maintenant je n’en avais plus. Près de l’humain comme pas un, même si on ne se connait que depuis cinq minutes, il me suit sans jamais me tracter et respecte mon espace personnel, tant que je respecte le sien. Sa douceur est apaisante et je me surprends à m’arrêter pour envelopper son encolure d’une longue caresse. Je sens sa tête se refermer dans mon dos, m'emprisonnant ainsi dans une étreinte sentimentale. J’entends au loin l’appareil de la photographe se déchaîner et je souris, les yeux fermés. Je profite de ces longues secondes intimes, puis je reprends mon chemin. Un arbre en fleurs à une extrémité de la prairie a attiré l'œil avisé de la professionnelle qui m’a demandé une pose spécifique. Je m’y rends donc, toujours flanquée de mon ombre.

Je me laisse glisser le long de l’écorce du vieil arbre et m'assois près de ses racines. Je mets une petite pression sur la longe de l’étalon sabino qui baisse sa tête à mon niveau. Je lui caresse le chanfrein, la joue et le nez pendant que Lainey nous mitraille. Après une dizaine de minutes à changer de poses et à profiter de la présence l’un de l’autre, il est temps de mettre fin à cette séance photo - un autre contrat attend la professionnelle dans l’après-midi. Nous marchons tous les trois côte-à-côte jusqu’à notre point de départ, pendant que Lainey et moi discutons des modalités. Je recevrai les photos préliminaires d’ici deux ou trois jours et dans une dizaine de jours j’aurai ma sélection retouchée. Nous nous saluons encore une fois d’une bise sur la joue et alors qu’elle remonte dans sa voiture compacte, je prends le chemin de ma petite écurie pour aller installer Envol avec ses nouveaux compatriotes.