J’arrête la voiture devant le charmant domaine de Black River et je coupe le contact. Dans les dernières années j’ai pris plusieurs contrats de débourrage, et celui-ci a été un des plus intéressants. Je claque la portière derrière moi et je me dirige instinctivement vers le paddock du poulain, que je sais que je trouverai à cet endroit. Dès que je suis enfin à portée de voix, j’appelle doucement son nom pour attirer son attention. Whiskey On Ice relève la tête, mais ne fait pas un pas dans ma direction. Bien que les dernières années nous ont menées à avoir une relation harmonieuse, la confiance n’est pas là à deux cents pour cent. Je me faufile entre deux planches de bois pour me retrouver dans son paddock. S’il était humain, je pense que j’aurais vu ses yeux se plisser. Je lève les miens au ciel et je fais un pas dans sa direction. Il ne fuit pas et ne frémit pas non plus, c’est encourageant. J’avance jusqu’à lui à pas lents - ce qui me semble prendre une éternité - puis je finis par lui faire face. Je reste à une distance raisonnable de lui et je ne bouge plus, attendant qu’ils franchissent les derniers mètres qui nous séparent. C’est long, mais au bout de cinq minutes l’impensable se produit. Le poulain paint horse s’approche et plonge le nez dans la poche de ma veste. Je retiens un rire pour ne pas l’effrayer et je lui caresse affectueusement le chanfrein.
Je lui présente tranquillement le licol que je passe après quelques secondes autour de son nez, puis sa nuque. Dès que j’ai ajusté le montant de nylon dans la boucle en laiton, Whiskey On Ice secoue la tête de longues secondes avant de se faire une raison. Je lui tapote l’encolure pour l’encourager et je prends la direction de l’entrée du paddock. Après deux pas, une force centrifuge me tire vers l’arrière et je me retourne en direction du paint horse. Le poulain n’a pas bougé d’un sabot. Sa tête est allongée au bout de la longe.
- Sérieusement? Je relâche un long soupir. Moi qui pensait pouvoir avancer dans ton entraînement aujourd’hui, il semble qu’on ne fera qu’une révision des acquis.
Je marmonne dans ma barbe, mais ma voix semble apaiser le poulain dont les oreilles dansent sur le dessus de la tête. Je remets un peu de tension au bout de la longe et cette fois, le bicolore m’emboîte le pas. J’avance d’un pas léger cette fois, sachant que le poulain me suit de son bon vouloir. Nous traversons son paddock, puis l’allée nous menant à l’écurie principale. Le son des sabots pieds nu sur le bitume me parvient jusqu’aux oreilles et je ressens un frisson me parcourir l’échine. Ce son m’apaise et me réconforte à la fois. Je pourrais m’endormir rien qu’à l’entendre. Je traverse l’allée quasi déserte - ce serait un crime de laisser des chevaux en santé à l’intérieur avec un temps pareil - pour finalement arriver à l’aire de préparation. J’entre dans une stalle suivie de Whiskey On Ice et je me retourne vers l’endroit d’où je viens, geste rapidement imité par l’équidé. Lorsque j’arrête, il s’arrête également et patiente jusqu’à ce que j’attache les câbles de parts et d’autres de son licol. Maintenant qu’il est impossible pour lui de fuir et que les mousquetons sont sécuritairement fixés, je passe la longe autour de son encolure pour éviter qu’il ne mette un pied dessus. J’attrape un bac de pansage placé non loin de nous sur une tablette et je viens le déposer devant lui.
Avant d'essayer de l’approcher avec une brosse, je tente une première approche à mains nues. Bien qu’il me fasse plus confiance avec le temps, je suis toujours un peu sur mes gardes sachant qu’il est capable d’être apeuré de pas grand chose. Je passe délicatement mes mains sur son encolure et quand je n’obtiens aucune réaction négative, je continue d’explorer son petit corps musclé. Je caresse son garrot, son dos et son ventre avant de continuer jusqu’à sa croupe et ses membres postérieurs. J’évite de passer derrière, je reviens donc graduellement sur mes pas, en ne lâchant pas mes manipulations discrètes. Lorsque j’arrive à sa tête, Whiskey On Ice me surprend d’une marque d’affection. Il pousse son nez dans mes mains et en lèche la paume. Je ris bassement pour éviter de l’effrayer, mais je le laisse faire quelques secondes. Puis, je passe devant lui, gardant un œil sur ses réactions et je me déplace de l’autre côté. Je copie les gestes que j’ai fait précédemment et quand je le sens complètement détendu, je passe enfin devant lui et je récupère une étrille en caoutchouc. Sa robe bicolore est maculée de boue séchée, preuve d’un cheval heureux de passer presque toute sa vie dehors.
J’entame des petits cercles appuyés dans son encolure, que je déplace sur toutes les parties charnues de son corps, commençant du côté gauche pour finir à droite. Quand j’ai terminé, j’entreprends d’enlever une épaisse couche de poussière grâce à la brosse dure que je passe aux mêmes endroits que sa prédécesseure. Je termine le nettoyage de sa robe bicolore en passant une brosse douce et je réalise à quel point Whiskey est calme. Ses yeux fermés à demi m’encouragent à continuer. J’attrape une peigne et j’entreprends de démêler sa crinière très peu fournie avant de m’attaquer à sa queue. Placée sur le côté pour éviter un coup de pied, j’attrape les crins dans une main et je défais les nœuds avec mes doigts. Quand je suis satisfaite, je passe le peigne
et voilà. Je recule d’un pas, pour me heurter à un mur derrière moi. Surprise, je sursaute et me retourne d’un bloc. La tête du paint horse est tournée sur le côté et il m’observe d’un air songeur. Je lui caresse affectueusement la joue et reprend le contrôle de mes battements cardiaques affolés. Je troque le peigne pour un cure-pied et je m’accroupis près de son antérieur gauche.
- Prêt?
Je tapote doucement son canon et il soulève son pied qui atterrit sur ma cuisse. Je le félicite chaudement et je nettoie son sabot rapidement. Je répète les mêmes demandes aux trois autres membres et tout se passe dans le calme et la positivité. Si je suis fière? Bien sûr, le poulain devient un homme gentil et agréable. Sa propriétaire en sera fière. Je lui tapote l’épaule alors que je détache d’une main le mousqueton du câble d’attache, puis je passe de l’autre côté et je fais la même chose. J’agrippe la longe qui était enroulée autour de son encolure et je reprends tranquillement le chemin des paddocks. Cette fois, Whiskey On Ice ne se fait pas prier, sachant pertinemment qu’il retrouve le confort de son espace de vie régulier.