around the world

Je serais là dans une heure. Tu soupires. Soixante longues minutes dans une ville qui t'es parfaitement inconnue. Soixante interminables minutes dans l'humidité écossaise. Dans le froid et la brume qui trainent dans les rues malgré l'été. Tu ronchonnes sous ta veste fine, ton sac de voyage déjà détrempé repose à tes pieds sur le bitume. Des vacances, tu parles. Plutôt une punition pour tes dernières fanfaronnades qui ont terminé une nouvelle fois au poste. Tu ressasses le froncement de sourcils de ta mère. Ton père qui ne sait plus quoi faire de toi. Des parents absents qui t'envoient chez une soeur que tu ne connais plus. Une soeur qui ne se donne même pas la peine d'être au rendez-vous. Tu râles Poppy, te languissant d'un bain moussant bouillant après ce long trajet et ces températures automnales qui sont là bien trop en avance. Les briques rouge des bâtiments, noircies par la pluie, te narguent. Dans tes oreilles, les échos de conversations à l'accent étrange finissent de te dépayser. À la hâte, tu t'empares des lanières de ton bagage avant de t'aventurer dans un dédale de ruelles piétonnes à la recherche d'un abri en attendant que l'on vienne finalement te chercher. Cheveux collés au visage, tu essayes de ne pas trop penser aux longues semaines à venir avant ton vol de retour vers les États-Unis, notant néanmoins être bien ravie du déménagement de ta famille outre Atlantique lorsque tu étais encore une gamine sachant à peine marcher. Tu as beau être à peine arrivée dans ton pays natal que l'Écosse te donne déjà un beau mal de crâne et l'envie irrépressible de fuir le plus loin possible.

Je suis au Starbucks. Il te faut sécher l'écran de ton téléphone tactile avec une serviette en papier avant de pouvoir taper et envoyer ton message. Quarante minutes. Tu redoutes les retrouvailles autant que l'enfant soigneusement cachée au fond de toi s'en délecte avec silence. Abandon d'une soeur que tu admirais tant autrefois. Mais si le temps a brouillé tes sentiments, les souvenirs demeurent dans les tréfonds de ta mémoire. Les moments joyeux présents bien qu'étouffés par les larmes du départ d'Hazel. Les pleurs, les cris puis le ressentiment qui finit par s'installer de manière insidieuse. Un venin qui n'attend qu'une morsure, un sang à contaminer. Tu laisses le macchiato fumant posé devant toi refroidir un peu, y posant les mains afin de réchauffer le bout de tes doigts. Trente cinq minutes. Au dehors, à travers la vitre embuée, tu observes les passants qui avancent d'un pas pressé malgré la pluie qui a disparue le temps d'un clignement de paupières. Quelques efforts pour tenter de t'imaginer la vie que tu aurais eue ici te laissent l'esprit vide d'une imagination tarie.

Désolée, problème de pick-up. Tu vas devoir prendre un taxi. Tu reposes ton smartphone avec plus de force que prévu. Super. Quinze minutes. Ta boisson est depuis longtemps terminée. Tu hésites un instant à recommander puis te ravises, empoignant ton sac et ta veste encore trempée que tu ne prends pas la peine de remettre, avant de quitter l'établissement. Tu marches sans but, débouchant sur les rives du Ness puis découvrant les abords du chateau d'Inverness auquel tu ne trouves rien de très fantastique. Tu songes à des portes qui claquent dans des couloirs glacés aux murs ornés d'immenses peintures. Des visages royaux d'une autre époque aux yeux qui semblent poursuivre chacun des mouvements des visiteurs. Une vision qui t'aurait autrefois donné des étoiles dans les yeux quand, plus jeune, tu rêvais de tes origines et d'un pays mystique aux milles possibilités. Tu chasses ces pensées, poursuivant ton parcours dans des rues qui s'enchainent et se ressemblent jusqu'à apercevoir une voiturette noire que tu hèles à la manière d'une pure new yorkaise.

Installée dans l'habitacle, tu chasses avec une certaine impolitesse les questions courtoises mais malvenues de ton chauffeur. Celui-ci abandonne rapidement ses tentatives d'une conversation civilisée pour se concentrer sur la route. Woodbridge Farm, une heure de route au nord d'Inverness dont vous vous extirpez assez rapidement à ton plus grand étonnement. La campagne écossaise s'étend à perte de vue à travers la fenêtre et tu as depuis quelques kilomètres déjà, perdu tout réseau sur ton iphone à l'écran fissuré. Dans un énième soupire, tu laisses ton front reposer contre la vitre fraiche, ton regard noisette dans le brouillard qui ne s'accroche à rien de particulier. Ni aux pierres des petits cottages, ni aux bruyères qui encombrent le paysage de part et d'autres d'imposantes forêts aux secrets bien gardés. Ton attention ne s'éveille réellement de nouveau que lorsque l'auto ralentit sa course sur un chemin rocailleux, les silhouettes de chevaux commençant à se laisser apercevoir dans les champs alentours d'une maisonette typique de la région. Bienvenue à Woodbridge, Miss.

Les vacances touchent à leur fin. Pour de bon cette fois. Dans ton sac, ton billet retour pèse douloureusement, attendant patiemment d'être utilisé le lendemain. À travers la fenêtre du bus qui t'emmènes à deux heures de route de Dornoch et Woodbridge Farm, tu songes au regard un peu peiné d'Hazel lorsque tu lui as annoncé avoir des plans pour la journée. Tu sais qu'elle espérait passer cette dernière journée en ta compagnie et, si cela te réchauffe le coeur, tu as un but à atteindre. Une dernière chance à saisir. Tandis que la même météo morose qu'à ton arrivée s'acharne sur la campagne écossaise à l'extérieur, tu replonges dans les souvenirs. Dans toutes ces choses que tu as vécues en à peine deux mois de temps.

Perdue au milieu de nulle part. La pluie qui trempe tes vêtements alors que tu sors à peine du train. Tu as envie de reprendre l'avion que tu viens de quitter à peine une heure auparavant et qui doit déjà être sur le point de repartir loin d'ici. Ce que tu aimerais être dedans. À la place, tu es coincée ici. Puis à Woodbridge en compagnie d'une soeur que tu ne connais plus. Tu restes cordiale mais tu ne fais pas la conversation. Pourtant, au fil des jours, tu redécouvres cette aînée que tu idolâtres toujours autant au fond de toi. Tu fais la rencontre de Good Boy et vous renouez autour de cet amour pour les chevaux que tu pensais avoir laissé derrière toi lorsqu'Hazel avait décidé d'en faire autant avec vous, avec sa famille. Tu te mets de nouveau en selle. Tu te souviens encore des courbatures les jours qui ont suivi. Celles-là même qui ont finit par s'estomper tandis que tu poursuivais tes séances sans relâche sous le regard bienveillant de ta grande soeur. Et ce week-end, à aider Harry rentrer son foin dans sa grange. Puis le jour où Millénaire s'est échappé, partant se refaire un moral en compagnie des moutons du champ d'à côté. La fête de village et les feux d'artifice. Les balades dans la campagne écossaise et les courses au grand galop sur la plage. L'adrénaline qui monte. Le coeur battant. Cette sensation de liberté dont tu voudrais t'enivrer sans relâche. Tu revois aussi les saules pleureurs dans l'arrière-cour, les parcs et l'écurie.

— Mademoiselle ? C'est votre arrêt.

Tu sors de tes pensées, extirpée par la voix du conducteur de bus. Au dehors, un petit village pittoresque t'attend. Tout est sec, la pluie n'est pas encore tombée ici. Tu le remercies tandis que tu descends, regardant ton moyen de transport repartir et te laisser vue sur un joli parc où trône une fontaine. La sculpture au centre est un cheval qui cabre. Tu souris. Téléphone en main sur un plan destiné à t'amener sur ton lieu de rendez-vous, tu prends une direction qui te mène en dehors de Glenmore. Vingt-cinq minutes de marche avant que tu n'arrives enfin à destination, pile à l'heure pour l'entretien qui t'attend. Les vacances touchent à leur fin, Poppy. Tes rêves, eux, ne font que commencer tandis que tes yeux se lèvent sur l'inscription au dessus du portail en fer devant lequel tu t'es arrêtée : Académie de Glenmore - Centre de formation pour jockeys.