RencontreA ce moment là, j’aurais aimé être invisible et m'enfoncer sous terre pour ne pas avoir à sourire et montrer ma fausse joie. Les regards insistants de mes proches me parurent soudain intimidants. Elise, ma sœur, posa sa main sur la mienne et posa sur moi un regard plein de chaleur qui me réconforta un peu. Ce fut enfin ma mère qui prit la parole :
- C’est ton seizième anniversaire chérie, il est temps d’être forte !
Mes jambes tremblèrent sous la table et des larmes remplies de souvenirs du passé m’embuèrent les yeux. Trop fière pour montrer mon inquiétude, je ravalai mes pleurs.
- J’étais pourtant sûre que tu avais surmonté ça … me dit Elise.
Je fis non de la tête et me leva brusquement, pris la carte d’anniversaire pour monter dans ma chambre en furie. Allongée sur mon lit, je lus et relus le message écrit à l’encre marine sur la carte blanche immaculée :
« Lilianna,
Certaines blessures disparaissent, d’autres restent. Mais une chose est sûre, quelles qu’elles soient, il faut y faire face et les surpasser. En lisant ce message, je sais que tu as dors-et-déjà compris de quoi nous voulons te parler. Il ne s’agit pas de remuer le couteau dans la plaie, non. Mais plutôt de retirer celui-ci et de panser ta blessure.
En effet, depuis ton accident, les chevaux ont disparu de ton quotidien et ton sourire également. Deux ans ce sont écoulés, le temps passe et tu tourne toujours le dos au renouveau. Ne voulant pas te forcer, ni t’offenser, nous te laissons évidemment le choix d’accepter ou non la proposition qui va suivre. Tout ce que nous voulons est ton bonheur.
Il y a un centre équestre non loin d’ici et nous pensons tous qu’il est temps pour toi d’affronter les démons du passé. Retourne voir des chevaux, choisis en un, le plus gentil et rends toi heureuse en faisant ce pourquoi tu es faite : monter à cheval.
Gros bisous et joyeux anniversaire. »
Je n’en revenais pas. Je leur en voulais à ce moment là. Plus que jamais. Je pris quelques minutes pour me calmer et réorganiser mes pensées, peser les pours et les contres. Ils étaient tous d’accord : il fallait que je retourne dans un club et me remettre en selle. J’avais beaucoup pensé au jour où cette opportunité ce représenterait. Pas assez visiblement vu mon état de confusion. En tant que personne réfléchie, je pris la nuit pour y penser.
***
Le matin suivant, je me réveillai sûre de moi. J’avais pris une décision. Je m’habillai et descendis déjeuner. Toute ma famille était là, ils me regardaient comme une bête curieuse. Je décidai de leur faire part de mon choix sans attendre davantage :
- Papa, maman, j’ai décidé d’accepter votre proposition mais … j’ai quand même peur …
Ils me serrèrent dans leurs bras, m’assurant que j’avais pris « la bonne décision » et que « je pouvais être fière de moi ». Au fond de moi, je priais pour ne pas m’être trompée.
Il était presque onze heures quand mon père démarra la voiture. Mes parents à l’avant et moi, seule derrière, la peur au ventre. Je serrai les dents pour ne pas me jeter hors du véhicule en marche. Je n’étais pas suicidaire non plus. La voiture parcourait des centaines de mètres, je pâlissais un peu. Faire abstraction de mon appréhension était une épreuve digne d’un des douze travaux d’Hercule, sans rire. Mon cœur battait la chamade. Enfin les maisons mitoyennes laissèrent place à de vastes vertes prairies campagnardes. Nous nous rapprochions. Je vis enfin quelques chevaux paître dans leurs prés. Mes lèvres se pincèrent et mes mains se tendirent. Remuer tout ce passé ne plaisait pas.
Le véhicule se stoppa dans une cour pavée immense. L’endroit semblait chaleureux et accueillant. Je marchais derrière mes parents, un peu sur mes gardes. Il y avait pleins de chevaux tout autour. Malgré leur air totalement calme et posé, je ne pus m’empêcher de trembler. Une grande femme blonde s’approcha de nous, un sourire immense sur le visage. Elle s’adressa directement à moi :
- Tu es Lilianna ?
Je répondis d’un hochement de la tête. Mes parents avaient donc contacté le centre équestre mais leur avaient t’ils parlé de mon problème ? De mon accident ?
La femme me souris et ajouta :
- Je suis Mathilde, monitrice d’équitation. Je vais t’aider à renouer les liens avec les chevaux, ok ?
Elle sourit encore. Je me sentais tout de suite plus en sécurité en sa présence. Je ne sus pas vraiment pourquoi mais elle m’inspirait la confiance. Je lui souris timidement à mon tour. Savait-elle tout à mon sujet ? On aurait bien dit.
- Je vais te faire rapidement visiter et après on ira voir les chevaux. Continua Mathilde. Ne t’inquiète pas, ca va aller. Veux tu que tes parents nous accompagnent ?
Je me tournai vers mes parents et leur dis :
- Merci pour tout mais je pense que maintenant c’est à moi et moi seule d’affronter ma peur.
Ils s’en allèrent, se retournant vers moi de temps à autre pour m’encourager du regard. Ils partirent avec la voiture, le bruit du moteur qui baissait decrescendo me rappela que j’étais seule face à moi-même.
- Bon, allons-y ! Annonça Mathilde, plus motivée que jamais.
Je la suivis dans la cour, elle me parla du centre en lui-même, des chevaux du club et tout ça. Je ne m’approchai d’aucun d’entre eux, encore sur mes gardes. Elle m’emmena vers les prés et les paddocks. Et continua son exposé rapide. Quand elle eut terminé, nous nous assîmes sur la barrière de bois d’un pré et elle me demanda :
- Tu dois te demander ce que je sais à propos de toi.
Plus le temps passait, plus j’avais l’impression qu’elle lisait dans mes pensées. Je hochai la tête, l’air un peu triste. Ressasser le passé ne me plaisait guère.
- Et bien pas grande chose, répondit-elle, simplement que tu as vécu un traumatisme … J’aimerais que tu me raconte en détail ce qu’il s’est passé. Tu sais, parfois, en parler à quelqu’un est la meilleure des choses à faire pour passer à autre chose.
J’hésitai un long moment avant de me lancer :
- C’était il y a deux ans, mon ancien club organisait des concours pour la fin de l’année scolaire. Je montais depuis mes sept ans et mon amour pour les chevaux était inconditionnel. Je m’étais beaucoup entraînée avec mon poney préféré pour gagner le jumping. C’était ma discipline favorite et je comptais bien remporter le flot bleu. Mais le jour du concours, le poney que je devais monter s’était fait une entorse au genou et il lui était impossible de sauter. Triste et déçue, je m’occupai de sa blessure toute la matinée. Je n’allais pas le laisser tomber pour un concours manqué, tu vois ? Mais alors que la pause midi était annoncée, mon coach est venu me voir. Il m’a proposé de monter un autre cheval. J’ai pas mal hésité parce que je ne m’étais entraînée qu’avec un seul poney et changer subitement me déstabiliserait plus qu’autre chose. Il finit par me convaincre … Pourquoi ai-je accepté …
- Continue, me murmura Mathilde d’un air encourageant.
- On m’a alors attribué un nouveau cheval, beaucoup plus massif que mon petit poney habituel. Mon coach ne cessait de me promettre qu’il était la « monture idéale » et que « ce dieu des obstacles me ferait remporter la victoire ». J’y croyais, je lui faisais confiance. Mais dès que je m’approchai de lui au box, il se montra plutôt agressif. Je pensai que c’était à cause du stress du concours et tout ça. J’aurais dû davantage me méfier. Je le sellai non sans mal. J’étais face à face avec une bête qui m’était inconnue et qui m’effrayais de plus en plus. Mais à cette époque, rien ne m’arrêtait dès qu’il s’agissait de monter à cheval. Je me croyais capable de gérer le plus imprévisible des chevaux du club. C’était n’importe quoi … J’entrai sur la piste, perchée sur ce grand étalon bai. La suite des événements m’est un peu floue à vrai dire. Je me rappelle juste de la cloche qui sonne le départ, puis du rodéo que j’ai dû gérer à l’approche du tout premier obstacle. Je tenais quand même en selle un bon moment. Mais après, alors que je me plaçai pour un obstacle en sortie de virage, l’étalon … a …
- Qu’est ce qu’il a fait ?
- Il m’a littéralement envoyée contre le pare botte du manège et mon pied est apparemment resté coincé dans l’étrier et … il m’a trainé sur quelques mètres … Mais j’avais perdu connaissance en me tapant la tête contre la paroi alors c’est mes parent qui m’ont rapporté ce qu’il s’était passé ensuite …
- Et depuis tu as peur des chevaux, c’est ça ?
- Oui voilà … avouai-je. J’ai dû mal à rester près d’eux trop longtemps.
- Ton histoire va m’aider à te remettre en selle, merci de t’être confiée.
C’était plutôt moi qui aurais aimé la remercier car je n’avais jamais confié en détail mon accident à quiconque et ça faisait plus de bien que je ne l’aurais imaginé. Mais aucun mot ne sortit de ma bouche, seulement quelques larmes se mirent à couler sur mes joues. La femme blonde me pris par les épaules et me réconforta. Je me sentais mieux, ces larmes avaient besoin de s’échapper et pour toujours cette fois. Mon espoir de remonter était de plus en plus concret mais mon esprit et mon cœur se confrontaient sans arrêt et la peur prenait souvent le dessus.
***
Après cette séquence difficile, Mathilde me mena jusqu’aux écuries. Moment redouté de la journée. Voyant mon pas hésitant, la monitrice me pris par le bras avec douceur et m’emmena à l’intérieur. Mon cœur battait tellement fort qu’il aurait pu exploser. Je me mordais la lèvre et avait les mains moites. En étais-je capable ? Et si je m’étais, à nouveau, surestimée ? J’espérais avoir fait, cette fois là, le bon choix. Soudain s’offrit à ma vue une demi douzaine de têtes toutes mignonnes certes, mais qui parurent, à mes yeux, très effrayantes. « Je suis courageuse » ne cessais-je de me répéter dans ma tête pour me rassurer. Mes jambes tremblaient et marcher devant me parut la chose la plus dure au monde. Les chevaux me fixaient, enfin c’est ce que mon esprit voulait que je croie. J’étais leur proie … Je n’exagère qu’à peine, malheureusement. Leurs regards me semblaient insistants mais je savais que je délirais. Mathilde me fit traverser l’allée. J’y parvins malgré la crainte et même si cela paraît anodin, c’était déjà un pas de fait. Je souris à Mathilde qui me le rendit. J’étais simplement fière de moi.
Je demandai à Mathilde :
- Mes parents vont payer pour une demi-pension c’est ça ?
- Oui, sauf si tu n’es pas d’accord évidemment ! Mais prends ça comme un défi à relever.
- Et j’aime les défis ! Lui dis-je. Un peu trop même !
Nous avons ri. Je fus alors soulagée d’en rire, une étape était franchie.
Elle me mena vers les chevaux disponibles en demi-pension. Ca allait déjà un peu mieux. Et même si je les voyais encore comme de dangereuses bestioles, j’arrivais à les regarder. Tous plus beaux les uns que les autres. Elle me dit que j’avais le choix parmi ceux qui étaient sur ma gauche. Me voyant un peu perdue face à ce choix crucial elle rit et me montra un bel étalon gris aux crins d’un blanc éclatant. Oui j’aurais pu avoir peu de sa grandeur. Oui, j’aurais pu partir en courant en voyant ses membres massifs. Mais non. Je fus comme hypnotisée par ce cheval. C’est étrange je vous l’accorde. Mais c’était le seul, depuis mon arrivée, qui ne m’effrayait pas. Au contraire même. Il semblait tellement câlin et doux que je ne pus le quitter du regard. Mathilde sembla ne pas comprendre. Moi non plus je ne comprenais pas.
- Je te présente Wings.
Je ne pus balbutier un mot. Mais elle comprit que c’était lui que je voulais. Je voulais reprendre confiance avec lui. Je ressentis une chaleur que je n’avais pas sentie depuis deux ans. Celle de l’amour pour les chevaux. Etait-ce le début d’une renaissance ? Peut-être. Je ne sais quelle force me poussa à m’approcher du box. Un pas, deux pas, trois ! J’étais devant lui, à portée de la main. Je levai la main doucement pour le toucher entre les yeux. Je tremblais tellement que mes jambes auraient pu me lâcher d’une seconde à l’autre. Mes doigts frôlaient à présent les poils argentés de Wings qui ne bougea pas du tout. Au contact soudain de sa peau, je tressaillis et retirai ma main. Le cheval tendit alors les oreilles vers moi, surpris visiblement. Je n’étais pas encore totalement guérie de mon problème, Rome ne s’est pas construite en un jour comme dirait ma mère. Mais j’étais déjà fière de moi.
C’est sur cette note positive que je décidai que cela suffisait. J’avais assez progressé à mon goût. Mais avant de partir, je pris le numéro de Mathilde et la remerciai pour tout ce qu’elle avait et allait faire pour moi car l’aventure ne fait que commencer !