Journal • Evasko

Noir est le charbon. Noir est le café que ma mère boit tous les jours au petit matin. Noir est aussi la nuit. Cette même nuit durant laquelle je suis arrivée à destination, avec cet espoir un peu fou de réaliser quelques rêves. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à frapper à cette porte. J'ai beau me dire que j'ai prévenu, que tout était planifié, pourtant, je reste pétrifiée à l'idée d'avoir quitté tout ce que je connaissais pour désormais embrasser l'inconnu.

Quand la porte s'ouvre, je retiens ma respiration. Mais l'accueil est chaleureux. Je découvre mon nouveau lieu de vie et ce, pour un mois. J'ai décidé de tout plaquer pour faire ce que je rêvais de faire depuis bien trop longtemps : faire du cheval mon métier. Je savais la route longue, mais je m'étais décidée et j'essayais de m'entourer des meilleures personnes pour les mois à venir, en apprendre un maximum sur leurs méthodes. Le horsemanship était une discipline qui me plaisait tant et j'avais toujours adulé ces personnes exceptionnelles qui rayonnaient de bonheur avec leurs chevaux, harmonieux et tellement fusionnels. Moi aussi, un jour, j'aimerai pouvoir vivre ça. Et c'était ce pourquoi j'étais ici, dans une nouvelle ville, dans un nouveau monde. Je quittais enfin la triste vie bien tracée qui s'étalait devant moi, pour bifurquer sur un chemin dans la pénombre, traverser la nuit, traverser ces heures et ces semaines de labeur, pour enfin revoir la lumière du jour. Plus brillante que jamais. La nuit sans fin allait enfin s'arrêter, ma méconnaissance s'en irait, un nouveau jour se lèvera et je ne serais plus jamais la même. Non. Jamais. La nuit enfin s'en va. Et demain tout changera.

Il fallait bien sûr que cela tombe sur moi. Premier jour, à peine arrivée, et déjà malade. Je me demande même si ce n'est pas une histoire de karma. Ma mère m'avait pourtant prévenue que cette histoire ne tiendrait pas la route. Travailler dans les chevaux ? Mais quelle idée pardi !
Tu penses pouvoir gagner ta vie grâce à ça ? Et tu crois vraiment que tu vas pouvoir acheter une maison plus tard avec ce boulot ? Et les accidents, tu y as pensé ?
Les paroles de ma mère tournent dans mon esprit et noircissent les idées dans ma tête pourtant déjà embrumée. Ce mal de tête ne me quitte pas de la journée. Si bien que j'aide à nettoyer les boxs, à donner le foin et apprend tout le système des écuries en étant totalement dans le coltard. Autant dire que je devais donner bonne impression aux gens qui ont accepté de m'héberger et de me former. Je devais avoir une tête à faire peur.
Heureusement, ils ont été super sympa et m'ont proposé divers recettes de grand-mère pour aider à dissiper ce rhume. Au soir, je sentais que ça s'améliorait un peu, même s'il me faudra plusieurs jours pour dire de réduire ces microbes à néant. En soi, même si la journée s'annonçait assez mal, j'ai pu prendre mes marques à mon aise, et j'ai déjà hâte d'entamer cet échange et d'en apprendre un peu plus.

Cher journal,
Aujourd'hui, la neige est arrivée. En une seule nuit, le paysage s'est couvert d'un immense manteau blanc. Avec mon rhume, je vous avoue que ça ne m'a pas arrangée. Néanmoins, le spectacle était tellement beau à voir que ça m'a mis de bonne humeur. Emmitouflée dans mes gros pulls et ma veste de ski, j'ai sué en amenant les chevaux en prairie. Mes jambes criaient au secours tant les dénivelés étaient effrayants. C'est moi où rien n'était plat dans ce pays ? Je rêvais de mon lit, de mon fauteuil et de me pelotonner devant une série avec un chocolat chaud en main... Mais j'avais entamé ce voyage pour apprendre des choses, et je ne voulais pas passer à côté de ça. Alors pour une fois, j'allais faire de mon mieux.
L'après-midi était plus calme par contre. La pause de midi a été assez longue, puis nous nous sommes occupés des chevaux avec d'autres élèves. Juste que je n'ai pas eu la possibilité d'avoir un cheval à ma charge comme les autres. Juste, je pouvais donner un coup de main d'un côté, un coup de main de l'autre. Je m'en sentais un peu frustrée.

« Tu veux bien prendre Evasko et le brosser, s'il-te-plait ? »

La voix de la fille avec qui je partage ma chambre m'interpelle. J'hoche la tête, presque à contrecoeur. Elle me décrit alors le cheval en question, histoire d'être sûre que je ne me trompe pas. Le noiraud avec la pelotte en tête, oeil bleu. C'est bon, je vois lequel c'est. Et c'était reparti pour dix kilomètres de dénivelés pour aller le chercher en prairie. Heureusement la prairie des garçons est moins escarpée que celle des juments. Le licol en main, je m'approche donc du fameux Evasko... Mais le cheval s'éloigne à mon approche. Il me faut alors plus d'une dizaine de minutes pour le saisir et l'attraper avec la corde autour du cou. Je me presse pour lui nouer le licol éthologique sur la tête, déjà persuadée d'avoir perdu un temps précieux. Je reviens, non sans quelques arrêts intempestifs d'Evasko derrière moi, tout troublé de devoir quitter ses copains.
Quand j'arrive enfin sur l'aire de pansage, Emilie ne semble pas perturbée pour un sou que je sois si en retard.

« Désolé d'avoir traîné mais...
- Oh ! Ne t'en fais pas, il est pas là depuis longtemps donc il a souvent envie de s'enfuir quand il nous voit arriver. Ca va lui passer avec un peu de temps. »

J'acquiesce et je commence à le brosser comme prévu. Pendant ce temps-là, Emilie prépare sa selle, son bridon et installe le tout sur l'équidé qui gigote beaucoup. Jusqu'au moment où Emilie s'énerve un peu et impose l'immobilité au cheval. Evasko est sur la réserve, un peu tendu, la tête haute... Mais il bouge moins, voire plus du tout, alors elle le prend et l'emmène en piste. Tandis que je la regarde s'éloigner avec lui... Traversant le chemin enneigé, laissant leurs empreintes sur la poudreuse... Une tache noire au milieu de ce vaste blanc. Et je trouve cette image trop belle, et je jalouse un peu Emilie. Pourrais-je aussi un jour avoir un joli cheval à travailler ?

Cher journal,
Je commence à m'habituer à la routine ici. C'est finalement assez plaisant, même si je n'ai pour l'instant touché qu'à un seul cheval pour les cours. Et encore, c'était un vieux papy destiné aux leçons des débutants. Mais je ne m'en offusque pas, peut-être qu'ils veulent juste aussi savoir quel est mon niveau réel. Ils doivent encore un peu jauger mes capacités. Pour le reste, c'est souvent la même routine. Sortir les chevaux en prairie, nettoyer les boxs, donner le foin, faire quelques travaux dans la maison ou  l'extérieur, puis rentrer les chevaux en fin d'après-midi, les nourrir. Les journées semblent presque réglées comme du papier à musique. En attendant, je prends mon mal en patience. Aujourd'hui d'ailleurs, nous avons fait toutes les décorations dans la maison. Nathalie, la femme de l'instructeur qui doit me former est absolument fan des décorations de Noël en tout genre. D'ailleurs, quand Emilie est arrivée sur place et comme elle les connaissait bien d'avant, elle a offert des guirlandes à Nathalie. Elles se sont amusées à les placer dans la cage d'escalier, sur la rambarde. C'est vrai que maintenant que la neige est là aussi, ça donne un tout autre charme. J'aime beaucoup.