Gatien avait eu bien du mal à se remettre de sa dispute avec Odile. Non pas que ce soit elle qui lui manquait vraiment, mais il abordait avec une certaine appréhension cette nouvelle passe sans monture. Il y a cinq ans maintenant, il avait tout quitté pour devenir cavalier professionnel. Adieu la fac de droit et ses cours interminables, bonjour les journées à faire du cheval. Mais quelques mois seulement après ce brusque changement de vie, il s’était retrouvé à pied. Depuis, Gatien vivote, il demande de l’argent à ses parents et se refuse à construire une autre vie que celle de cavalier professionnel. Financièrement il ne s’en sort pas, cavalièrement non plus. Il vit du RSA et des autres aides fournies par l’état. Acheter Corona représentait une dépense non négligeable pour lui et il se sentait vraiment frustré de ne pas pouvoir la monter sans se prendre la tête avec sa copropriétaire. Mais s’il y a une chose qu’on ne peut reprocher à Gatien, c’est sa détermination, sa capacité à ne jamais laisser tomber. Alors quand il a pris la décision de laisser la grise à Odile, il s’est mis en tête de trouver une autre monture. Il n’a passé qu’un coup de fil : Tedrick. Celui-ci avait accepté de lui confier une petite jument rousse sans vraiment avoir le temps de lui en dire plus. Très prometteuse, la demoiselle semblait être une véritable machine de guerre, du moins sur le papier. Le jeune homme était plutôt surpris de la tournure qu’avaient prise les événements. Il savait qu’il avait une certaine réputation, ses résultats étaient loin d’être mauvais, néanmoins, son caractère lui desservait souvent et il n’aurait pas pensé retrouver aussi rapidement un cheval. Avec Hocus Pocus, il avait de grands projets : les petits concours nationaux d’abord, puis des échéances plus prestigieuses ensuite. Gatien n’avait aucune envie de voler la vedette à Tedrick, mais il avait plutôt dans l’idée d’avancer un de ces chevaux dans le travail le temps qu’il trouve de la place dans son emploi du temps. Il prenait cette mission très à cœur et attendait avec impatience l’arrivée du van.

Le véhicule pénétra dans l’enceinte de l’écurie à seize heures tapantes. Tant mieux, il était certain de ne pas croiser Odile à cette heure là. Lorsque le chauffeur du 4x4 descendit, Gatien se douta que le voyage ne s’était pas passé comme prévu. L’homme avait le visage cramoisi par la colère et son t-shirt était déchiré. “C’est à qui que je dois m’adresser pour le dédommagement ? La folle qu’il y a dans le van m’a littéralement trainé à côté du pont pour ne pas rentrer. J’ai rien pu faire, en plus en faisant ça mon haut s’est coincé dans l’une des goupilles et tout a cassé, le vêtement et la goupille. Mais moi j’suis payé, monsieur, je peux pas me permettre de ne pas faire ce voyage, alors la jument a voyagé avec un pont qui tenait pas très bien. Et puis faut dire qu’elle est pas très calme, quand je prenais les ronds-points trop vite elle se mettait à taper comme une dératée. Moi franchement je la sors pas si vous me dites pas de combien vous allez me dédommager.” Gatien était abasourdi. Les transporteurs professionnels ont pourtant l’habitude des chevaux parfois difficile, c’est pourquoi on fait appel à eux d’ailleurs. À ce stade de la conversation, il pouvait encore négocier avec Tedrick pour dédommager le chauffeur, mais il voulait tenter le tout pour le tout et lui proposer une somme dérisoire. “Bien sûr que nous allons vous dédommager ! J’ai un billet de cent euros dans ma voiture ça vous irait ?”. L’homme devint encore plus rouge qu’il ne l’était déjà et agita sa moustache dans tous les sens. Visiblement, le jeune homme n’avait pas dû proposer assez. Au même moment, un grand bruit se fit entendre, le van bougea violemment. “Combien?” demanda Gatien pour satisfaire le transporteur rapidement. Celui-ci fit mine de réfléchir “deux mille euros, le prix de la goupille, du t-shirt, mais aussi la douleur qu’elle m’a infligée ainsi que la pénibilité du trajet.” Le véhicule tanguait de plus en plus fort et pour éviter que la conversation s’éternise, le cavalier promit cette somme au moustachu. Malgré le dédommagement, celui-ci refusa d’approcher de nouveau la jument, il acceptait seulement de descendre le pont, mais c’était à Gatien de la détacher et de la faire reculer. Lorsqu’il ouvrit la porte avant de la remorque, il s’aperçut qu’Hocus Pocus était coincé sous la barre de poitrail, les grands bruits et qui émanaient du van était le fruit de la panique de l’alezane. Il cria quelques instructions au chauffeur et se chargea lui-même de libérer la jument de son piège en ouvrant les loquets qui empêchaient la barre de céder. Il demanda ensuite à ce qu’on lui ouvre l’arrière du van afin qu’il fasse reculer la demoiselle. La rousse se jeta en arrière, trainant tant bien que mal Gatien qui essayait de la calmer. Le transporteur n’en a eu que faire de l’état de la jument et exigea un virement dans les deux jours. Le cavalier lui promit la somme due et ramena la jument dans le box qui lui était réservé.

Gatien avait pris soin de pailler très généreusement le box, l’abreuvoir était propre et la mangeoire avait été désinfectée. Mais la propreté de son travail et ce qu’il avait mis en place pour accueillir la jument lui importait peu. L’idée c’était plutôt de constater les blessures d’Hocus Pocus et de les soigner. Heureusement, les blessures semblaient superficielles. Elle s’était arraché un morceau de crinière et un large morceau de son encolure était brulé par les frottements de la barre. Visiblement, elle n’avait pas attendu d’arriver pour se retrouver coincée. Le jeune homme désinfecta rapidement la plaie qu’elle présentait sur l’épaule gauche : en tentant de faire de grands mouvements la jument s’était abîmée la peau, rien qui nécessitait des points, mais il était tout de même important de surveiller et de nettoyer la plaie. Après réflexion, Gatien ne jugea pas nécessaire d’avertir Tedrick de l’incident, il effectuera un prêt pour rembourser le transporteur et veillera personnellement à prendre soin d’Hocus Pocus. Il craignait qu’on lui retire la jument, il avait réellement besoin de ce cheval s’il souhaitait continuer dans cette voie.
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Gatien n’avait pas vu la semaine passer. Il avait passé son temps à envoyer des CV et écrire des lettres de motivation, il avait baisser les bras : la vie de cavalier pro n’était pas pour lui, il manquait de chance. Alors il avait renoncé à son rêve et il avait céder à la pression de la société. Il n’avait cessé d’imprimer des feuilles avec sa tête dans un coin et le récapitulatif de ses expériences professionnelles depuis 4 ans. Contrairement à ce qu’il avait imaginé, son père ne semblait pas ravi. Il aurait préféré avoir un entrepreneur dans la famille plutôt qu’un employé lambda, il aimait l’audace et l’ambition ; être cavalier professionnel c’était être audacieux, être sous l’égide d’un patron c’était être un trouillard. Mais Gatien ne supportait plus de devoir manger des pâtes et compter ses kilowattheures d’électricité, il voulait rentrer chez lui et s’allonger paisiblement dans le canapé. Pour l’instant, les réponses étaient inexistantes, personne ne l’avait rappelé. Alors le soir, après avoir arpenté la ville pour se vendre à ceux qui auraient besoin de lui, il s’occupe d’Hocus Pocus. La jument récupère doucement, mais elle ne lui facilite pas la tâche. À chaque fois qu’il s’approche d’elle, elle se fâche et couche les oreilles. C’est le genre de chose qui n’impressionne pas Gatien, mais il ne peut s’empêcher d’avoir des mouvements de reculs lorsque l’alezane faisait mine de lui mordre le bras ou la cuisse. Jusqu’ici, elle n’est jamais parvenue à attraper le moindre morceau de chair, le jeune homme se demande même si elle essaye vraiment ou si elle cherche à l’impressionner.

Aujourd’hui, les soins évoluent. Désormais, le cavalier doit appliquer du pricri-baume sur la plaie qui subsiste à l’épaule, à base d’acide citrique, de miel et d’aloé-vera, cette crème constituait un moyen efficace d’aider cette vilaine écorchure à cicatriser sans s’infecter. Pour faire repousser la crinière arrachée, il use de l’huile de ricin et rajoute un peu de levure de bière à sa ration, enfin, les soins se terminent par l’application d’une crèmle hydratante là ou la peau à brûlé à cause du frottement. Mais pour faire tous ces soins, il faudrait d’abord qu’Hocus Pocus le laisse s’approcher. Comme d’habitude lorsqu’il s’approche de son box, elle tente de le repousser en affichant clairement son mécontentement : oreilles en arrières, air renfrogné et coup d’antérieur dans la porte sont au programme. Mais Gatien ne se laisse pas impressionner, il la repousse afin de pouvoir se glisser dans son antre. Maintenant qu’il se trouve près d’elle, la grande rousse continue de râler, elle le toise avec dédain et danse sur ses antérieurs comme un boxeur qui ne sait pas de quel côté frapper. Gatien ne tient pas compte de son humeur massacrante et soigne d’abord sa crinière. Les petits massages qu’il lui prodigue lors de l’application de l’huile de ricin lui permettent de détendre un tout petit peu la jument. Elle a enfin cessé de s’agiter et se contente maintenant de lui échapper en ayant l’air menaçante. À force d’obstination, le jeune homme parvient à calmer Hocus Pocus pour la manipuler, elle ne semble pas ravie, mais doit tout de même apprécier l’effet de la crème hydratante sur sa peau abîmée. Il termine par le plus délicat, sa blessure à l’épaule. Elle ne la gênera pas dans sa pratique sportive, mais Tedrick risque de comprendre que sa jument a été blessée, car le poil qui repoussera sera probablement blanc. Lorsqu’il soigne sa blessure, Gatien reste très précautionneux et ne relâche jamais son attention, il serait malheureux qu’il prenne un coup de pied ou se fasse mordre.

En refermant la porte du box, il s’aperçoit qu’Hocus Pocus a commencé à grignoter sa mangeoire. Il s’agit d’un tic commun chez les chevaux qui s’ennuient. Il faut dire que depuis son arrivée, la rouquine n’est pas beaucoup sortie de son box. C’est une décision du vétérinaire, compte tenu de sa valeur, il a préféré ne pas prendre de risque et la laisser s’acclimater doucement à la vie ici avant de lui faire profiter des grandes prairies. Mais en attendant ce jour où l’alezane pourra galoper librement, Gatien doit ruser pour trouver quelque chose pour l’occuper. Il pense tout de suite à un vieux projet qu’il avait laissé tomber : une idée de jouet de box pour occuper les chevaux confinés. Élaboré sur le modèle d’une balle de récompense pour chien, le cheval doit jouer avec l’outil pour se voir distribuer des morceaux de fruits, les modèles les plus élaborés qu’il avait imaginés comportaient également une pierre à lécher avec des minéraux ainsi qu’une friandise faible en sucre à lécher. Il retourna chez lui afin de retrouver les plans et de fabriquer un dispositif provisoire avant d’installer un modèle plus aboutit dans son box. Quelques heures plus tard, à une heure ou plus personne ne rôde dans les écuries, il propose cette nouvelle activité à Hocus Pocus. Elle s’y intéresse rapidement et finit par s’attarder sur la pierre à lécher. En réalisant les plans qu’il avait dessinés il y a déjà plusieurs mois, Gatien voit émerger l’idée d’une entreprise basée sur ce dispositif. Qui sait, il abandonne peut-être la voie de cavalier professionnel pour se reconvertir dans l’innovation équestre ?

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Les soirées auprès d’Hocus Pocus passent et se ressemblent. Gatien ne peut s’empêcher de penser que si ce cheval avait été le sien, tout aurait été différent. Il ne saurait dire pourquoi, mais s’occuper de ses chevaux l’intéressait beaucoup moins que prendre soin de ceux des autres. Il les aimait différemment. Quand ce n’était pas son nom sur les papiers, tout était différent. Il avait sa part de responsabilité auprès de ces chevaux bien sûr, mais il se sentait davantage comme un infirmier que comme un père. Il voulait être là temporairement, ce qu’il aimait, c’était voir les chevaux dont il avait la charge évoluer. Le reste ne le touchait que très peu, il éprouvait même une certaine forme d’agacement face à l’anthropomorphisme stupide dont fait preuve une grande partie des cavalières qu’il côtoyait. Il le savait, il ne serait jamais plus pour Hocus Pocus que celui qui lui prodiguait des soins et qui la nourrissait. Peut être que Tedrick aimait penser que la jument le considérait autrement, mais Gatien lui laissait volontiers ses convictions. Ses idées étaient largement renforcées par le comportement qu’adoptait l’alezane, râleuse et autoritaire, elle ne semblait pas tolérer les humains au-delà de leur simple fonction de gardien.

Le jeune homme ne s’était jamais vraiment questionné sur les origines du comportement de la jument. Là où les éthologues crieraient au traumatisme et verraient en sa mauvaise humeur un témoignage de la cruauté humaine, lui ne voyait qu’une jument qui tentait de le dominer. Les chevaux ce n’est que ça, qu’un rapport de domination sans fin. Doit-on devenir le chef ou le leader ? Faut-il se placer en égal de ces animaux dont la grâce et la beauté surpassent tout ce qui n’a jamais été produit par l’espèce humaine ? Faut-il user de la force ou de la douceur ? Quand bien même, peut-on réellement parler de force lorsqu’un pantin a la coordination douteuse s’oppose à un animal d’une demi-tonne ? Les choses simples, voilà ce en quoi croyait Gatien. Un cheval qui lui manque de respect ? Une sanction. Un cheval qui réalise l’exercice demandé ? Une carotte. Voilà, c’est tout, et c’est si simple que tout le monde peut le faire, tout est une question de conviction et de mental. Si tu ne veux pas te laisser dominer, alors tu prends le contrôle. Pourquoi ceux qui tentent simplement d’avoir l’ascendant sur leurs chevaux sont aussi critiqués, blâmés, montrés du doigt ? Pourquoi ? Pourquoi ne voit-on pas en l’étalon qui dirige le troupeau un despote ? Dans quoi réside la différence entre l’homme et l’animal ? Les deux sont mus par la même volonté de liberté et tous deux usent de la force pour l’obtenir. Quid des combats entre les jeunes qui ont soif de dominance et les vieux qui tentent de garder la face et le contrôle de leur troupeau ? Quelle est la place de l’homme dans toute cette vie de cheval — si tant est qu’elle existe encore ? Hocus Pocus et sa haine grégaire, presque naturelle, venaient alimenter la réflexion de Gatien. Il était heureux de l’avoir à ses côtés, car elle le faisait avancer, s’affirmer, avec elle, il avait appris à porter le plastron de l’homme sûr de lui alors que l’alezane pourrait le piétiner en instant. Tous deux jouaient des apparences, ils paraissaient sûrs d’eux, mais l’étaient-ils vraiment ?

Les soins d’Hocus Pocus n’avaient pas vraiment changé en dehors du fait qu’elle avait remarquablement bien cicatrisé et que les baumes de ce type n’étaient plus utiles. Les soins n’étaient pas miraculeusement devenus plus faciles et l’alezane faisait toujours preuve d’une colère sans fin. Avec l’accord du vétérinaire, Gatien avait obtenu le droit de la faire marcher sur un sol dur. Le confinement imposé par ses blessures avait eu pour effet de faire engorger ses membres postérieurs, le seul moyen pour les faire dégonfler était de permettre à la jument de bouger. Mettre l’alezane au pré était encore trop risqué selon le professionnel de santé, Gatien ne voulait pas prendre de risque sans son approbation. La jument n’a pas changé de comportement à l’arrivée de Gatien. Elle l’accueille avec les oreilles en arrière et les dents en avant. Comme d’habitude le jeune homme l’ignore. Lorsqu’il s’approche pour lui mettre un licol, elle recule et finit par se retourner, menaçant de le taper. Il contourne sa croupe sans franchement craindre de prendre un coup de pied, lorsqu’il parvient à fermer la boucle de son licol, il soupçonne la jument d’être déjà en train de chercher un nouveau moyen d’essayer de l’impressionner. La sortie du box s’effectue en trombe puisqu’Hocus Pocus tente de le trainer en s’éloignant brusquement de lui. Imperturbable, Gatien laisse son bras s’étendre avant que la jument revienne de lui-même vers lui, faisant mine de l’attaquer. Le petit tour des écuries n’est jamais une partie de plaisir pour le cavalier. La jument le bouscule, trotte, parfois même elle tente une feinte en lui faisant face et en reculant brutalement. Il ne la calcule plus et se contente de l’ignorer. Jusqu’ici c’est la meilleure solution qu’il a trouvée. S’il commence à accorder de l’importance à son comportement problématique, elle risque de les assimiler à une solution. Lors de cette « marche », Gatien vérifie la locomotion de l’alezane, fort heureusement, l’engorgement n’impacte pas réellement sa locomotion, elle semble juste un peu raide. Comme toujours, lors du retour à l’écurie, il est possible de constater une nette amélioration avec un dégonflement des membres.

Après cette première étape, le jeune homme passe au reste des soins. D’abord, il applique de l’huile de ricin sur la zone de la crinière abîmée. Elle a déjà bien repoussé, mais elle reste trop courte pour retomber sur le côté et forme une brosse peu harmonieuse. Avec des petits mouvements circulaires, Gatien fait pénétrer l’huile dans les crins, le soin se fait parfois en discontinu, car Hocus Pocus tente de lui mordre le ventre ou les cuisses. Elle passe le reste de la soirée avec la crinière soigneusement huilée. Il prend bien soin de démêler ses crins avec un peigne après avoir apposé l’huile afin que celle-ci soit appliquée de manière homogène. Il s’agit ensuite de vérifier que ses plaies et ses brûlures se résorbent correctement. Pour ce faire, Gatien examine avec attention les zones sans poils. Il triture avec une certaine délicatesse les vieilles plaies et vérifie leur aspect, certaines sont encore purulentes et nécessitent d’être désinfectée de nouveau. Il applique alors un spray bleu aux vertus désinfectantes afin que la blessure ne soit pas la source de problèmes plus graves. Il termine le soin par un bon coup de brosse. Loin d’être délicate, la jument s’est déjà abîmée plusieurs fois en mimant une attaque dans son box, le jeune homme préfère effectuer une analyse minitueuse de son état corporel chaque jour. Lorsqu’il la quitte, la jument retourne à son jouet de box, ignorant avec dédain son soigneur. Elle va mieux, elle pourra être remontée demain ou dans la semaine. De toute façon, sa blessure à l’épaule qui semblait être la plus handicapante a presque disparu. Gatien ne cache pas sa hâte, il connaît désormais plutôt bien la jument à pied, il voudrait la découvrir en selle. Il s’attend à ce qu’elle soit explosive, comme à pied, elle cherchera probablement à l’effrayer et il se languit de les affronter, elle et sa propre peur.

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Gatien le savait, c’était le jour J. Il avait préféré ignorer fébrilement que cette date fatidique se rapprochait. Il évitait les calendriers et esquivait du regard les jours et les numéros qui s’affichaient pourtant en gros sur son téléphone. Il allait retrouver sa vie d’avant. Celle sans Hocus-Pocus. Il s’était beaucoup attaché à la grande alezane, mais comptait bien lancer son entreprise, il était temps de la laisser repartir chez Tedrick. Bien évidemment, il continuera de suivre ses résultats en concours, il demandera des nouvelles quand il n’aura pas le cœur trop lourd. Il ne pouvait s’empêcher de repenser avec une certaine angoisse à ces quelques mois passés aux côtés de cette jument d’exception. Elle lui avait permis de progresser sur lui-même, de breveter un jouet d’occupation innovant et même de se lancer dans l’auto-entrepreneuriat. À sa façon, Hocus-Pocus l’avait réconcilié avec les chevaux difficiles, et surtout, elle l’avait réconcilié avec lui-même. Mais pendant ces longs mois, certaines choses n’avaient pas changé : Odile et lui ne se parlaient toujours pas, il était toujours sans monture pour la suite et pire que tout, sans Hocus-Pocus il ne savait pas s’il aurait vraiment envie de revenir aux écuries.

Tic, Tac

Pour sa dernière visite à l’alezane, il trainait un peu le pas, mais s’en voulait presque. Il savait parfaitement qu’elle aurait un avenir brillant et une vie heureuse. Pour elle, ce départ ne signifiait rien. Il ne lui manquerait pas et il ne savait même pas si elle serait capable de se souvenir de lui. Il ne devait pas lui laisser percevoir ce qu’il ressentait au risque de la stresser. Une toute dernière fois, il se glissa dans son box. Rien n’avait changé, tout était comme au premier jour. Les oreilles en arrière et les dents en avant, Hocus-Pocus savait parfaitement se faire comprendre. Il lui prodigua un dernier pansage. Avec le temps, il avait appris à apprécier les facéties et les caprices de cette monture si particulière. Un peu à l’image d’un vieux couple, ses gestes trahissaient de tendres habitudes. Étrille, bouchon, brosse douce, cure-pied, démêlant et brosse à crin. Litanie rassurante et doucereuse aux arrière-goûts de dernière fois. Pour (en) finir une friandise, feindre le quotidien pour ne pas inquiéter.

Tic, Tac

Le bruit du camion qui s’arrête avec précaution dans l’allée. Déjà ?! Protections et recommandations, ne surtout rien oublier pour que cette histoire se finisse en beauté. Les gestes de Gatien sont lents, précis, calculés. Il voudrait saisir le temps entre ses doigts, lui dire de ralentir pour juste une dernière fois, lui laisser le plaisir d’esquiver un coup d’antérieur en riant. Mais le temps s’échappe, le monsieur attend, il a d’autres chevaux à charger après. Une dernière caresse, longue et insistante. Un dernier regard, déjà nostalgique, mais serein. Au revoir, merci. Merci d’être resté la même, d’avoir su dire non quand il le fallait. Merci d’avoir provoqué des rires, des larmes, merci d’avoir provoqué le destin. Merci d’avoir été là quand personne ne l’était et un grand merci pour tout le reste. Le véhicule disparait, Hocus-Pocus n’a pas hésité un seul instant pour monter, comment lui en vouloir ? Elle ne savait pas.

Silence

Maintenant, il faut tout recommencer. S’accrocher, se questionner, douter, croire, vouloir et atteindre. Il est temps de réparer le passé.


Hocus Pocus555 motsadieux