Box de Bolide

haras de pado, france

29.11.20

Le nez au sol Bolide arrachait des brins d'herbe avec conviction. S'il avait souffert de malnutrition ces dernières semaines, son supplice était désormais terminé et il avait un sacré appétit. Son histoire n'avait rien d'incroyable, elle était même assez banale. C'était celle d'un cheval bien trop gentil et généreux, qui une fois devenu inutile s'était retrouvé livré  à son propre sort. Et malgré ce qu'il avait vécu, il n'avait rien perdu de sa docilité et sa confiance en l'homme. Innocent était ce qui le qualifiait le mieux. Il faisait farouchement confiance à quiconque pouvait lui offrir une caresse ou une friandise. Et pourtant Bolide se sentait très seul. Quand il avait vu l'équipe de l'association venir le chercher, il avait été si heureux. Comme toujours il avait accouru à la barrière, les oreilles en avant et frémissant des naseaux. La faim et la soif avaient beau le tirailler, tout ce qu'il ressentait, c'était la joie de voir l'homme. Après tout l'homme, il l'avait toujours tenu en ami. Toutes ces années où il avait tiré la carriole pour promener les enfants du village, il l'avait fait avec plaisir. Parce qu'il avait toujours un tas de caresses et de petites friandises en échange de ses loyaux services. A vrai dire, il était un peu malheureux de ne plus tirer sa carriole, et la présence des deux juments comtoises qui travaillaient à ses côtés aussi. Velvet et Velours, deux sœurs qui étaient restés avec son ancien propriétaire. Les deux juments étaient rentables et donc bien traitées, il n'y avait aucune raison à les lui retirer après tout.

En percevant un éclat de rire, le gentil franche montagne releva la tête, tendant les oreilles avec attention. C'était deux des palefreniers qui tous les jours venaient nourrir les chevaux le matin et le soir. Maintenant Bolide commençait à les connaître, et comme à chaque fois que l'un des hommes approchait de la porte, il venait à sa rencontre. Tendant le nez il eut droit à une caresse volatile avant de suivre l'humain jusqu'à son râtelier où il disposait le foin. Lui flattant l'épaule l'homme à la grande moustache grise fit une remarque à haute voix destinée à son collègue. Il a bien repris dit donc! D'ici à la semaine prochaine on ne verra sans doute plus du tout ses côtes. C'est un brave gaillard.. Comme toujours, le bai suivit le palefrenier jusqu'à la porte quand il s'en alla. Une dernière caresse désintéressée et l'humain s'éclipsa. L'hongre passa un petit moment à le regarder s'éloigner vers les paddocks des chevaux voisins. Tout seul dans ce grand enclos, le pauvre cheval s'ennuyait. Aucune distraction, pas de visite hormis celles des palefreniers ou des vétérinaires. Il se sentait vraiment seul. Habitué à vivre tous les jours avec les deux comtoises, la solitude ne lui était pas habituelle. Lorsqu'il tirait sa carriole, les chevaux roulaient toutes les deux heures, alors il était toujours occupé ou avec une des sœurs. Ici, pas de contact avec les autres chevaux. Ses voisins étaient agressifs, et pour tout dire il en avait un peu peur. Alors il évitait prudemment les côtés du paddock qui étaient adjacents à ses voisins.

Retournant mollement vers son râteler Bolide attaqua le foin fraîchement rapporté. Mastiquant avec appétit, ne le perdant jamais peu importe les circonstances, le franche montagne se rendit compte qu'il était observé. Balayant le côté du regard, il finit par observer une silhouette accoudé à la clôture. Il ne reconnaissait pas cette humaine, mais elle était petite et blonde, avec des cheveux qui s'arrêtaient au niveau des épaules. Curieux tout autant qu'heureux d'avoir enfin de la visite, Bolide s'approcha dans un pas énergique de la porte de son paddock. S'arrêtant à un mètre de cette inconnue, il l'observa.  La dernière foulée les séparant fut rapidement franchie. Il avait suffi à la jeune fille de lui tendre un demi-morceau de pomme pour achever de le convaincre. Lui caressant le chanfrein lentement, avec la plus grande des précautions, il remarqua un sourire se dessiner sur la bouche de l'humaine.

• Enchanté Bolide, moi c'est Charlie!  

haras de pado, france

02.12.20

Jour après jour Bolide avait reçu la visite de Charlie. Il adorait les moments où elle venait, notamment parce qu'il recevait enfin l'attention qu'il attendait depuis si longtemps. L'adolescente avait toujours un mot doux ou un morceau de fruit pour lui. Et puis, s'il avait bon appétit, il ne pouvait pas se plaindre de ne pas manger à sa faim, entre sa ration quotidienne et les petits extras qu'elle lui apportait. Pourtant la veille, elle n'était pas venue. Il l'avait attendu pourtant, mais elle ne s'était finalement pas montré. Aussi rustique soit-il, à partir du début d'après-midi, le blizzard s'était levé. La météo avait été particulièrement violente et les chevaux avaient été rentrés dans la petite écurie aménagée pour ce genre de situation. Certains avaient refusé de se laisser attraper pour se mettre à l'abri, mais Bolide avait sagement suivi le palefrenier. Cette nuit-là il avait eu peur. L'affolement général avait gagné les chevaux lorsque le vent avait commencé à faire des bruits menaçants. Pourtant il n'avait pas eu droit à un regard, pas un instant d'attention. Il avait dû se contenter de sa polaire et de sa litière propre. Seul dans la nuit glaciale, tremblotant par moments de froid à cause du mauvais isolement des lieux, il avait espéré voir Charlie apparaître à sa porte. Pourtant il avait attendu seul jusqu'au petit matin.

Suivant la longe qui le ramenait au paddock, Bolide s'immobilisa brutalement. Un épais tapis blanc recouvrait désormais le sol, épais de quelques centimètres. Les flocons continuaient de tomber paisiblement depuis le ciel. Le soleil se reflétant sur la neige ébloui le gentil franche montagne qui se remit en marche sous l'insistance du palefrenier. Lorsqu'on le détacha il se décida à aller explorer. Le nez presque au sol, faisant de grandes enjambées, il progressait dans la neige jusqu'à son abri à quelques pas. Bientôt ses membres humides retrouvèrent l'épaisse litière de foin de son abri en bois dans lequel il était un peu plus à l'abri du froid. Regardant la neige tomber avec intérêt, se demandant bien comment ces petits flocons pouvaient se retrouver dans le ciel et recouvrir le sol de manière aussi nette. Après tout, ils étaient minuscules et pourtant, tous ensemble formaient une épaisse couche humide et froide. Très occupé à sa contemplation Bolide n'entendit pas Charlie. Ce sont ses appels répétitifs qui attirèrent finalement l'attention de l'hongre qui passa sa tête par l'ouverture. Un flocon lui tomba sur le nez, et il fut contraint de secouer la tête pour le faire partir avant de poser ses yeux doux sur Charlie.

Comme à son habitude l'adolescente s'accoudait à la clôture sur laquelle elle avait grimpée. Elle était toute petite, cette humaine. Content de la voir ses oreilles se pointèrent dans sa direction. Prenant son courage à deux mains Bolide décida de la rejoindre. Il aurait aimé qu'elle rentre dans le paddock, qu'elle le caresse partout et qu'elle le dorlote comme on le dorlotait par le passé. Pourtant elle ne rentrait jamais. Cette situation était un peu frustrante pour le franche montagne, mais cela ne l'empêcha pas d'adopter un trot énergique pour la rejoindre, levant haut ses membres pour ne pas être trop gêné par la neige dans son déplacement. Il s'arrêta près de la clôture et tendit l'encolure pour obtenir deux lamelles de carotte qu'on lui avait apporté. Mastiquant son bout de carotte il laissa l'adolescente lui caresser le chanfrein avec plaisir. Étendant encore un peu son encolure pour obtenir des grattouilles derrière les oreilles, le franche montagne était aux anges. Elle était finalement revenue le voir après tout.