Box de Catgroove

Deandra est assise dans sa voiture depuis trop longtemps. Les fenêtres montées, moteur éteint, elle ne bouge pas, figée avec les mains sur le volant. C’est sa première journée à ce nouveau centre équestre, et elle va être en retard. Elle aurait probablement dû prévoir plus de temps pour se préparer, elle aurait dû savoir qu’elle allait figer, le coeur battant et la bile au bord des lèvres. Elle prend une grande inspiration, sent l’air épais dans l’habitacle, et soupir. Elle a déjà chaud, et elle n’a même pas commencé sa ronde. Deandra jette un regard sur l’horaire qu’on lui a envoyé. Elle a de quoi se tenir occupée toute la journée, mais elle ne peut empêcher le pincement inconfortable.

Si elle n’avait pas absolument besoin du travail pour ne pas sombrer dans sa déprime, Deandra aurait fait demi-tour avant même d’avoir mis pied dans l’écurie. Il n’y avait rien de plus différent de ce qu’elle connaissait que ce club qui semblait étinceler de propreté. Elle s’en est sentie mal habillée avec sa paire de pantalons à jambe droite et son simple t-shirt sous une veste en jeans. Son inconfort ne fait que grandir en passant des cavaliers qui sont tirés à quatre épingles, à croire qu’ils sont en concours international. Deandra sait qu’elle exagère, mais c’est le premier sourire qu’elle s’arrache en songeant à l’idée absurde de toujours monter en tenue de concours. Elle se retient de justesse de rouler des yeux lorsqu’elle localise un plan de l’écurie près de ce qu’elle ne peut que qualifier de lobby. Espace ouvert où il y a des fauteuils, des tables, comme si c’était un café, ou une aire d’attente. Deandra ne se sent défnitivement pas à sa place.

Elle sillonne les allées jusqu’à trouver le box de sa première monture de la journée. Catgroove, jeune étalon qui, lui a-t-on dit, a besoin d’apprendre à canaliser son énergie et à être plus à l’écoute. L'accueil que le bai lui offre décroche un sourire tendre à Deandra, qui lui caresse la tête sans se faire demander deux fois. Il a cet air coquin, mais pas mesquin, des chevaux qui sont de bonne humeur, et Deandra écrase de justesse les souvenirs qui essaient de se faufiler au devant de ses pensées. Elle est là pour faire son job, c’est tout. Elle retire ses mains du chanfrein de Catgroove, qui, pour une seconde, lui lance un regard qu’elle ne peut que qualifier de outré et elle roule des yeux franchement.

« Catgroove, tu es le chanceux qui sort en premier. » Lui dit-elle tout bas en prenant le licol accroché à son box.

Il se laisse sortir du box sans problème, sous l’oeil prudent de Deandra. Elle n’est pas certaine s’il ne va pas lui sortir les problèmes tout d’un coup, s’il joue un jeu ou s’il est réellement aussi doux qu’il n’y paraît. Elle préfère errer du côté de la suspicion, et ne se laisse pas charmer par ses airs câlins. Du moins, pas consciemment. Chaque fois qu’elle passe d’un côté à l’autre pour le panser, Deandra lui gratte l’épaule, l’encolure, lui caresse les naseaux ou lui tapote la croupe, comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Elle le brosse avec vigueur, mais l’étalon n’est pas très sale. Catgroove semble bien heureux de ces gestes familiers, et il n’y a qu’au moment où Deandra lui demande les pieds qu’il ne montre un brin de résistance. Deandra reste patiente, et lui laisse le temps d’ajuster son équilibre pour qu’il puisse lever chaque sabot et rester stable. Elle regarde sa montre et jure tout bas. Elle qui a l’habitude de passer plus d’une heure à panser, la voilà restreinte dans ses horaires et elle est déjà censée être en carrière avec lui.

« Alors, on va voir ce qui se cache sous ces airs mielleux? »

Catgroove plonge le nez vers son torse, et se frotte le chanfrein contre elle, impassible à sa nervosité grandissante. Deandra prend le temps de le câliner, autant pour elle-même que pour le récompenser de s’être bien comporté au pansage. Elle sent sa gorge se serrer et elle repousse l’étalon avec une fermeté qui le surprend. Il secoue la tête et envoie ses oreilles vers l’arrière pour une fraction de seconde.

Deandra se racle la gorge et lui tapote l’épaule un peu maladroitement. La sellerie, du moins celle qu’on lui indique, n’est pas trop loin de son box. Il lui faut un moment pour trouver le harnachement pour Catgroove et grimace à la vue du mors qui semble bien sévère pour un cheval qui n’a démontré aucun comportements problématiques. Elle se dit qu’elle aura bien l’occasion de voir si ce mors est justifié ou pas tandis qu’elle ramène l’équipement. Catgroove se tient bien tranquille sur les chaînes pendant qu’elle place le tapis sur son dos. Deandra sent la nervosité grimper au fur et à mesure qu’elle approche du moment fatidique.

Elle vient de passer le filet derrière les oreilles de Catgroove quand elle réalise qu’elle a oublié sa bombe. Elle se mordille la lèvre inférieure, titillée par l’envie de remettre l’étalon au box et de s’enfuir; c’est l’excuse parfaite de ne pas avoir de protection de tête. Une part beaucoup plus grande d’elle-même est curieuse de savoir ce que le bai a sous le capot, cependant, alors elle décide de faire fi de la prudence. Deandra observe le trou qui semble le plus utilisé pour la muserolle du filet, et grimace de nouveau. Elle passe l’attache dans la boucle, mais ne se sent pas à l’aise de serrer jusqu’au niveau visiblement régulier. Elle fixe donc la muserolle deux trous plus bas, ce qui laisse Catgroove ouvrir et fermer la bouche pour jouer avec son mors.

Décidément, plus elle y pense, plus elle devrait vraiment avoir une bombe. Elle sait que les chevaux peuvent être complètement différents en main qu’en selle, et à voir l’équipement avec lequel le club monte Catgroove, elle sent ses réserves grimper en flèche. Le grand bai s’engage derrière elle sans se faire prier, n’hésitant pas à jouer du nez pour qu’elle continue de lui donner de l’attention. Deandra a pris l’habitude de monter des chevaux qu’elle ne connaît pas du tout, mais elle n’a jamais su se défaire de ce moment d’anticipation, pendant qu’ils se déplacent de l’écurie à la carrière.