Box de Manzano

Gabrielle aimait la solitude. Elle l’aimait pour ses silences et pour tout ce qu’elle porte, ce qu’elle dit. Ceux qui se complaisent dans l’idée d’être seul semblent au-dessus de tout. Comme s’ils se suffisaient à eux même, qu’ils étaient les seuls à décider de leur bonheur, que rien ni personne ne pouvait leur enlever ces moments passés avec eux-mêmes. Tantôt qualifiés d’introverti, de sauvage ou d’ermite, les solitaires sont incompris. Ils ne rentrent pas dans ce moule qu’on voudrait leur imposer, ils s’insurgent et se portent en seul garant de leur épanouissement. « Seul on va plus vite, à plusieurs on va moins bien », « dites à tous ceux qui ont partagé ma compagnie que je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’avec moi-même », comme des mantras dans la tête de Gaby, des phrases qui tournent encore et encore pour se rassurer, se convaincre que ça va et que ça ira, que la solitude ne finira pas par la dévorer. Je trouve qu’il y a quelque chose de commun chez tous ceux qui sont seuls : ils ont parfois du mal à comprendre pourquoi les autres se rassemblent, pourquoi ils ont ce besoin de viscérale d’exister au sein d’une communauté. Et j’aimerais vous demander, pour vous l’humain est-il fait pour vivre en groupe ?

Quand les choses sérieuses ont commencé pour Gabrielle et Manzano, l’adolescente a du faire face à un problème qu’elle avait bien du mal à comprendre. Le petit entier souffrait de la solitude lorsqu’il était seul à l’écurie. Petit à petit, le pansage était devenu un véritable poids pour lui, comme pour sa jeune propriétaire. Étape obligatoire, mais tant redoutée, elle ne trouvait pas de solutions et plus que tout, elle ne comprenait pas ce besoin d’être avec les autres en permanence. Il n’était pas comme elle, il n’appréciait pas qu’on prenne du temps pour lui à l’écart de toute sollicitation extérieur. Manzano voulait être avec les autres et tous les soins du monde n’auraient pas su lui retirer son instinct grégaire. Un cheval reste un cheval, peu importe sa taille, le beau blond s’épanouissait parmi les siens et ne supportait plus ces longues minutes d’angoisses durant lesquelles Gabrielle lui procurait un brossage qui n’avait rien d’agréable et de naturel. Elle n’était pas un cheval, jamais elle n’offrirait au shetland des interactions similaires à celles qu’il peut avoir avec ses vrais congénères. Au début, Gabrielle s’est entêtée à vouloir le garder calme lors de ces moments de solitude, puis elle a vite capitulé. À quoi bon ? Manzano avait toujours vécu en groupe, c’était dans sa nature. Pour continuer de s’occuper de son cheval, l’adolescente a dû ruser. Elle a trouvé dans Odile (ou plutôt dans sa jument), une alliée de choix. En véritable dame de caprice, Corona ne bougeait jamais un pied au pansage. Je veux dire par là qu’elle aimait tellement cet instant où l’humaine vénérait sa personne que pour rien au monde elle n’aurait fait quelque chose susceptible de l’écourter. C’est ainsi que Gabrielle a compris que ses relations avec l’entier seraient toujours biaisées, ils ne parleront jamais la même langue et n’irons jamais vraiment dans le même sens. Manzano a besoin des autres quand l’adolescente les fuit. Il y a tout de même des moments où ils se rassemblent. Où le moment partagé veut dire quelque chose. C’est un de ces moments-là que je veux vous raconter.

D’abord, il y a eu la colère : « il ne m’écoute pas. Stop, Manzano, tu dépasses les limites », puis l’incompréhension «« Roh, c’est bon, tu peux bien rester seul dix minutes » et enfin le soulagement «« Tu as gagné, j’appelle Odile ». Quelques minutes plus tard, la jeune femme ramène avec elle la belle jument grise. Soulagée, Gabrielle s’absente, sa poche est vide et le shetland va probablement réclamer des bonbons. Lorsqu’elle revient, il a disparu, elle ne s’inquiète même plus. Des crins blonds surgissent derrière un gros ballot de paille. Le shetland a encore fugué pour aller manger un peu plus près de celle qu’il semble considérer comme son mentor. En réalité, cette relation ne semble fonctionner que dans un sens. Manzano semble vouer une affection sans limite à la grande jument grise alors que Corona ignore ce petit en constante demande d’attention. Pour autant, elle semble le tolérer, jamais elle ne râle en sa présence. Souvent Gabrielle laisse le shetland choisir sa place, il ne semble apaisé que lorsqu’il peut apercevoir sa congénère. Particulièrement drôle, il n’a de cesse de filouter : il chaparde des brosses ou joue avec sa longe si ce n’est celle des autres. Pour être honnête, l’adolescente laisse passer beaucoup trop de choses, mais ça, nous en reparlerons plus tard. Alors qu’il s’affaire à tenter de nettoyer les naseaux de Corona, sa cavalière entreprend un pansage complet. Étrille, bouchon, brosse douce, époussette et j’en passe. Tant d’artifices qui n’ont d’autres vocations que de sublimer la robe du petit privilégié. Il apprécie le passage des poils souples sur sa tête et ferme même les yeux en signe de confort. Sa longue crinière enduite de démêlant est parfaitement lisse et ses petits pieds sont badigeonnés de graisse pour paraitre plus brillants. Il est évident que Manzano ne sait même pas qu’il est bien apprêté, mais fidèle à lui-même, il semble tenter de séduire la belle Corona. Ah, les entiers !

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