J’arrive dans la carrière suivie de près par le poulain paint horse. C’est une grande journée pour lui aujourd’hui. Après trois ans de dur labeur, de préparation physique et mentale, sa propriétaire s’apprête enfin à mettre le pied à l’étrier. Je suis fébrile et Whiskey On Ice le ressent. Bien que notre relation ait évolué à travers les années, il a rapidement compris que je ne venais le voir que pour travailler. Je n’en demeure pas moins un humain de référence à ses yeux et tout se fait dans le respect mutuel. Son propriétaire referme la porte derrière notre trio pendant que je mène l’étalon au centre de la carrière. Je m’y arrête et je vérifie toutes les pièces d’équipements du mâle. D’un côté, j’attrape un étrier que je secoue férocement, jaugeant les réactions du bicolore. Ce dernier, malgré un petit sursaut, reste sagement en place. Je fais la même chose du côté gauche, puis quand je constate qu’il est calme, je remonte la sangle de trois trous. Je me poste près de sa tête et je lui présente le mors. Je glisse l’embouchure en métal entre ses dents et j’ajuste la bride sur sa nuque avant de passer les rênes dans son encolure. Je m’assure que le licol n’interfère pas avec l’ajout de la bride avant de me reculer d’un pas.

Lorsque nous sommes enfin prêts, je hoche la tête, indiquant à Harper qu’il est temps pour elle de venir m’assister. Enfin, m’assister est un grand mot puisque c’est plutôt elle qui se mouille aujourd’hui. Whiskey On Ice ayant été longé la veille, je ne ressens aucune animosité chez lui et de ce fait, j’évite de le surentraîné pour le préserver vu son jeune âge. La jeune blonde se hisse en selle naturellement et son sourire lumineux me réconforte dans mon choix de lui offrir la première monte libre. Elle me fait signe lorsqu’elle est prête et je pousse doucement sa monture au pas.

- Le pas. L’étalon s’exécute et se met en cercle autour de moi, au bout de la longe de quinze mètres. C’est bien Whiskey.

La cavalière, pour sa part, ne semble pas trop savoir quoi faire de ses mains. Je l’invite à prendre les rênes pour qu’elle puisse mener son étalon sur le cercle - l’agrandir ou le rétrécir selon son bon vouloir. Elle s’empresse d’accepter et notre trio évolue au pas cinq minutes en alternant de petits cercles et de plus grands, en plus de quelques changements de direction. Le paint horse semble se plaire sous les directives de la personne en qui il a confiance plutôt que moi, car je le vois détendu au maximum. Je le pousse donc au trot rapidement et je laisse Harper s’ajuster à son allure avant de répéter l’exercice. Je suis incapable de faire faner le sourire sur mon visage, satisfaite du résultat de toutes ces années de travail. Encore une fois, le duo au bout de la longe répète l’exercice fait au pas quelques minutes avant qu’ils ne s’élancent au galop. L’étalon, respectueux de la longe, ne tire pas contre moi et conserve son cercle. Cette fois, je laisse Harper faire deux tours avant de faire prendre le trot au paint horse. Un demi-tour plus tard, ils s’élancent une nouvelle fois au galop de l’autre côté. Deux courts cercles plus tard, le duo s’immobilise devant moi. Je rejoins Whiskey On Ice et je retire finalement la longe de son licol, lui donnant sa liberté. Je recule d’un pas et j’envoie le couple sur la piste d’un revers de la main.

- Prête? La propriétaire hoche la tête vigoureusement. J'attends ce jour depuis sa naissance.

Son sourire lumineux est contagieux et je lui rends un sourire équivalent. Puis, Harper presse les talons contre la cage thoracique du paint horse et je retiens mon souffle jusqu’à ce que celui-ci s’élance avec tout son bon vouloir dans l’installation extérieure. À plusieurs reprises, j’entends la cavalière s’exclamer avec des “oh!” ou des “ah!” et je réprime un rire. Pour obtenir un résultat pareil lors d’un débourrage, il faut beaucoup de temps et beaucoup d’implication. J’ai eu la chance de travailler avec une propriétaire qui était investie d’une mission durant ces années et le résultat est vivifiant. Après quelques minutes pour s’adapter l’un à l’autre, le duo prend le trot pour quelques tours. Encore une fois, Whiskey On Ice ne se laisse pas impressionner par rien et se plie à toutes les demandes de sa propriétaire. Je me sens presque de trop avec ce duo en harmonie, mais je me souviens que mon travail n’est pas tout à fait terminé. Quand la blonde pousse le mâle au galop, les cheveux et les crins entremêlés au vent, je sais maintenant que j’ai réussi. C’est là-dessus que je fais un signe de tête heureux à la cavalière qui me salue de la main, et je m’en vais, les laissant tous les deux à leur nouveau bonheur.