Les rue se ressemblent et se mélangent pour Léo qui traîne depuis des heures. Il peut sentir l'effet de sa dernière dose s'estomper. Il a encore assez de clarité pour fouiller dans ses poches, la bouche entrouverte, les lèvres sèches, cherchant frénétiquement l'autre petite pillule qui lui permettra d'oublier pour un instant. Ses poches sont vides, sauf quelques dollars froissés, et Léo sent la panique monter en lui. Il appuie son front fiévreux contre la brique chaude d'un bâtiment adjacent. De l'autre côté de la rue, il voit des personnes sortir d'un bar, ou peut-être est-ce une boîte? Après minuit, de toute façon, tous les bars ressemblent à des clubs maintenant. Léo n'a pas l'habitude d'y traîner, mais un éclair de lucidité le pousse à fixer le visage de l'un des clients fraîchement sorti. Il ouvre son paquet de cigarette, un élan de soulagement le prenant à la gorge en découvrant qu'il a encore un petit pétard à fumer. Depuis quelques semaines, Léo se laisse sombrer, comme une feuille morte qui danse dans le vent avant de tomber inévitablement au sol. S'il a de la chance, il ne sera pas écrasé sous la semelle des mieux nantis pour un moment.

Il n'y croit plus vraiment. Scarlet est un souvenir distant dans son esprit constamment embrumé. Il parvient à peine à canaliser assez d'énergie pour se présenter au boulot plus de trois fois par semaine. Il ne souvient plus de la dernière journée où il a été sobre. Léo secoue la tête avec un rire sournois; il se souvient très bien de sa dernière journée de sobriété: c'était à peine une semaine après l'accident de Scarlet. Un peu d'herbe était vide devenu insignificant pour noyer son désespoir grandissant. L'alcool le rendait malade, mais les psychotropes lui permettaient de se sentir libre, de toucher les nuages le temps de quelques heures. Il se rend compte qu'il n'a pas de briquet ni d'allumettes et se sourit à lui-même. Parfaite opportunité pour accoster le quatuor, et titiller sa mémoire. Il sait qu'il a déjà vu celui aux cheveux bleus quelque part, à plusieurs reprises, mais l'acide qui coule encore dans son système refuse de lui donner plus de détails. Il traverse la rue en se redressant de son petit mètre soixante, essayant tant bien que mal (surtout mal) de paraître plus vieux.

Sûrement, avec son air de chien battu, les cernes lui pendant jusqu'au nez et les yeux rougis de n'avoir dormi que quelques heures depuis des jours, Léo ne fait pas grand effet. Il renifle et s'éclaircit la gorge avant de tapoter l'épaule du jeune homme aux cheveux bleus. Il a préparé son intro, il a même le petit sourire de bum qu'il s'est construit en traversant, mais il bafouille en reculant d'un pas lorsque le ton glacial retentit. Il roule des yeux involontairement; et lève son joint mal roulé.

« J'ai pas de feu. Je peux t'emprunter le tient? »

Il se racle la gorge en entendant sa propre voix rauque et cassée; il n'a pas parlé depuis un long moment. Il se sent soudainement assoifé, et humecte ses lèvres sèches du bout de la langue.

Le briquet apparaît dans son champ de vision sans que son cerveau ne réagisse. Léo fait appel à ses mains, qui s'étirent vers le petit objet bleu, et il manque de l'échapper à plusieurs reprises. Il a l'impression d'avoir dix pouces aux mains alors qu'il tente d'agripper le briquet qui semble être décidé à ne pas se faire prendre. Finalement, après beaucoup trop longtemps, Léo referme sa main sur l'objet, et allume son joint. Il tire une longue bouffée comme si c'était l'oxygen dont ses poumons avaient besoin. Il oublie d'expirer, les yeux fermés et un sourire niais aux lèvres, et se met à tousser avec violence. Léo essuie la salive qui est tombé sur son menton et remet le briquet à l'inconnu. Il se sent plus sobre maintenant que le joint redresse son esprit, et soudainement, un éclair de mémoire lui zappe le cerveau.

« J'te connais. » dit-il avec un sourire gamin, et il pointe un doigt vers lui. « Oui, oui, je te reconnais. »

Il ne dit rien de plus, savourant quelques bouffées de son joint. Il se sent bien fier d'avoir reconnu celui qui lui a déjà vendu quelques doses, mais ne sent pas le besoin d'élaborer.