J’erre dans les décombres de l’incendie. Mon bâtiment s’est effondré dans sa presque totalité, me privant d’installations pour mes chevaux. Heureusement, ceux-ci se trouvaient dans les paddocks cette fameuse nuit et personne n’est blessé. Il n’en demeure pas moins que je n’ai plus rien pour prendre soin d’eux. Plus rien. Je ne roule déjà pas sur l’or et me rééquiper me coûtera une petite fortune. Je soupire longuement, tapant du pied dans une poutre de bois à moitié brûlée. Un scintillement au sol attire mon regard et je m’accroupis pour vérifier ce que c'est. La plaque de box de Play Date. Je la ramasse en faisant très attention de ne pas me couper avec un côté acéré. Je viens la porter à mon cœur dans un mouvement naturel et une larme solitaire roule sur ma joue. De la main droite, je viens essuyer cette dernière, furieuse. Furieuse contre les circonstances. Furieuse contre la vie. Furieuse qu’Il me foute encore des bâtons dans les roues, comme si je n’en avais pas assez bavé dans la vie. La saison de compétition commençait dans peu de temps et pour la première fois de ma vie, je l’attendais avec impatience. Ma jeune jument grise avait enfin l’occasion de prouver ce qu’elle valait dans les concours pour jeunes chevaux. J’ai bien dit avait. Parce que maintenant tous mes rêves et mes espoirs sont réduits à néant.

Mon patron travaille sans relâche avec les assureurs afin de reconstruire son domaine rapidement. Malheureusement, ses équidés en pâtissent, ce qui me donne plus de travail. En soi, ce n'est pas quelque chose qui me dérange. Mais j’ai moins de temps pour m’entraîner, moi. Et Play Date. Il ne faut pas oublier non plus que sans Kayce sur les terrains de concours, il est impossible que je m’y rende aussi. Je relâche un souffle, las. Je suis fatiguée. Et cette situation est angoissante. Le soleil commence à décliner à l’horizon et ma journée est terminée. Enfin, en toute logique, elle est terminée. Sauf que je ressens un besoin viscéral de prendre un peu de temps auprès de ma princesse. Le pas lourd, je me dirige vers les paddocks, où - indifférents à mes tourments intérieurs - se trouvent mes favoris. Je siffle entre mes lèvres pour attirer l’attention de la grise. Cette dernière relève la tête à ma vue et nous nous rejoignons près de la barrière. Le calme et la sérénité m'enveloppent tel une couverture chaude et je me sens tout de suite mieux. Je passe ma main droite sur la joue gauche de la kwpn qui ferme les yeux à demi au contact. Je laisse plusieurs minutes passées pendant lesquelles je profite simplement de la douceur de la robe de ma jument grise sous mes doigts.

Je réussis finalement à sortir de ma tête et je tends la main vers le licol posé sur le support à ma droite. Je touche du bout des doigts l’inscription sur la plaque de laiton vissé du côté droit du licol, et je souris faiblement. Domaine du Valhalla. L’élevage d’origine de ma douce. Sur le montant de gauche, son nom. Play Date. Je lui présente la muserolle dans laquelle la sportive plonge le nez et je passe efficacement la têtière au-dessus de ses oreilles. Je fixe le mousqueton dans l’anneau en laiton et je m’assure que la longe est correctement accrochée avant d’ouvrir la porte du paddock. Ma complice m’emboîte le pas jusqu’à une aire de préparation temporaire aménagée près du seul bâtiment qui tient encore debout. Mes pas sont plus légers cette fois et je me sens plus disponible, moins fâchée. J’attache habilement la kwpn à un anneau installé dans un morceau de bois usé et je vérifie la solidité de mon nœud. Quand je suis satisfaite et certaine qu’aucune fuite n’est possible, je trottine jusqu’à ma voiture pour récupérer mon sac de pansage tout neuf. C’est la première chose que je me suis procurée après l’incendie - impossible que je ne puisse pas nettoyer convenablement mes partenaires. Je glisse la bandoulière du sac sur mon épaule gauche et mes pas me ramènent près de la grise.

Je dépose le sac près d’une Play Date sage comme une image et j’y récupère une étrille en caoutchouc. Bien que sa robe grise soit immaculée, je sais qu’un peu de poussière s’y est logée et que ma princesse appréciera sans conteste l’attention que je lui offre. Je passe ma main gauche sur sa peau et je la sens frissonner à mon contact. Le coin supérieur de mes lèvres remonte dans un demi-sourire et je commence à la gratter fermement avec l’étrille. Je fais décrire des cercles à ma main droite et les dents neuves de l’étrille en caoutchouc vont plus profondément dans sa chair, lui offrant un massage par la même occasion. À plusieurs reprises je surprends la grise à pincer sa lèvre supérieure de bonheur et je me permets de la gratter plus longtemps aux endroits qui semble lui procurer un plaisir incommensurable. L'étrille me prend un temps fou parce que je sens mon coeur se gonfler d'affection chaque fois que je vois les yeux révulsés de ma princesse. Quand je suis enfin prête à passer à l’étape suivante, le soleil n’est presque plus visible à l’horizon et quelques frissons me parcourent quand le vent se lève. J’attrape une brosse dure pour venir à bout du pansage, mais les oreilles plaquées sur la nuque de Play Date me font tout à coup questionner mes choix de vie.

Je me retourne quand j’entends un raclement de gorge et je vois Kayce juché sur Lead the Way. Évidemment, ma protectrice montre les dents quand ils s’arrêtent à mon niveau et je lui assène une claque sur le poitrail pour la dissuader de faire ce qu’elle a envie de faire. Maintenant recadrée, je ne vois qu’une flamme hargneuse danser dans ses yeux pendant qu’elle se tient droite et fière. Je me retourne vers mon patron qui se passe nerveusement une main dans les cheveux. Alors, hum, il y a un cadeau pour toi dans ma sellerie. Et je pense que tu voudras tout de suite l’essayer. Je suis choquée. Sur cette phrase, mon patron s’éloigne avant même que je n’ai le temps de lui répondre. J’accélère les gestes habituels pour terminer le pansage de ma partenaire à une vitesse fulgurante. La brosse douce suit sa prédécesseure, puis je peigne ses crins fournis et je nettoie ses sabots. Si j’ai une idée de ce qui m’attend dans la sellerie? Bien sûr! Si je pense être déçue? Bien sûr! Mais j’ai espoir. Et je suis excitée comme une gamine à l’idée de découvrir ce qui s’y cache. Je boucle le pansage de Play Date en quelques minutes après cette visite impromptue, et cette dernière tape du pied en guise de mécontentement. Doucement ma belle, je pense qu’on sera agréablement surprise toutes les deux d’ici quelques minutes.

Je ramasse le sac de pansage déposé au sol à la va-vite et le jette dans ma voiture quand j’y arrive. Je referme la portière d’un coup sec et je me retourne d’un bloc pour traverser le stationnement jusqu’au bâtiment principal - le seul qui n’a pas trop été endommagé - et j’y pénètre en prenant une grande inspiration. L’odeur âcre de la fumée est constamment dans l’air et je dois me retenir de tousser quand j’entre dans la sellerie. Un support à selle est maintenant à mon nom et dessus se trouve une magnifique Henri De Rivel toute neuve - et toute équipée. Je sautille sur place comme une gamine et j’attrape cette dernière d’une main, ainsi qu’un filet à mon nom également et je retourne auprès de Play Date. Cette dernière me regarde arriver avec une étincelle dans les yeux, sachant pertinemment ce qui suit. Le travail ne lui a jamais fait peur, et il y avait un petit moment que nous n’avions pas eu l’occasion de nous entraîner. Je la selle en quelques minutes, à l’aveuglette parce que la noirceur nous enveloppe maintenant, et quand nous sommes fin prêtes, nous rejoignons Kayce et Lead the Way près du manège. Je le remercie chaudement et il balaie mes paroles d’un revers de la main, se contentant de hausser les épaules nonchalamment. Le sourire plaqué au visage, je pousse la porte du manège pour m’y engouffrer, suivie de près par ma jument grise et le duo près de nous.