Irin - monde

 Toutes ses affaires étaient prêtes, il ne lui resterait plus que son poney à faire monter demain matin. Giulia avait hâte de quitter ce stage qui l’avait beaucoup déçu. Elle avait apprécié les séances de pony-games, mais déplorait le fait qu’elle n’ai jamais pu vraiment trouver sa place auprès de ses coéquipiers expérimentés. Elle avait appris beaucoup de chose sur son poney qu’elle avait eu l’occasion de voir moins sage qu’à l’accoutumée, mais elle retenait aussi qu’il avait su faire preuve d’adaptation dans une discipline qui leur était inconnue à tous les deux. Pour mettre un point final à ce stage, la jeune femme avait décidé de prendre part à la soirée de clôture.

Le club-house avait été transformé pour l’occasion, boule à facette, projecteurs et spots lumineux donnait à la pièce un air de night-club. Giulia commanda une boisson. La salle était déjà bondée, mais personne ne semblait faire attention à elle. Elle s’accouda au bar pour observer ceux qui avaient partager sa semaine. Elle comprenait enfin pourquoi elle ne s’était jamais sentie intégrée : les différentes équipes restaient entre-elles. Les dresseurs discutaient autours du billard, les cavaliers d’endurance jouaient au poker sur une table un peu plus loin, ceux qui faisaient de l’obstacle fumaient et discutaient bruyamment près d’une fenêtre et les complétistes partageaient des photos et des vidéos sur leurs téléphones. Ayman était au milieu de ceux-là. Giulia n’avait pas trouvé sa place car elle n’appartenait plus à aucune de ces équipes. En quittant la sélection nationale, elle avait symboliquement perdu le droit de s’asseoir à leur côté.

Elle sirotait son soda quand elle vit Ayman s’approcher, une cigarette coincée entre les lèvres.

- Tu es venue finalement ? En fait, j’avais un truc à te demander. Il tira sur sa clope, la tenant désormais à deux doigts.
- Éloigne ça de mon visage d’abord, je verrais si je suis disposée à te répondre après, lui répondit la jeune femme l’air agacé.
- Voilà, je voulais savoir si ton père et toi, vous étiez disposé à prendre un salarié ? Je peux bosser en tant que palefrenier ou cavalier maison, peu m’importe. Il me faut juste un point de chute. Mon employeur actuel fait rentrer sa fille dans l’entreprise, il n’aura plus besoin de moi d’ici quelques semaines. Est-ce que tu crois que je pourrais compter sur vous ? Il avait éloigné sa cigarette juste assez pour que Giulia ne reçoive plus de fumée. À la lumière timide des spots, elle pouvait lire sa gêne sur son visage.
- Comment ça ? Personne n’a voulu de toi avec ton palmarès d’enfant prodige ? Giulia se mordit la lèvre, elle avait peut-être été un peu dure.
- Je vois, laisse tomber, je vais me débrouiller. Il écrasa sa cigarette et s’accouda à côté d’elle, l’air pensif.

L’esprit revanchard de la jeune femme appréciait ce retournement de situation. Elle même avait eu du mal à trouver des sponsors après sa baisse de confiance et son éviction logique du groupe France. Mais elle songea qu’elle aurait aimé qu’on lui tende la main lorsqu’elle en avait eu besoin, elle aurait aussi apprécié des excuses de la part d’Ayman, qui lui avait prit sa place dans l’équipe.

- Si jamais, il te faudrait combien de box pour tes chevaux ?
- Aucun, j’ai pas de cheval, c’est pour ça que ça bloque. Un palmarès de bon cavalier qui n’a jamais pu participer à l’achat d’un seul cheval, ça ne vaux rien. Mes parents n’ont jamais pu m’aider et mes employeurs déduisaient la location des chevaux de haut niveaux de mon salaire, t’imagine bien qu’aujourd’hui j’ai plus rien. J’ai même payé pour monter le cheval que j’avais durant le stage. Il ne la regardait pas, honteux.
- Je te garantis rien, on aura probablement pas de chevaux à te prêter, mais on peut te trouver un job d’écurie je suppose, dit Giulia en posant la main sur son épaule. Je vais rentrer, la fumée de vos cigarettes me donne mal au crâne.

Finalement, venir à cette soirée avait été une bonne décision. Giulia avait la sensation d’avoir fait une bonne action et de finalement clore cette semaine mitigée sur une note positive.

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Guilty Eyes attendait sagement dans son box. Giulia pouvait partir à la reconnaissance l’esprit serein. L’obstacle n’était pas sa spécialité, loin de là, mais elle avait songé que pour un premier concours, ce serait largement suffisant. Pas question de brusquer sa monture déjà si sensible à l’extérieur. Elle dû faire deux fois le tour du site pour trouver la bonne carrière. La première étape de son épreuve n’était qu’en fin de journée, elle disposait de temps, mais devrait aussi anticiper les potentiels changement de luminosité pour repérer quelles étaient les zones où le poney alezan pourrait être gêné.

Elle réalisa une première reconnaissance qui la laissait dubitative. Il s’agissait d’un championnat, certes, mais les contrats de foulées étaient traitres et l’intégralité des courbes demandait un soin particulier. Et si finalement cette première manche s’annonçait plus difficile que prévue ? Dans le doute, elle préféra appeler Ayman, lui saurait la conseiller dans ses contrats, et même si son égo en sortirai probablement meurtrit, elle préférait avoir un deuxième avis. Le jeune homme fut à ses côtés en quelques minutes seulement. Ils réalisèrent un second tour afin de débattre sur les meilleurs distances possibles. Ils tombèrent rapidement d’accord et Ayman se paya même le luxe de souligner au chef de piste que les rivières étaient interdites dans ce type d’épreuve. Giulia se sentait soulagée, les conseils et l’oeil avisé de son futur collègue lui apportait une sérénité insoupçonnée.

En passant le long de la lice, la jeune femme entendit son prénom chuchoté. Visiblement sa présence sur une petite épreuve du genre faisait débat. Ayman s’aperçût que les commentaires des cavalières en bord de piste avait déstabilisé Giulia. Il essaya de focaliser son attention sur la compétition :

- Tu as besoin de quelqu’un pour te monter les barres au paddock?
- Hmmm ? Non, non, je vais me débrouiller, merci. Elle quitta la piste un peu désorientée.

Peiné pour celle qu’il considérait déjà comme une amie plus qu’une collègue, Ayman prit la décision d’être présent à ses côtés lorsqu’elle irait échauffer sa monture. C’était son moment, elle devait briller. Faire fit du passer pour se concentrer sur son nouvel objectif : Guilty Eyes

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Si le premier parcours du championnat régional s’était soldé par un petit quatre point pour Giulia, le second avait été une franche réussite avec un sans faute bien mérité. La barre du premier jour les empêchaient d’accéder au carré final, mais la cavalière était tout de même ravie de la prestation de son protégé. Ils repartaient de cette échéance sans titre, mais avec beaucoup de fierté. Ayman s’était montré aussi présent pour elle que lors de son premier tour, elle tenait à le remercier en lui offrant un verre devant la finale de la plus grosse épreuve. Il lui avait donné rendez-vous sur les berges de la rivière poisseuse qui traversait le site.

Elle n’avait pas prit la peine de se changer, le concours touchait à sa fin et ils seraient sur le retour dans moins d’une heure. Vêtue de son pantalon blanc, elle se dirigea fièrement vers le jeune homme, un verre de soft dans la main. Ils s’installèrent ensemble sur un banc, leurs pieds pouvaient presque toucher l’eau.

- C’est une nouvelle vie qui commence dans quelques minutes, dit Ayman, pensif.

Il allait rejoindre l’entreprise des Conti, il repartait avec elle, dans le camion. Giulia n’avait pas bien compris quelles seraient ses missions, d’autant plus qu’il intégrait le groupe sans monture.

- J’ai dit au revoir à mon cheval, au cavalier qui m’a tout appris et aussi à mes sponsors. C’est peut-être une bonne chose finalement, il y a aura moins de pression, je pourrais prendre mon temps dans le travail des chevaux.
- Et puis tu as bien profité, t’as concouru partout dans le monde. Rajouta Giulia avec une pointe de jalousie.

Ayman ne répondit pas, conscient que sa place dans l’équipe nationale avait été acquise au dépens de celle de sa nouvelle collègue. Ceci dit, il n’était plus vraiment sûr de concourir de nouveau sous les couleurs du drapeau tricolore. Il y eut un long moment de silence. Un groupe de cavalier jeta une jeune fille en pantalon blanc dans la rivière, une tradition répugnante, mais qui traduisait un moment d’euphorie intense.

- Tu devrais y aller toi aussi. Après tout, tu as tout gagné ce week-end.
- Hors de question, répondit Giulia en montrant son pantalon immaculé.
- Tu as de quoi te changer ? Alors à l’eau ! Dit Ayman sans attendre la réponse.

Il fit tomber la jeune femme dans l’eau en riant aux éclats. Personne d’autres qu’eux ne savait qu’elle n’avait rien gagné. Les fesses dans l’eau boueuse, Giulia riait aussi. Elle avait de quoi se changer et ce petit moment de détente à l’issu de ce week-end stressant lui faisait le plus grand bien. Ayman finit par mettre lui aussi les pieds dans la rivière, petit joueur, seules ses chaussettes étaient immergées. La blonde l’arrosa abondamment, elle était déjà presque entièrement trempée, hors de question qu’elle soit la seule. Giulia avait un bon pressentiment, ces instants de joie étaient le début d’une belle collaboration.

Mouillés mais hilares, ils rejoignirent les boxs pour se changer et revêtir des vêtements propres avant la prochaine étape : l’arrivée du jeune homme dans le quotidien du centre équestre.

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