Manège - Irin

La Suisse subissait les intempéries depuis plusieurs jours. L’automne ne se montrait guère clément avec les Helvètes qui étaient forcés de se couvrir. Luca sortait ses chevaux moins longtemps et, par conséquent, devait augmenter la fréquence de leurs entraînements. Il avait laissé de côté Guilty Eyes pendant quelques jours. Ce dimanche matin, sa mère était venue l’épauler : les enfants réclamaient de l’attention et le cavalier n’avait pas vraiment le temps de leur en donner tant il avait à faire aux écuries. Pourtant, lorsqu’il enfila son imperméable et ses bottes en caoutchouc, Dimitri lui emboîta le pas. Le petit garçon était toujours motivé pour assister son père dans les tâches quotidiennes et la pluie ne parvenait pas à le dissuader. Ils quittèrent tous les deux le confort de la maison pour retrouver la boue et la pluie cinglante. Dans le barn, on entendait que la pluie qui cognait contre les tôles. Dimitri a dû hausser la voix pour demander à son père « Dis, je peux m’occuper de Guigui ce matin ? » Content d’avoir un peu d’aide et de pouvoir faire plaisir à son fils, Luca accepta. 

L’homme entama le paillage des boxs tout en gardant un œil sur son fils. Le jeune garçon connaissait par cœur les gestes du pansage. D’abord, il fallait retirer la couverture de l’entier. Bienveillant, Guilty Eyes ne bougea pas d’une oreille lorsque le petit a dû sautiller pour atteindre son garrot. Un coup de brosse douce, un peu de pommade sur les petits bobos et un bon coup de brosse dans sa jolie crinière. Docile et heureux qu’on s’occupe de lui, l’alezan s’endormait presque. Pour les pieds, le rituel mis en place était connu de tous : d’abord l’antérieur droit, les postérieurs et l’antérieur gauche. Pour faciliter le travail de son petit cavalier, le poney prenait lui-même l’initiative de reporter son poids et de s’alléger. Une fois qu’il eut terminé de panser sa future monture, Dimitri appela son père : « Guilty Eyes est prêt ». Luca s’approcha du duo en félicitant son fils « Beau travail, il brille. Mais attention, à l’astiquer comme ça tu vas l’user ! »

C’était la première fois que Guilty Eyes accédait au manège, mais l’alezan ne laissa rien paraître.. Bien évidemment, Luca n’allait pas laisser son fils longer l’étalon, d’autant plus que le moment était venu d’introduire une nouvelle étape dans leur séance de longe : le galop. En retrait, Dimitri s’installa au fond du manège, adossé au pare-bottes. Les gestes assurés de son père fascinaient toujours l’enfant, il savait exactement quoi faire alors que lui peinait déjà à retenir le nom de tous les chevaux des écuries. Le petit garçon observait avec attention la scène qui se déroulait sous ses yeux. Son poney évoluait avec aisance sur un cercle au diamètre presque fixe. Au pas, il était capable de venir étendre le bout de son nez pour se mouvoir avec plus de force. Ses oreilles bougeaient sans cesse, à l’affut, il n’attendait qu’une sollicitation de la part de son longeur pour prendre le trot. Après quelque changement de main et de belles transitions vers l’arrêt, Luca prononça les mots magiques et Guilty Eyes se mit à trotter. Les premières foulées furent audacieuses, l’étalon faisait preuve d’une tonicité remarquable, ses genoux montèrent en rythme et il secoua la tête de plaisir : il était enfin libre de se défouler. Dimitri ne pouvait détacher son regard de ce spectacle sublime. Lorsqu’enfin l’excitation se dissipa pour laisser place à un effort studieux, la danse put reprendre. D’un geste subtil, Luca incitait l’équidé à changer de main ou à passer à l’allure inférieure, une simple intention suffisait pour obtenir une transition. Les choses se passaient de mot tant les gestes étaient éloquents. L’homme adressa un clin d’œil à son fils : c’était le moment. D’un appel de langue, l’alezan se mit au galop. Calme et cadencé, il semblait vouloir être le plus silencieux possible, on entendait toujours que la pluie, impassible. Un rien suffisait, un cercle, peut être deux, mais voilà déjà que Luca avait fait changer de main à l’entier pour lui demander le même exercice à gauche. Deux tours, rien de plus. 

Les épaules relâchées et la voix posée, l’homme fit repasser sa monture au pas. Guilty Eyes n’avait pas semblé perturber par l’introduction du galop. Au contraire, il semblait enfin pouvoir se délier et fonctionner vraiment. Dimitri s’approcha doucement de son poney pour lui offrir la carotte qu’il avait secrètement conservée dans sa poche. Son père le surprit et c’est avec une certaine tendresse qu’il lui proposa de bichonner de nouveau le petit poney.