Box de Captain

— this evening sounds as if it might be better than I thought.

« Haras de Pado »; vestige de mon enfance. Je n'y avais pas mis les pieds depuis des années et alors que je m'approchais du grand portail d'entrée, ouvert et accueillant, je ne pus empêcher une décharge nostalgique de me parcourir tout le corps, de la tête aux pieds. Ma gorge s'était légèrement nouée et je sentais l'émotion me gagner. Quelle sensation étrange que de revenir dans un endroit qui est emprunt de souvenirs. Pendant un instant, je me revoyais, collégienne, insouciante, entrer en courant dans le centre équestre, rejoindre mes amies avec qui j'allais monter, m'occuper de mon poney, "Nocturne". Je m'étais inscrite à nouveau dans ce haras, et j'avais déjà fait mon choix ; je comptais prendre un cheval en demi-pension. Non seulement ça m'aiderait à reprendre mon niveau avant que je ne doive faire ma pause, mais en plus je comptais m'acheter un cheval prochainement et une demi-pension se trouvait être le compromis parfait, l'entraînement idéal.
Le talon de mes boots frappait contre le gravier alors que je marchais vers les écuries. C'était mon premier objectif; les écuries. Avant de pouvoir choisir un cheval, il me fallait d'abord tous les rencontrer. Ça, et aussi parce que j'avais besoin d'un contact régulier avec les chevaux. J'avais simplement envie de sentir l'odeur du foin et de la paille envahir mon odorat. J'avais besoin d'entendre les chevaux mâchonner dans leur boxe, déplacer des tas de paille à chaque pas qu'ils faisaient. C'est une ambiance que j'ai du mal à décrire mais qui est vécue et aimée de, je pense, tout cavalier passionné.
J'avais donc pris du temps pour m'arrêter devant chaque cheval, et il suffisait d'une simple immobilisation pour en apprendre un peu sur le cheval : était-il très avenant ? plutôt asocial ? chaleureux ? froid ? inquiet ? à l'aise ? La première observation de chaque cheval me permettait de me faire une image grossière de ce que leur caractère devait être.
Cette première impression jouait donc dans la définition de mon intérêt pour eux. J'avais tendance à laisser les chevaux qui voulaient être seuls tranquilles. Ce n'est pas que je n'appréciais pas les chevaux timides ou asociaux, mais je préférais les laisser dans leur petit confort et ne pas venir les embêter plus que nécessaire. Ça ne voulait pas dire que je les rayais de ma liste de prétendants pour la demi-pension, évidement, mais je me contentais de les observer et je ne tentais pas d'entrer dans leur boxe ou de venir les caresser. Si je n'aimais pas personnaliser les chevaux, je me comportais parfois avec eux comme je le ferai avec une personne; je laissais les personnes solitaires tranquilles si elles ne semblaient pas intéressées par moi, et je me faisais plus ouverte et proche avec les personnes qui étaient plutôt avenantes.
J'avais remarqué plusieurs chevaux qui m'avaient intéressés, dont deux en particulier : Tonight, un selle français et Captain, un oldenbourg. Une cavalière plutôt ancienne du club passait justement par là et m'avait demandé si je cherchais quelque chose. Lui expliquant ma situation, elle en avait profité pour me parler un peu plus des chevaux. C'était une passionnée, ça se voyait à sa façon de parler, à ses yeux qui s'illuminaient, ses pommettes qui remontaient quand elle parlait des chevaux. Captain, lui, était un cheval qui semblait tout à fait agressif et asocial. Mais elle m'avait dit que c'était plus une tentative d'intimidation qu'une réelle agressivité, et qu'une fois qu'il s'habituait à nous, il devenait tout autre. J'avais l'habitude des chevaux comme ça et pour cause, pendant mon adolescence, j'avais monté et débourrée des ponettes qui présentaient les mêmes caractéristiques que Captain ; j'en avais donc l'habitude.
Elle m'avait précisé qu'il était très vert dans son travail et qu'il fallait tout revoir; il n'avait que les bases. C'était certes un gros défi pour moi, mais ça promettait d'être intéressant et ça m'aiderait sans doute à progresser, tant et si bien que j'avais presque fait mon choix une fois qu'elle me quitta.
En plus d'avoir un caractère qui me plaisait bien, une marge évolutive satisfaisante -je voulais que notre couple fonctionne ensemble; que chacun soit professeur de l'autre-, il avait un physique à tomber. Oldenbourg, léger, bouille adorable... Il lui manquait, certes, pas mal de muscles et il faudrait de bonnes séances pour remodeler tout ça, mais j'aimais beaucoup son physique d'étalon de sport à moitié sauvage... Le contraste était donc saisissant.
Pour notre premier contact, je me contentas de lui donner une pomme qu'il s'empressa d'avaler en deux trois bouchées. Ses oreilles restaient plaquées en arrière la plupart du temps mais je ne reculais pas quand il essayait de m'intimider, tournant la tête vers moi en avançant le bout du nez comme s'il allait me mordre. Je refusais de lui montrer la pointe d'inquiétude que je pouvais ressentir quand il se tournait vers moi, l'air féroce et sauvage. Il me prouva bien rapidement qu'il n'était pas réellement agressif puisqu'il tourna finalement le dos, retournant à son foin.
Je comptais partir après ça, mais il était bien sale et je devais bien avouer que le quitter dans cet état me dérangeait un peu. Un coup d'oeil à la fiche de monte pour vérifier qu'il ne serait pas monter le temps que je le panse ; ce n'était pas le cas, j'emprunta alors des affaires du centre équestre pour faire ce que j'avais à faire. Le bai plaqua les oreilles en arrière lorsque j'entrais dans le boxe mais je n'y fis pas attention. Marchant d'un pas confiant et assuré, je m'arrêtas au niveau de son épaule et lui enfila le licol. Il avait bien essayé de lever la tête, j'avais du me mettre sur la pointe des pieds mais il n'avait pas émis tant de résistance. Le pansage était une activité que j'aimais beaucoup. Mise à part le fait de rendre le cheval bien plus esthétiquement correct, ça permettait de lier une certaine relation, instable, certes, mais un petit quelque chose. Je m'activais pour passer l'étrille en caoutchouc, c'était ma brosse préférée. J'en profitais toujours pour le masser au niveau du dos, même s'il ne montrait rien, j'étais certaine qu'il appréciait ça. Avec de l'énergie et dans un nuage de poussière, l'étalon devint rapidement bien plus présentable et je pus passer au bouchon afin de continuer à faire voler la poussière autour de nous. Tempête de sable au Haras de Pado. La prochaine étape du pansage fut bien évidement le curage de pied, qui avait été bien rapide. Pour finir, je passa au long et douloureux démêlage de crins. Mes bras tiraient une fois le démêlage fini, tant ses crins d'étalon sauvage étaient emmêlés. Mais il était à présent tout propre et je pus le remettre dans son boxe satisfaite.

Ce fut ma première rencontre avec Captain, et alors que je traînais des pieds pour rentrer chez moi, je me posais toutes sortes de questions ; que me réservait le destin ?


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