le 01.12.2020
LyphentoFragments de passé : Blizzard Il y avait eu les moments durs. Nombreux. Qui avaient fait de l’existence même une angoisse permanente. Qui avaient fait de Lyphento la bête agressive qui suscitait, au mieux, l’appréhension, au pire, le mépris. Cet hiver-là en avait recensé beaucoup.
C’était un jour de décembre, il y a de cela près d’une dizaine d’années. Le vent soufflait fort depuis le matin, mais les entraînements n’avaient pas été annulés pour autant. Chevaux et jockeys étaient tous habitués à courir dans des conditions météorologiques extrêmes. Pour autant, tous se précipitèrent vers les box quand le blizzard fit irruption.
Lyphento galopait sur la piste sableuse. Ses longues foulées bravaient fièrement le vent. Concentré, il donnait tout son cœur à la course. Ce n’était cependant pas assez pour son cavalier, un jockey nerveux d’une trentaine d’années qui ne supportait pas la paresse, ni le manque de capacité. Et malheureusement pour lui, Lyphento, s’il était loin d’être paresseux, manquait de capacité pour être un bon cheval de course. Alors que son encolure se teintait déjà d’une écume blanchâtre et que sa respiration se faisait lourde, la cravache cingla, brûlante, sur sa croupe. Un coup. Deux. Trois. Il tenta d’accélérer, le souffle court, mais ce n’était toujours pas assez. Le quatrième coup lui laissa un hématome sur l’épaule. Blessé, l’étalon vira brusquement sur la gauche et renâcla, mais continua sa course. La main d’acier tira pour le ramener, sans délicatesse aucune, sur sa trajectoire.
A cet instant, tout bascula. Lyphento s’immobilisa net, dans un geste qui projeta son cavalier sur son encolure. C’est cet instant exact que choisit le ciel pour s’ouvrir. Le blizzard. Il n’y avait pas eu d’entre-deux. Pas de petits flocons dansant dans le vent. Juste la brutalité des éléments. On n’y voyait plus à un mètre. L’étalon hennit, silencieux dans le vent. Les oreilles plaquées, le regard fou, il piétinait, retenu seulement par la main dure de son cavalier qui s’était rétabli. La tempête couvrait les cris des jockeys qui se précipitaient vers les boxes, tentant tant bien que mal de rassurer les chevaux.
Mais le cavalier de Lyphento n’avait aucunement l’intention de rassurer l’entier. Au contraire, plus le pur-sang s’agitait, plus le mors déchirait la délicate commissure de ses lèvres. Effrayé, désorienté, blessé, l’étalon agit par pur instinct. Il se sentait en danger, et nulle volonté humaine n’aurait pu le retenir d’agir comme il le fit. Oubliant l’homme sur son dos, il fit brusquement volte-face et s’élança droit vers les écuries. L’acier faisait souffrir sa chair mais il ne le sentait pas. Il n’avait jamais galopé si vite, mais personne n’était là pour le chronométrer. Le blizzard brouillait sa vue. Il vit la lice trop tard.
Il décolla soudainement, faisant appel à toute la puissance qu’il pouvait rassembler. Le jockey vacilla. Un quart de seconde plus tard, il tombait. Une onde de choc venait de secouer l’antérieur gauche de Lyphento alors qu’il entrait en contact brutal avec la lice, déséquilibrant l’étalon qui s’étala à son tour. Lui, en revanche, se releva aussitôt et s’enfuit vers son box, négligeant la douleur. L’homme resta étendu longtemps avant d’être retrouvé. Et il ne revint pas aux écuries avant plusieurs mois.
Cadeau : 2