Carnet d'Atalante

Décembre venais d'arriver et avec lui une superbe tempête. Mathias ce matin avait été réveillé par le sifflement rageur du blizzard dans les interstices de ses volets. Il hésita à les ouvrir mais il ne se voyait pas passer la journée dans l'obscurité. Le vent glacial le frappa, rougissant sa peau tout autant que les flocons qui s'y écrasèrent. Il referma rapidement l'ouverture avant d'aller enfiler une chemise et un jean.

Il gagna ensuite la cuisine pour se préparer un café bien fort et surtout bien chaud. pendant que celui-ci coulais il relança le poêle à bois qui servait à chauffer son habitation. Une tasse bien pleine à la main il passa à son bureau et alluma son ordinateur, il commença par consulter ses mails, pas mal étaient liés à son boulot, une autre partie concernait de la publicité, qu'il supprima sans même les ouvrir puis répondit à ceux qui nécessitait une réponse, prenant en note les informations fournies par les autres.

Il devait être approximativement onze heure quand un bruit étrange lui fit relever la tête de son écran. Il se frotta les yeux et tendit l'oreille, avait-il rêvé ? Il le crut pendant presque une minute avant que le bruit strident retentisse de nouveau. C'était un hennissement il l'aurait parié, lui qui enfant avait été cavalier n'avait jamais oublié ce son qui l'avait tant fait rêver à l'époque où il aurait voulu posséder sa propre monture. Il se releva en vitesse, gagna la porte de son domicile où il enfila grosse chaussure et parka avant de sortir.

De nouveau le vent et la neige l'assaillirent sans répit. Il scruta la tempête, il n'y avait pas d'écurie dans les environs normalement, il n'en avait pas vu alors qu'il habitait ici depuis plusieurs mois, un grand complexe équestre était situé à une trentaine de kilomètres mais si c'était de là que venait l'animal il devait s'être sacrément égaré.

Il fit quelques pas dans la neige commençant à s'accumuler sur le sol. Un appel de langue braqua l'attention de l'équidé sur lui. Dos au vent ses crins flottant lui donnait un air fantomatique, irréel. Mathias se demanda si il ne rêvait pas en s'approchant lentement. A moins d'un mètre il tendit la main et pu toucher les naseaux dont s'échappait un panache blanc.

Il était réel. Il put dont passer sa main sur le chanfrein puis l'encolure. Une nouvelle bourrasque lui rappela la situation. Il avait acheté son habitation actuelle pour son cachet mais aussi un peu parce qu'il y avait une ancienne grange qui le faisait rêver doucement comme lorsqu'il était enfant. Il attrapa la crinière du frison et tira doucement pour l'inciter à le suivre.

Pas plus désireux que lui de rester là l'équidé ne se fit pas prier. Mat' le mena vers la grange dont il fit coulisser la porte. A l'intérieur un calme relatif régnait dans la pénombre. L'endroit était presque vide, Mathias se contentant en général de le regarder depuis la fenêtre de la maison. Au fond quelques bottes de foin qu'un voisin agriculteur avait demandé à pouvoir stocker là avec son accord car il avait plus récolté que prévu et tout ne tenait pas dans ses propres bâtiments. Arrangeant vu la situation.

Le jeune homme laissa le cheval à le temps de rejoindre sa maison pour dénicher de quoi improviser un seau pour pouvoir abreuver l'animal errant. Nouveau passage dans la tempête pour revenir à la grange avec son eau. Il posa le contenant au sol et observa l'animal. Le frison était en train de grignoter le foin d'une des bottes de fourrage.

Un rêve sortit des neiges, noël serait-il vraiment magique ? Avec un peu d'avance certes mais il semblait réchauffer l'âme du jeune homme déjà désabusé par la vie. L'étalon en sécurité il regagna son domicile pour tenter de trouver d'où il avait pu venir priant secrètement pour que personne ne le réclame. Dehors le blizzard se déchaînait sans faiblir, plongeant cette maison perdue dans une bulle de solitude où seul semblait vivre cet homme et ce cheval

Mathias avait passé l'après-midi à contacter les quelques structures équestres qu'il avait pu trouver mais rien personne ne semblait avoir perdu d'équidé et encore moins un étalon frison. Personne ne semblait capable de lui dire d'où provenait l'animal. La tempête ne se calma guère ce jour-là. Ainsi le jeune homme eut bien du mal à travailler sur son ordinateur comme le matin même, il se rendit plusieurs fois dans la grange pour surveiller le frison, enfin plus pour l’observer qu’autre chose.

L’étalon ne semblait pas perturbé d’être ici et à chaque fois qu’il venait il était accueilli d’un simple ronflement de naseaux avant de reprendre son engloutissement de la botte de foin. Au début Mathias n’osa guère s’approcher restant à la porte et le détaillant, sa robe d’ébène d’abord humide de la tempête traversée séchait progressivement reprenant un aspect lustré. Petit à petit il se rapprochait et en fin de journée il osait même caresser la massive encolure ou le chanfrein quand le cheval détournait la tête de son repas pour l’observer ou le sentir.

La sensation en lui était magique, voilà plus de dix ans qu’il n’avait plus été en contact avec un cheval ou un poney et ce n’est qu’en se rapprochant de celui-ci qu’il sentit combien ce simple contact lui avait manqué. Il était certain maintenant qu’il allait passer la nuit ici. Le sol de terre battue n’était pas ce qu’il y avait de plus confortable, enfin même si l’animal devait avoir vécu au pré pour s’être échappé ça ne semblait pas très agréable tout de même.

La botte de foin entamée lui donna une idée. Quitte à ce qu’elle ne fut plus vraiment utilisable autant en faire autre chose. Mathias retourna dans la maison et en revient avec un couteau dont il se servit pour défaire les attaches de la botte. Avec un claquement sec lors de la dernière rupture de lien la botte sembla s’ouvrir comme une fleur. Sans s’inquiéter de se salir, Mathias en attrapa à plein bras et l’étala au sol en une couche épaisse. Voilà qui semblait mieux. L’étalon l’avait observé faire sans broncher puis avait reniflé sa couche de fortune.

Il gratta plusieurs fois avec l’antérieur, Mathias recula reconnaissant malgré les années passées le signe d’un cheval qui comptait se rouler. Ce qui ne rata pas, l’étalon noir se laissa tomber dans le fourrage et se roula, mêlant ses crins d’ébènes de foin. Il resta ensuite couché, attrapant les brins les plus intéressants simplement en tendant l’encolure. Lentement Mathias s’approcha, jusqu'à pouvoir s’asseoir contre l’épaule massive.

Il laissa sa tête aller contre la crinière profitant de la chaleur qu’il dégageait et jouant distraitement avec les pointes. Lentement sans qu’il s’en rende compte, il finit par s’endormir, la journée avait été longue, la neige et l’hiver, ou bien la magie de Noël semblait lui faire don d’un nouvel acolyte dont il semblait déjà ne plus vouloir se séparer.

Une bougie comme un espoir
Qu'on allume en son coeur
Une lumière dans le noir
pour éloigner les malheurs

Une bougie dans les ténèbres
Une aurore dans l'obscurité
Pour sortir des ombres
Pour trouver la sécurité

Une bougie dans le froid
Un repère dans la solitude
Pour quitter ses habitudes
Pour enfin être soi.

Au coeur des ténèbres de ses rêves, Mathias pouvais sentir que le géant noir que la neige lui avait apporté craquer l'allumette et rallumer ainsi la flamme de la bougie qu'il avait lui même soufflé il y a bien longtemps dans son coeur.

Un mouvement de la part de l'étalon noir réveilla soudainement Mathias. Il sursauta, un peu engourdi et perdu. Il lui fallut plusieurs secondes pour revenir au moment présent. Vu la faible luminosité, presque inexistante, la nuit était maîtresse en son domaine. Le jeune homme étira sa nuque puis se releva bientôt imité par l’étalon qui s’ébroua, il avait sûrement quelques fourmis d’être resté couché.

A l’angle de la grange, une fenêtre dévoilait un ciel vide du moindre nuage bien éloigné de la tempête de l’après-midi précédent. Le jeune homme s’y accouda, observant les astres brillants sur une immensité d’encre. Derrière lui il entendait le frison mastiquer, pas perturbé apparemment il avait repris l’activité principale des équidés : se nourrir.

Mathias fini par sortir de sa contemplation et vu l’heure plus que tardive il décide d’aller dormir, demain sera un autre jour et il y verrait peut-être un peu plus clair. Il vérifia une dernière fois que l’étalon avait tout ce qu’il fallait pour être confortablement installé puis l’enferma dans la grange.

Il retourna dans sa maison, quitta chaussures et vêtements chauds pour rejoindre son lit. Il s’enroula sous l’épais édredon et referma les yeux replongeant dans le sommeil épuisé par la journée mouvementée.

Voilà deux jours que mon petit frère traînait son rhume monstrueux, il avait fait un temps exécrable tout la semaine et il avait réussi à choper la crève. Mais au lieu de se reposer pour guérir rapidement il avait voulu travailler absolument et le voilà cloué au lit alors que dehors le blizzard hurle. Tout les chevaux de l'Orichalque ont déjà été ramené au box depuis le début des intempéries.

Je n'avais pas put me résoudre à laisser Logan seul et avait donc pris la décision, sans même lui laisser le choix de m'installer avec mon ordinateur, mon téléphone, et le sien par la même occasion dans son salon. Le digne propriétaire du loft était roulé en boule dans deux ou trois épaisseurs de couverture, un tasse de thé au miel dans les mains, complètement amorphe devant un quelconque programme télévisé.

Pour autant il sursauta autant que moi quand un téléphone, le sien sonna. Numéro non enregistré dans le répertoire, étrange. Je décrochais écoutant les questions plus ou moins étrange prononcé par une voix masculine. Un cheval perdu ? pas que je sache. Un étalon frison potentiellement échappé d'un pré ou d'une écurie voisine ? Pas plus de précision pour moi. J'étais désolé pour le jeune homme mais ne pouvais l'aider. Logan semblait tellement dans la brume qu'il ne semblait pas avoir compris un traître mot de l'échange. Je lui en reparlerait plus tard peut-être qu'il saurait quelque chose. Mon interlocuteur bien qu'un peu perdu n'avait pas semblé plus affolé que ça, le cheval devait donc être en sécurité pour la durée de cette tempête.

Ce fut l'aube grise qui réveilla Mathias. Il avait dormi comme une souche malgré ces inquiétudes. Se levant il se vêtit chaudement et à peine le temps de lancer un cycle sur la cafetière il enfila son gros blouson ses snow-boots et se dirigea vers la grange. La neige tombait à gros flocon, mais plus aucun souffle de vent ne les agitait.

L'étalon noir tourna la tête vers lui quand il passa la porte coulissante. L'ayant reconnu il repris son activité du moment : manger. Vu le foin dans ses crins il avait du se coucher lui aussi durant la nuit. Le seau d'eau qu'il lui avait laissé était vide, Mathias le ramassa et fit un aller retour pour le remplir de nouveau. Revenant il laissa la porte ouverte, le cheval noir ne semblait même pas vouloir sortir pour repartir, étonnant.

Nouveau retour en cuisine pour le jeune homme qui se servit enfin son café, se brûlant la langue à la première gorgée. Il jura fort peu élégamment, se traitant lui-même d'idiot incapable de se rappeler qu'au sortir de la cafetière sa boisson était vraiment chaude. De la fenêtre il pouvait vaguement distinguer la silhouette de son protégé dans l'ombre de la grange à travers les flocons qui tombaient toujours.

Lentement il sortit, sa tasse à la main. Restant sous l'auvent de la porte pour s'abriter il regarda les nombreux flocons s'empiler devant lui, déjà ses passages précédents commençaient à disparaître, recouvert d'un nouveau manteau immaculé. Doucement, discrètement la neige étouffait tout du monde alentours. Posant sa tasse vide sur le plan de travail accessible en ouvrant la porte il referma la maison et s'installa dans la grange.

Il passa délicatement, presque avec révérence sur le corps de l'étalon noir comme si il doutait encore de sa présence dans le monde réel. Le poil était dense mais d'une finesse et d'une douceur surprenante. Il débarrassa la crinière de ses invitées végétales, remontant vers la tête expressive. L'étalon avait arrêté de manger pour le regarder. Tout sembla disparaître si ce n'était eux. Eux enveloppés de la solitude et protégés par la neige qui tombait en abondance.

Après 48h de zombification par le rhume, mon frère Logan semblait aller mieux. Pour autant je le secondais encore pour aujourd'hui dans les tâches du domaine. Ainsi en milieu d'après-midi tout les chevaux avaient été sortis et après la distribution de foin de 16h et un coup de balai il nous restait un trou de deux bonnes heures dans l'emploi du temps avant l'heure des granulés.

J'avais donc embêté Logan jusqu'à ce qu'il accepte que l'on prenne son pick-up pour aller chercher un sapin et des décorations pour rendre son loft un peu plus joyeux et ainsi coller à l'atmosphère un peu magique de noël. Le choix du sapin fut rapide, un poil plus grand que moi mais pas trop car la hauteur sous plafond n'était pas non plus immense puis au moins trois énormes caisses de décors en tout genre.

Le retour s'effectua dans le calme. On emporta d'abord le sapin pour lui choisir une place. Styx le jeune Cane Corso nous faisant la fête et se plaçant toujours dans nos pieds, nous faisant éviter de peu quelques cascades mais assurant les fou-rires. L'arbre installé on retourna à la voiture récupérer tout ce qu'il restait et nous attelâmes à les mettre en place dans les pièces.

Une jolie couronne sur la porte d'entrée, des guirlandes en tout genre sur le sapin, les bords de meubles, au pied de la télé... bientôt il y en eut partout. J'avais installé le plus gros des décorations, Logan ayant fini par s'asseoir et me regarder m'amuser comme une enfant. J'étais l'ainée mais en cette période c'était moi qui faisais souvent l'enfant, j'aimais l'ambiance et la magie, mon frère étant naturellement plus terre à terre mais s'amusant de mes gamineries.

Il se leva pour nous faire des chocolats chauds revenant de la cuisine avec des mug fumant. Je pris le mien avec une exclamation ravie il avait glissé dans la boisson des minuscules guimauves et avait recouvert le tout d'une chantilly dense et de cannelle en poudre. Le bonheur à l'état liquide ! Installés sur le canapé nous sirotions nos boissons en parlant de tout et de rien, j'évoquais alors le coup de téléphone reçu quelques jours plus tôt....

La bulle hors du temps de Mathias explosa quand il entendit son téléphone sonner, tout autant qu'il le sentait vibrer avec énergie dans sa poche. L'étalon avait marqué un sursaut, s'éloignant d'un pas, méfiant. Mathias lui caressa l'encolure avant de retourner dans la maison décrochant sur le chemin.

-Fils ?

Tout de suite le jeune homme se crispa. Sa mère... Il aurait du regarder qui appelait avant de répondre, il l'aurait laissé sans remord tomber sur son répondeur. Il hésitait même à raccrocher tout net. Mais il n'était pas sûr que ça ne serait pas encore pire.

-Mère ? Que me vaut l'honneur de votre appel ?

-Ne soit pas sarcastique veux-tu ? Le moment n'est guère approprié.

-Ah ?

-Ton père est à l'hôpital. Un AVC.

-Et ?

-Est-ce là tout l'effet que cela te fait ?

-Allons après notre dernier échange vous savez parfaitement père et vous que je ne reviendrais pas, que s'en était assez.

Un soupir lui fit écho et sans la laisser plus rien ajouter il raccrocha. Voilà un bien désagréable surprise en ce jour à peine entamé. Il fit rapidement sa vaisselle, juste son mug de café avant de se décider à travailler un peu, son humeur entre agacement et morosité ne se prêtait pas à la compagnie animale, l'étalon noir ne méritait pas de supporter ses mauvaises ondes. Ainsi il gagna son bureau et relança son ordinateur.