Depuis quelques temps, j'avais déposé au club-house une petite annonce. En gros, j'avais pas mal de temps à tuer, surtout pendant les vacances. Je l'avais scotché avec soins sur le grand panneau d'affichage où il n'était pas rare de lire une annonce pour vendre des pantalons, chaps, ou bombes devenus trop petits pour leur ancien propriétaire. Sur la mienne, on pouvait lire : "Vous n'avez pas le temps de sortir votre équidé aujourd'hui ? Vous voulez pourtant qu'il prenne l'air et se dégourdisse les jambes ? Vous ne savez pas quoi faire ? Moi, Chocolat, je vous propose de m'occuper de vos chevaux pour pas un sou. Cavalière d'un niveau intermédiaire, je saurais travailler votre cheval dans un large choix de disciplines (évitez le western). Si vous êtes intéressé ou désirez juste plus de renseignements, appelez donc au numéro ci-dessous, à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit (je rigole, pas de la nuit, je dors le soir). N'attendez plus !" Maintenant que j'y pensais, l'annonce ne faisait pas tellement sérieux, et, pour le moment, je n'avais reçu aucun appel, allez savoir pourquoi. Pourtant, hier soir, une jeune femme a décroché son téléphone pour demander mes services. Toute contente, elle m'avait donné tous les détails : elle souhaitait que je travaille son petit Jet Pride, un arabe croisé new forest (comme Dakota!!) de 5 ans (tout jeunot) en horse-ball. Après lui avoir dit que ça faisait un petit moment que je n'avais pas fait de horse-ball -en fait, j'en avais fait plusieurs séances en club, séances qui consistaient surtout en un ramassage permanent de la balle, tombée par terre-, elle avait quand même voulu de moi. C'est donc toute contente que je suis arrivée au domaine de Lonval. J'étais impressionnée : tous ces chevaux, rien que pour elle ?? Peut-être partageait-elle avec d'autres cavaliers. En tout cas, une fois dans les écuries, je n'ai pas eu de mal à trouver le petit Jet Pride. Il était vraiment adorable, sa jolie robe grise, sa petite tête trop mignonne. Je crois que je pourrais le voler pour le mettre juste à côté de Dakota. Je me remémore alors ce que m'a dit sa propriétaire sur son caractère :"gentil, intelligent, mais jeune" en gros, ça peut se résumer comme ça. Quand je montais en club il y a quelques années, j'ai plusieurs fois eu l'occasion de monter de jeunes chevaux, si en plus de ça, Jet Pride est un gentil poney, juste un peu maladroit, et parfois peu attentif ça devrait carrément le faire. Après un bon pansage, parce que, d'après sa propriétaire, elle l'avait mis au pré avant que j'arrive pour qu'il lâche un peu de gaz et il était donc tout crasseux, je pars chercher ses affaires. Bien sûr, je dois ajouter la sangle de ramassage à la selle, sinon je ne pourrais pas me baisser, ce qui serait un peu ennuyant. Bonne nouvelle : Jet Pride n'est pas un grand selle français d'un mètre 80, je devrais moins peiner à ramasser la balle. Après avoir bien harnaché, je me rends directement au terrain de jeux et de horse-ball, pour la première fois.
Jet a été trop mignon pendant le trajet, à regarder de tous les côtés, ses petites oreilles pointées en avant. Nous arrivons en quelques minutes. Le terrain est réglementaire, soit environ 65 mètres sur 25. Je pars tout d'abord chercher le ballon, si particulier du horse-ball. Je le montre à Jet, l'agite un peu et le passe sur son corps, pour être sûre qu'il ne va pas me faire de gros écarts toute la séance, mais il se montre très intéressé et ne bouge pas une oreille. Je monte donc rapidement à cheval, après avoir lâché le ballon à terre et ressanglé. Il fait la même taille que Dakota, mais j'ai l'impression qu'il est plus frêle, certainement dû au fait qu'il soit jeune, ou de son sang arabe. Bien sûr, je ne vais pas m'entraîner seule aujourd'hui. J'ai demandé à une amie, Alicia, de venir s'entraîner avec moi. Plusieurs raisons pour ce choix : 1, elle est la propriétaire du plus gentil hongre du monde, j'ai nommé Nounours (comme quoi, il était destiné à être adorable) et 2, Alicia montait avec moi en club, et nous avons un peu près le même niveau en horse-ball, certes pas très haut, mais quand même certaines bases non négligeables. Pendant que je laisse marcher le gris, je garde un œil sur le chemin, sur lequel je verrais apparaître dans quelques instants le couple. Jet' les entend avant moi, et tourne vivement la tête en cette direction. Quand je reconnais Alicia, je lui décoche un grand sourire et la salue. Je commence doucement ma détente, en même temps que je discute un peu avec la nouvelle venue.
Je remonte doucement sur mes rênes : avant toute chose, je veux voir comment il se déplace. Je lui demande directement de l'impulsion, qu'il me donne bien volontiers. Il garde cependant sa tête un peu haute, je joue donc un peu sur mes doigts pour le décontracter, et commence quelques flexions de l'encolure à droite et à gauche pour qu'il baisse un peu sa tête. J'encourage et caresse bien fort quand il est détendu, mais en avant. Je regarde mon amie faire de même sur son hongre alezan. Quand nous avons fini avec le pas, nous entamons le trot en même temps. Je fais de grands cercles pour voir comment Jet Pride s'incurve, mais je ne pousse pas trop, ne connaissant pas assez le poney. Les foulées du poney sont assez rapides, et comme pour le pas, il a une tendance à garder sa tête un peu haute. Peut-être que, puisque je n'ai pas l'habitude de lui, je ne le monte pas de la bonne manière, ou comme le ferait sa propriétaire. Je m'applique à lui détendre l'encolure pour qu'il vienne se poser sur le mors. Finalement, après plusieurs transitions, pour voir s’il m'écoute bien, nous repassons au pas pour laisser souffler, avant d'essayer le jeune au galop. Je demande que Nounours et Alicia se mette devant moi, pour que Jet' ne sois pas tenté de faire n'importe quoi. J'attends donc que l'autre couple parte au galop, ce qui réveille immédiatement Jet', mais ne le laisse partir que quand moi je le demande, et pas parce que le cheval devant l'a fait. Je pars du trot, tranquillement, et travaille le galop pour qu'il soit assez lent, mais bien équilibré. Quand je sens que j'ai le contrôle et qu'il m'écoute, je change de place pour pouvoir le laisser galoper un peu plus rapidement. Ses foulées sont rapides, comme celles de Dakota, donc ça ne me change pas trop. J'enchaîne ensuite plusieurs transitions sur la piste intérieure, pour tenter de le garder à l'écoute et concentré. Puis, sans trop tarder, je reviens au pas pour le laisser marcher, en attendant la fin de la détente d'Alicia.
"Bon, t'as pas oublié ta sangle spéciale ?" "T'inquiète pas" "Bon, j'propose qu'on commence par s'habituer à se pencher à ras le sol, avant de tenter les passes et tout ça." "Pas de soucis". Toutes deux, nous reprenons la base même du horse-ball, à savoir, se pencher pour pouvoir ramasser la balle quand celle-ci tombe à terre, ou même pour la rattraper quand elle est mal lancée. J'ignore complètement si Jet a déjà fait du horse-ball, mais vu le peu de réaction qu'il a montré face à la balle toute à l'heure, j'imagine qu'il est un peu familier à cette discipline. Je me penche donc de chaque côté, aussi bien à droite qu'à gauche. Le truc, c'est qu'il ne faut pas avoir peur de tomber et bien rester les pieds dans les étriers, même si tu es plus près des pieds du cheval que de sa tête. Le mouvement me revient plus vite que je n'aurais pu l'espérer, apparemment, ça ne s'oublie pas. Je n'ai jamais pratiqué cela à haut niveau, ou en compétition, mais plutôt de petites initiations de quelques heures tout au plus. Pendant ce temps, Jet a pointé les oreilles vers moi, immobile, se demandant peut être ce que je fais dans cette posture. Je n'ose cependant pas trop forcer, de peur que le pauvre Jet perde l'équilibre et que nous tombions tous les deux. J'ai toujours été impressionné par la force de ces chevaux, qui arrivent à compenser un soudain mouvement sur le côté de leur cavalier. Je ne pense pas que Pride en soit encore capable, mais peut être quand dans quelques années, s'il se spécialise là-dedans, qui sait ? Je reprends ensuite mes rênes comme il faut et laisse Jet au pas, tandis que j'essaye à cette allure, puis fait de même au trot. Le trot, comme la bonne allure sautée qu'il est, n'est pas du tout agréable, et j'ai plusieurs fois l'impression que je vais voir le sol d'encore plus près. Jet, lui, est parfaitement calme, et je dois dire que je suis assez impressionnée par sa précocité. Je le caresse bien fort et le rassure, même si il ne semble pas en avoir tant besoin de ça.
Bon, il serait peut-être temps de jouer maintenant ! Je mets Jet au pas et pars chercher la balle, que j'avais mise en bord de terrain. J'arrête Jet à sa hauteur, et me sens soulagée quand je vois que je n'ai pas besoin de trop forcer pour m'en saisir. Je recommence à la passer sur son corps, à l'agiter autour de sa tête, et même à la lancer en l'air. Mais non, bien que curieux et attentif à ce qu'il se passe, Jet ne semble pas plus chamboulé que ça. Je le caresse et le félicite. "Bon Alicia, t'es prête ?". Elle acquiesce, et nous commençons enfin la séance. D'abord toutes deux arrêtées, nous nous envoyons la balle doucement, pour être sûre que nos deux équidés ne partent pas au quart de tour. Puis, nous nous éloignons de plus en plus, afin de faire des passes de plus en plus longues. Plus nous sommes loin, moins je sens Jet en confiance. Forcément, un OVNI arrivant à cette vitesse, y'a un peu de quoi être effrayé. Je réduis donc la distance de nos lancés. Ce n'est qu'une question de temps, peut-être qu'à la fin de la séance, il aura déjà moins peur, mais je ne veux rien brusquer. Après encore quelques échanges, nous mettons nos montures au pas, puis faisons des longueurs de terrains, d'abord au botte à botte, puis en s'éloignant de plus en plus l'une de l'autre. La balle tombe plusieurs fois au sol, mais nous ne sommes pas découragées. Nous continuons en nous mettant l'une derrière l'autre. Pour plus de sécurité, je fais un nœud aux rênes, imitée par Alicia. Nous passons ensuite au trot, ce qui est bien plus compliqué : chacune doit moduler son allure en fonction du lancé de balle de l'autre, pour pouvoir la rattraper au mieux. Nous faisons pas mal de figures acrobatiques sur nos chevaux respectifs, nous mettant dans des postures bizarres dans l'espoir de récupérer cette fichue balle du bout des doigts. Souvent, elle tombe par terre, et nous nous chamaillons pour savoir qui ira la chercher. Pourtant, je m'amuse vraiment beaucoup, et j'espère réellement que Jet aussi.
Après cet exercice sur les échanges, je propose de mettre la balle au centre du terrain, sur le sol, et de venir la chercher à l'allure qu'on souhaite, chacune notre tour. Enfin, pour l'instant, nous n'allons pas tenter de ramasser au galop. Les premiers passages sont difficiles : je dois arrêter Jet' juste à côté de la balle pour pouvoir m'en saisir. Je ne peux m'empêcher de penser que, si quelqu'un nous regardait, il trouverait ça un peu pitoyable. A cette unique pensée, je décide de prendre plus de risque et essaie de plus en plus vite, toutes ces tentatives soldées par pas mal d'échecs. Nous passons bien 15 minutes à tenter cela, chacune notre tour. Jet Pride se montre très patient, peut être parce qu'il se demande ce que je peux bien être en train de faire. Finalement, au bout de ces 15 minutes, j'ai réussi à plusieurs reprises à ramasser la balle alors que j'étais au (très) petit trot. Alicia, elle, se montre bien plus dégourdie, y étant arrivé à plusieurs reprises dans un grand trot, qui secoue bien. Avant de terminer par le dernier exercice auquel j'ai pensé, nous partons dégourdir un peu les jambes de nos équidés par de petits tours de galop. Je reste bien assise dans la selle, mais laisse le petit gris galoper à sa guise, tant qu'il ne fait pas n'importe quoi. Il me décoche même un petit coup de cul, pas bien méchant, pour exprimer son contentement. Nous laissons ensuite souffler avant de passer au prochain exercice.
Pour terminer, nous allons tenter de tirer dans les cages, ce qui reste le meilleur moyen (le seul en fait) de gagner des points à ce jeu. Nous nous plaçons donc au botte à botte avec Alicia et nous faisons des échanges jusqu'à ce que celle se trouvant en face des cages soit à bonne distance pour marquer, ensuite nous ramassons la balle et faisons de même dans l'autre sens, en inversant les rôles. Nous commençons d'abord au pas, et les premiers essais sont tous catastrophiques, à croire que nous sommes aveugles ! Aucun ne rentre dans le cerceau gris, même par hasard ! Après de nombreux essais, nous commençons enfin à prendre le coup de main, et enchaînons les passages de plus en plus rapidement. Nous essayons même au trot, toujours avec le jeu des passes avant de marquer, prenant des virages serrés pour remonter le terrain en sens inverse, car c'est également cela le horse-ball : le cheval doit être d'une grande maniabilité pour pouvoir changer rapidement de direction, même lancé au grand galop. Ne voulant pas déséquilibré le pauvre Jet' pendant ces virages, je mets le maximum de mon poids à l'extérieur, pour qu'il ne se penche pas trop. Après de nombreux essais, nous essayons même plusieurs fois au galop, sans se faire de passe avant cette fois-ci, et en arrivant bien droit sur le but, chose qui n'arriverait jamais si nous étions sur un vrai terrain de horse-ball. Cependant, c'est assez bon pour l'égo de voir que nous sommes capables de mettre un but sur un cheval lancé au galop (bon, petit galop, mais quand même !). Pendant ces passages, Jet a été un véritable amour : toujours concentré et attentif, il n'a essayé à aucun moment de me prendre la main, et bien qu'il ait tenté plusieurs fois d'accélérer un peu l'allure, se remettre bien assis dans sa selle et tirer légèrement sur les rênes permettaient de le garder dans un galop de travail. Me jurant de faire des commentaires élogieux sur le gris dès que je verrais sa propriétaire, nous nous plaçons toutes deux, Alicia et moi, au milieu, puis descendons et faisons marcher nos chevaux autour du terrain pendant plusieurs minutes, avant de se dire au revoir et de rentrer les chevaux à l'écurie pour un pansage bien mérité.