— Tu comptes vraiment garder ce... cette... chose ? Il arque un sourcil, dubitatif devant une peluche rapiécée qui semble avoir vécu la guerre, la tendant devant lui du bout des doigts. Cette chose, comme tu dis, c’est Monsieur Lapin. Et oui, j’ai bien l’intention de le garder avec moi. Je l’emporterais même dans ma tombe. Elle lui répond en riant, saisissant le doudou de son enfance avant de le serrer contre son coeur. Monsieur Lapin. Quelle imagination débordante. Jazz lui tire la langue dans une mimique enfantine, protestant qu’elle n’avait que cinq ans et que la prescription s’appliquait dans un tel cas. Déposant le nounours en haut d’une pile précaire de cartons, la brunette observe son appartement qui se vide peu à peu. Le retour de Bailey, sa blessure au dos, les frais de demi-pension pour Millénaire et leurs finances respectives semblèrent toutes être des raisons évidentes pour eux d’emménager ensemble. La décision fût vite prise d’opter pour le logement de Bailey, le studio de la demoiselle bien trop petit pour y habiter ensemble sans se marcher dessus sans cesse. Se tournant pour déposer quelques livres dans l’une des nombreuses boîtes cartonnées, elle en renversa malencontreusement une autre qui déversa son contenu sur le parquet. Jurant, elle s’affaira à remettre les divers objets à l’intérieur, ses doigts rencontrant bien vite le tissu de sa vieille casaque d’entrainement qu’elle avait oublié avoir rangé à cet endroit. C’est bien ce que je pense ? Elle leva un regard bleuté vers son ami avant d’acquiescer promptement, fronçant les sourcils devant le sourire énigmatique de ce dernier. Ça me donne une idée. Jazz secoua la tête, connaissant très bien le fond de sa pensée. Même pas en rêve !!
Évidemment, et comme toujours, Bailey eu raison d’elle et de ses résolutions. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent à l’hippodrome plutôt que de clôturer leurs affaires plus urgentes. Vêtue de sa casaque, Millénaire préparé avec une selle de course trouvée dans la sellerie du haras, Jazz regarda le cow-boy avec une moue boudeuse. Celui-ci flatta l’encolure de l’étalon dont les yeux pétillaient à la vue de la piste de course s’étendant devant lui. Regarde, lui au moins il semble ravi d’être ici. La cavalière leva les yeux au ciel, se positionnant à gauche de sa monture avant de se mettre sur une jambe. Arrête de dire n’importe quoi et aide moi plutôt à monter. Il s’exécuta, lui permettant de se mettre en selle avant d’ajuster ses rênes. Cela faisait une éternité qu’elle ne s’était pas prêtée à l’exercice mais elle pouvait déjà sentir l’excitation grandir dans le creux de son ventre. Elle commença par un tour d’échauffement au pas, laissant l’étalon marcher vivement, visiblement heureux d’être à l’extérieur sur cette piste d’hippodrome. Dans le fond, elle trouvait l’idée de Bailey plutôt bonne. Quelques lignes de galop leurs feraient le plus grand bien après les deux premières séances de travail qu’ils avaient effectuées la semaine dernière. Canalisant le pur-sang de toute évidence déjà prêt à en découdre avec des concurrents imaginaires, elle le lança dans un trot cadencé, se prêtant aux transitions dans l’allure afin de vérifier que Millénaire se laissait reprendre sans l’embarquer. Lorsqu’elle fût certaine qu’il était disposé à être à son écoute et à ne pas se laisser emporter par l’enthousiasme, elle lui demanda un petit galop de travail. En suspension sur ses étriers, le buste en avant, bercée par les foulées de sa monture, Jazz ne put réprimer un sourire à la vue qui s’étendait devant elle. Ils finirent par repasser au pas pour un temps de récupération bien mérité même si le gris ne semblait en avoir aucunement besoin. Ronflant, les naseaux en l’air, ce dernier paraissait effectivement ravi de leur virée du jour et la demoiselle songea qu’il faudrait qu’elle l’emmène ici régulièrement à l’avenir. L’hippodrome leur offrirait de quoi se revigorer et se changer les idées avant de reprendre l’entrainement sur les barres.
Demandant machinalement un départ au galop depuis le pas, Millénaire s’exécuta avec puissance comme s’il avait fait cela toute sa vie. Enchantée, Jazz le conserva dans un petit galop le temps d’une longueur puis elle serra les jambes et approcha ses mains des oreilles de son cheval, lui laissant le champ libre pour allonger ses foulées à sa guise. Le pur-sang ne se fit pas prier, accélérant progressivement jusqu’à ce que l’euphorie les gagne tout deux et que plus rien n’existe d’autre que le martèlement des sabots et le souffle de l’étalon s’évaporant dans l’air. Prise dans le flou de la vitesse, la brunette laissa ses pensées divaguer, se remémorant de la robe bai foncée et de cette sensation si particulière de ne faire qu’un avec sa monture. Ce qu’elle ressentait autrefois avec Denver semblait revenir dans son coeur avec la force d’un cheval lancé au triple au galop. Denver qui l’avait forgée, qui avait fait d’elle une véritable cavalière et un excellent jockey. Elle pouvait encore dessiner avec précision dans son esprit la liste blanche de son chanfrein et la carte du moindre épis dans ses poils. Son hennissement résonna en écho dans son crâne, réminiscence de son passé. De leur passé et de tout ce qu’ils avaient accompli ensemble. Le tour de piste achevé, Jazz récupéra le gris jusqu’à le repasser au pas, prenant conscience de sa vision brouillée par les larmes. Bientôt, elle serait prête. Prête à laisser partir Denver avec la honte et la culpabilité pour s’ouvrir à un avenir qui s’annonçait finalement radieux.
(c) SIAL
Misspalikoa
Cavalier pro - niv. 0
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